Ce dimanche, 7 juin 2015, il est à peine 9h, mais déjà, le soleil tape très fort. Après avoir franchi le check-point de l’armée malienne sur la route de Bourem, nous voilà dans la commune de Soni Ali Ber, précisément à Berrah où une délégation du Cercle de réflexion et d’action pour la paix et le développement (Cerap) a rendez-vous avec le groupement des quatre associations locales de femmes. Dans un jardin maraîcher qu’on croirait à l’abandon, la vieille Hadéija et une compagne s’activent à tourner la manivelle d’une adduction sommaire. Entre-temps, par petits groupes, les femmes arrivent et prennent place sur des nattes sous des rôniers. Le groupement revendique 71 adhérentes.
Il y a si peu, dans les années 80-90, grâce à leur courage, les maraîchères de Berrah approvisionnaient Gao en légume (tomates, carottes, gombo, poivrons, choux, échalotes…) et tubercules (pomme de terre) et presque en toute saison. Mais, depuis quelques années, leurs récoltes sont presque réduites à néant par le manque d’eau. «Nous passons presque toute la nuit à tirer de l’eau pour remplir les bassins. Et le lendemain, nous commençons à arroser le jardin vers 7h», explique Mme Saouda Seydou Touré, présidente du groupement féminin et coordinatrice des femmes rurales de la région de Gao. «Mais malgré cette débauche d’énergie, rarement nous parvenons à entièrement arroser le potager parce que l’eau puisée ne suffit jamais. Ce qui fait que nous sommes contraintes d’arroser de façon alternée, c’est-à-dire qu’une partie est arrosée aujourd’hui et l’autre le lendemain», explique-t-elle. C’est évident que cela tient du miracle que de pouvoir entretenir un potager sans source véritable d’eau et avec des températures qui vacillent souvent entre 37 et 45° à l’ombre ! Sans compter que, par manque de clôtures, les plantes ne sont jamais à l’abri des rongeurs et d’autres herbivores qui s’infiltrent pour détruire cette fantastique œuvre réalisée et arrosée à la sueur du front. Un très dur labeur, mais peu productif puisque ces jardins maraîchers permettent difficilement à ces braves femmes de survivre !
À Berrah, les femmes ne demandent ni le poisson ni même qu’on leur apprenne à pêcher : elles veulent juste être équipées pour reprendre en main leur destin et celui de leur communauté comme elles l’ont toujours assumé ! «Nous avons besoin d’adductions performantes, des brouettes, des râteaux, de grillages pour clôturer les jardins…Nous ne souhaitons que d’être mieux équipées pour travailler à notre épanouissement et au développement de notre communauté», précise la présidente. Elles dont déjà le savoir-faire est transmis de génération en génération. Mieux équipées, et avec un leadership fort, elles seront en mesure de relever plusieurs défis auxquels elles font face, comme la pauvreté, la non satisfaction des besoins alimentaires. Elles ont même été formées pour fabriquer elles-mêmes leur composte pour ne point dépendre du coût et de la disponibilité des engrais chimiques.
À quelques kilomètres de là, sur l’autre rive du fleuve Niger, le Cerap a eu aussi des échanges très fructueux avec les femmes (99 amazones du développement local) de l’Association Gorey Ben (Fin de l’inaction) présidée par Mme Arhamatou Koussa. Ici, elles s’étaient essayées au maraîchage avant d’abandonner. «Il nous a suffi de peu de temps pour comprendre que cette activité ne nous permettait pas de progresser, de nous épanouir sur les plans social et économique», explique la présidente. Avec l’appui d’une ONG, elles se sont reconverties dans le commerce. Elles achètent ainsi du riz paddy et du mil pendant la récolte qu’elles stockent dans leur banque de céréales afin de les revendre pendant la période de soudure ou comme semence à la veille de l’hivernage. Mais, cette activité qu’elles exercent depuis près de 27 ans ne semble pas tellement leur réussir puisque leur chiffre d’affaires est encore de 2,5 millions de FCFA. Et malheureusement, cette année, elles ont des soucis car «les récoltes n’ont pas été bonnes», précise Mme Koussa. À noter aussi que les femmes de Gorey Ben de Wabaria fabriquent du savon et produisent également de l’eau de javelle. Une activité qu’il faut envisager à grande échelle.
Les damnés de la terre
Tout comme la reprise du maraîchage sur un meilleur espace et avec plus de moyens, notamment un bon forage pour résoudre la question de l’eau. À Kadji, dans la commune du même nom dans le cercle de Gao, les paysans vivent un vrai drame. «Nous cultivons sans être sûrs d’avoir à manger à plus forte raison de la semence pour la prochaine saison», souligne Abdoulaye Maïga, représentant le chef de village à la rencontre avec la délégation du Cerap. Et curieusement, à quelques mètres du lieu de la rencontre, s’étalent des bas-fonds à perte de vue. Ici aussi, c’est l’eau qui fait défaut rendant hypothétique l’agriculture. L’ensablement fait que les mares s’assèchent rapidement. D’où la nécessité de réaliser des forages. Les quelques exemples réussis l’attestent. «Ici, tous ceux qui réussissent à faire des petits forages font de bonnes récoltes parce que les cultures ne sont plus alors dépendantes des seules pluies», explique M. Maïga avec beaucoup d’amertume. Comme lui, la dizaine d’hommes rassemblés sous un hangar de fortune s’interrogent sur l’avenir de leur village, de leur communauté. Surtout que les jeunes partent à l’aventure (exode et émigration) au fur et à mesure que les difficultés s’accroissent. Sans promettre le miracle, le Cerap présidé par Me Ahmadou Touré et son équipe ont pris bonne note et n’ont pas visiblement l’intention de faire comme les autres. «Ils viennent fréquemment nous consulter. Mais, après, on ne voit rien», reprochent les groupes consultés, surtout les paysans de Kadji.
Renouer la confiance pour redonner espoir
Ce qui à la longue a sérieusement entamé la confiance qu’ils avaient non seulement en l’Etat, mais aussi en les ONG et autres partenaires. Mais, Me Touré et ses associés sont conscients non seulement de cette rupture, mais aussi de l’urgence d’apporter une aide à ces femmes et hommes qui se sentent presqu’abandonnés de tous, ignorés dans les politiques et stratégies de développement. Et déjà, un premier constat s’impose : «Le potentiel existe et est immense. La volonté ne manque pas à ces hommes et femmes qui ont un savoir-faire inestimable. Il leur faut juste un leadership et un peu plus de moyens pour s’affranchir de beaucoup de leurs difficultés», diagnostique Me Ahmadou A. Touré. «Quand quelqu’un a la tête sous l’eau, il essaye d’abord de la sortir, de survivre… Pour ces associations féminines et ces paysans, la priorité c’est avant tout d’avoir à manger pour les familles. Et avec le minimum d’équipements, ils peuvent vite atteindre cet objectif et même acquérir une certaine autonomisation», souligne l’ancien ministre du Commerce pendant la transition consécutive au putsch de mars 2012.
Pour les membres du Cerap, ce sont des projets communautaires de ce genre qu’il faut appuyer en soutien aux initiatives de paix. Autant les guerres et les crises naissent dans le cœur des hommes, autant les frustrations socio-économiques et politiques ainsi que le manque de perspectives les alimentent. Et «il ne faut pas tout planifier et patienter en attendant la sécurité. Nous nous situons dans une logique d’accompagnement du processus de paix, mais nous n’allons pas geler nos actions pour attendre la paix», assure Ahmadou Touré. Le Cercle envisage ainsi de réhabiliter à Berrah une adduction d’eau alimentée par une éolienne installée, il y a une vingtaine d’années, par une ONG italienne pour alimenter le village en eau potable. Si elle se concrétise, cette réhabilitation permettra au Cerap d’aller même au-delà des attentes exprimées par les braves femmes de cette localité. Des adductions ainsi que l’aménagement de périmètres irrigués sont envisagés à Wabaria et à Kadji. Dans cette dernière localité, cela permettra non seulement d’améliorer la production agricole, mais aussi d’offrir aux populations la possibilité de faire des cultures de contre-saison et du maraîchage. Au-delà de l’autosuffisance alimentaire, la communauté pourra miser également sur des revenus conséquents. Ce sera aussi sans doute un frein à l’exode rural qui est en train de vider la localité de ses bras valides.
En dehors de Me Ahmadou Touré, cette mission comprenait d’autres membres du Cerap comme Mahamadou Belem (aménagiste spécialisé notamment dans l’aménagement des périmètres irrigués), Almahady Cissé (communicateur) et Abdrahamane Cissé, coordinateur régional du Collectif Cri de Cœur à Gao. «Il nous faut vite nous mettre au travail pour concrétiser l’espoir suscité par ces entretiens. Si nous parvenons à permettre même à une seule famille de manger à sa faim et de ne pas mourir de soif, ce serait déjà une grande satisfaction», a déclaré Me Ahmadou Touré, lors de la réunion de synthèse qui a suivi les visites. En tout cas, les potentialités sont énormes avec des communautés déterminées à être les artisanes de leur développement. Il faut juste un judicieux accompagnement et un bon leadership pour surmonter le problème de gouvernance auquel elles sont confrontées et qui les réduit à la pauvreté !
Moussa BOLLY
De retour du Nord du Mali