A Tombouctou, la communauté religieuse se remet petit à petit du choc lié à la destruction des édifices cultuels par les jihadistes. En attendant que la justice des hommes se mette en branle, on se console de celle de Dieu.
Aujourd’hui, difficile de dire ce qui reste des mausolées après le passage des jihadistes dans la ville religieuse de Tombouctou. Une certitude cependant : les stigmates sont visibles sur le bâtiment du mausolée de Sidi Mahmoud dans le quartier Sankoré. L’édifice a été atteint, sinon détruit, mais le reste continu d’être gardé jalousement par les héritiers de l’illustre disparu. Chaque lundi et vendredi, ils lui rendent visite dans le but d’avoir des lendemains enchanteurs.
Parmi les gardiens du mausolée, il y a le fils et substitut de l’imam de la mosquée de Sankoré, bibliothécaire des manuscrits, Mohamed Almoctar Cissé. C’est ce dernier qui, de nos jours, a la lourde tâche de conserver l’héritage de la famille et il vient de démarrer une bibliothèque le 18 janvier 2014.
Très ému par la destruction des mausolées, notamment celui de Sidi Mahmoud, Mohamed Almoctar Cissé était à l’époque des faits à Bamako, ce qui lui a permis de vite alerter l’opinion nationale et internationale. C’est cet homme qui avait saisi le représentant de l’Unesco à Bamako afin qu’il puisse prendre contact avec l’imam Ben Essayouty de la Grande mosquée de Tombouctou. En même temps, il a alerté le département de l’Unesco qui s’occupe du patrimoine à Paris. C’est pourquoi, il se dit fier, car cette initiative a eu un écho favorable.
A Tombouctou, toucher à un mausolée, c’est porter atteinte à la vie spirituelle de l’homme. Quand on s’attaque à la mosquée de Sankoré ou au mausolée de Sidi Mahmoud, on provoque un choc chez les habitants. Tout comme hier, le substitut de l’imam de Sankoré mène d’autres activités pour conserver jalousement ces mausolées. Même durant l’occupation jihadiste, le lien entre ces édifices cultuels et la famille religieuse de Sankoré était intacte. Des rituels qui devaient organisés ont été faits dans la plus grande discrétion pour ces mausolées.
L’esprit du saint Sidi Mahmoud
Dans la cité religieuse de Tombouctou, Sidi Mahmoud est considéré comme le “saint des saints”. Et parmi les 16 mausolées classés par l’Unesco patrimoines culturels, celui de Sidi Mahmoud demeure le n°1. Sidi Mahmoud est un saint qui repose au nord de la ville de Tombouctou. Un cimetière porte son nom.
Il est connu à travers les livres par le nom de Cheick. C’est pourquoi dans cette ville, beaucoup de places et d’édifices portent fièrement son nom, notamment une école. Il a écrit plusieurs ouvrages sur différents thèmes et il fut imam de la mosquée de Sankoré, recteur de l’Université de Sankoré et était en même temps le cadi de la ville.
Sidi Mahmoud avait trois fonctions, mais celle de cadi était la plus préférée, parce qu’il était bien honnête et n’acceptait jamais de rendre de mauvaises décisions de justice. Dans les conflits qui opposaient pauvres et/ou riches, il rendait la justice, la vraie. C’est pourquoi l’attaque du premier symbole par les islamistes ; à savoir : le mausolée de Sidi Mahmoud est loin d’être un fait anodin.
Selon la communauté religieuse de Tombouctou, il y a beaucoup de secrets qui entourent Sidi Mahmoud. Même atteint, son mausolée bénéficie de toutes les attentions. De même, il y a une corrélation entre l’histoire de la mosquée de Sankoré avec celle de Sidi Mahmoud. En effet, le site de cette célèbre mosquée et l’endroit où l’illustre disparu repose, c’est à-dire sa maison (il a été enterré dans son vestibule), ne sont pas éloignés. Donc, il quittait cette partie nord de la ville pour aller officier les prières et enseigner à l’Université de Sankoré.
C’est ce qui explique que pendant le “règne” des jihadistes et leurs complices assassins, on indiquait les parties de la mosquée de Sankoré où sont enterrés même des cadavres. Ainsi, après la destruction du mausolée de Sidi Mahmoud, ils ont voulu s’attaquer à la mosquée. Malheureusement, ils n’ont pas pu découvrir cette partie du cimentière qui se trouve dans la mosquée.
Vous dites bien justice
Après le départ des jihadistes de la ville de Tombouctou, le sentiment de rendre justice prend une autre dimension. “Nous sommes humains et croyants, c’est Dieu qui voit, c’est Lui qui sait ; c’est Lui qui est en train de faire justice. Nous nous en remettons à la justice de Dieu, car la justice des hommes aussi peut venir après. Cela dépend de l’autorité de l’Etat. Sinon, en tant que musulman, on se fie à Dieu”, nous a lancé l’iman Mohamed Almoctar Cissé, en réponse à notre question sur le besoin de justice.
Dans la Cité des 333 Saints, on pense vraiment que ce sont des ignorants qui se sont attaqués aux mausolées. Ici, on se satisfait du fait que la communauté religieuse soit en train de travailler avec l’équipe de l’Unesco pour reconstituer le mausolée. “On doit faire justice, pas envers eux seulement, il y a d’abord l’Etat qui nous a abandonnés. Quand je dis l’Etat, il s’agit des autorités militaires, politiques et administratives”, dira notre interlocuteur.
Certes l’Etat, à travers le ministre de la Culture, notamment sa représentation locale, la Mission culturelle, collabore avec les familles qui gardent ces mausolées. Mais, le processus reste lent, car il n’y a eu que des voyages d’études et des experts – étrangers et ceux de l’Etat – qui travaillent à la reconstruction des mausolées. Sur ce terrain, on nous avoue que l’Etat ne fait pas beaucoup, à la différence des partenaires comme l’Unesco, l’Union européenne, Lux-Développement, l’Allemagne…
Il sert plutôt uniquement d’intermédiaire entre les familles conservatrices des mausolées et ces partenaires. “Nous sommes des musulmans, nous nous en remettons à Dieu. Nous cherchons l’unité et on se met derrière l’Etat. S’il juge utile de chercher et punir ces fautifs, il peut le faire. En tout cas, nous nous sommes prêts à l’accompagner, à faire des prières et des bénédictions pour que la ville de Tombouctou soit toujours forte et renforcée afin qu’elle retrouve sa notoriété d’antan. Nous ne sommes pas des rancuniers”, nous a révélé le leader religieux.
A problème religieux, solution religieuse
Sur la justice transitionnelle, les recommandations de la communauté religieuse de Tombouctou sont fortes. “Oui, nous pouvons participer dans le cadre de la gestion des conflits. Nous pouvons nous associer pour donner notre point de vue de l’islam à travers des journées de réflexion et autres. Nous pouvons apporter notre contribution pour faire avancer les choses, pour ne pas créer des précédents. Il faut que juste soit rendue, parce que dans cette ville, il y a eu des pillages, des vols, des viols… Ceux qui ont volé, nous leur demandons tout simplement de restituer, car un bien mal acquis ne profite pas. Ils peuvent les restituer à l’imam ou au gouverneur”, suggère la communauté religieuse de Tombouctou.
Avant de demander à l’Etat de gérer en l’associant pour ne pas commettre certaines erreurs. “Nous voulons cogérer avec l’Etat dans ce dossier en lui donnant chaque fois nos réflexions. Il y a eu à peu près 3 mois une rencontre à Tombouctou et ce sont des gens de Bamako et de l’administration qui sont venus. Mais, les leaders religieux n’ont pas été associés. Alors que le conflit était religieux. Aucun imam n’a été invité, ni un membre du Haut conseil islamique national ou local. Nous pouvons dire que c’est un échec. A un problème religieux, il faut trouver une solution religieuse”, nous a-t-on expliqué.
La crainte de voir les islamistes revenir, hante les esprits et l’on est convaincu que sur le plan sécuritaire, l’armée malienne n’a pas occupé totalement le terrain. Idem pour la Minusma qui n’agit pas. D’où la recrudescence des attaques armées dans la région. De ce fait, des inquiétudes sont perceptibles, car les jihadistes peuvent se reconstituer pour revenir. Sur ce sujet, l’Etat malien est appelé à la rescousse.
Les destructions et les pillages des lieux de culte et de mausolées qui ont eu lieu à Tombouctou ont créé des chocs psychologiques dans les milieux religieux. Attribués aux Touarègues ou Arabes, ces exactions entraînent des ressentiments entre les populations. Faute d’une prise en charge réelle de cette dimension religieuse dans le processus de réconciliation, la justice transitionnelle risque d’être source de conflits rémanents.
En tout cas, à Tombouctou, les questions de justice, de paix et de réconciliation restent une constante et l’Etat est invité à accélérer le retour de l’administration.
Alpha Mahamane CISSE
Envoyé spécial à Tombouctou