Peut être je ne suis pas le plus indiqué pour témoigner de quelqu’un, que plus d’un ségovien a adopté depuis 16 ans qu’il s’est engouffré, par la magie de la bande FM, dans les foyers, les bureaux et autres ateliers de millions d’auditeurs de Ségou et environs.
Cependant, je crois le faire pour un devoir de mémoire et surtout pour être l’un des rares, en dehors de son épouse, à le suivre dans ses derniers soupirs. J’ai connu Haidara (c’est comme ça qu’on l’appelle et qu’on le reconnait à Ségou) avec l’installation de la Radio Sido, une filiale du Réseau Kayira en Aout 1993. Lui avait 42 ans et moi juste 26 ans. Un an avant, je le devançais dans l’animation radio avec la Radio Foko appartenant au Réseau Jamana. Nous étions tous ressortissants du Nord et nous aimions tous ce medium. Là s’arrêtaient nos ressemblances car nos deux stations FM étaient bien le reflet de la vie politique du pays ; alors que notre ligne éditoriale épousait la consolidation des acquis démocratiques, Radio Sido se définissait comme la voix des sans voix allant jusqu’à outrepasser le code et la morale du métier.
Aujourd’hui, après un net recul, je me rends bien compte que cette ligne avait fini par lasser le Grand Cherif. Au plus fort moment du COPPO en 1997 (Collectif des Partis Politiques de l’Opposition), Haidara m’apostropha devant le sens interdit de la BHM.SA. C’était la première fois que je discutai longuement avec lui. Il me parlait de ses conditions de travail, de son âge, de sa famille et par finir, il me dira à peu près ceci : « Moustaph, je compte sur toi. Trouve-moi une place à la Radio Foko… ». Effectivement, j’en fis le relais à mon directeur Ali Dolo. Mais les rivalités entre, permettez moi l’expression qui circulait à l’époque, pouvoir (Foko) et opposition (Sido) étaient encore tenaces.
Dolo me dira que cela ne l’enchantait pas du tout. Je n’ai jamais fait de compte rendu à Haidara et je ne l’ai jamais revu jusqu’en l’an 2000 où nous nous sommes de nouveau croisés à un atelier de formation à Ségou. Lui était toujours à Sido et moi je venais d’avoir une promotion deux ans plus tôt (1998) à Djenné pour diriger la Radio Jamana qui venait de voir jour. Il insista encore ce jour là et ne comprenait pas que je ne puisse pas faire quelque chose à mon grand frere. Il était prêt à aller à Djenné et il avait encore besoin de moi pour que j’intercède auprès de Jamana pour réaliser son ambition. Je lui expliquai clairement les appréhensions de Jamana et il ne trouva pas mot à dire. Mon retour à Ségou, cette fois ci en 2001 pour diriger la Radio Foko, aura permis de nous fréquenter (entre services seulement) mais c’est ma démission deux ans plus tard (2003) de la Coopérative Jamana et la mise sur le marché de mon journal « Le Ségovien » qui contribueront à raffermir davantage nos liens. Il m’exigea, par exemple, de lui remettre un exemplaire du journal à chaque parution.
Et comme nous distribuons « Le Ségovien » pendant la nuit à nos abonnés, je me permettais d’aller moi même à son domicile le déposer. Deux ans plus tard, en Mai 2005 « Le Ségovien » connait la joie d’avoir une petite sœur « Radio Sikoro ». Je ne sais comment Haidara a eu vent de cela avant même qu’on ne dispose du matériel. Toujours est-il qu’il me surprendra un jour, en face de la salle Mieruba, en m’intimant de m’arrêter. Il me fit part de la nouvelle et me dit : « Moustaph, tu n’as aucun échappatoire. Je viendrai dans cette radio où je ne te reconnais plus comme mon frère ! ». Je lui rétorquai que travailler avec lui était un plaisir pour moi mais pouvait-il mesurer l’impact de son départ de Radio Sido, lui qui en était un pion essentiel.
Il énumérera de nouveau ses conditions. Je ne fus pas pris par la compassion et désapprouva l’idée. Il ne me comprit pas. Il en parla à Ndiaye qui m’aborda avec un ton rageur qu’on lui connait même de nos jours : « Moustaph, Cherif viendra ! Que tu le veuilles oui ou non ! ». Je n’étais pas convaincu et j’ai laissé le temps se faire. A la fin, c’est bien lui qui a gagné son pari de quitter une radio où il avait tout donné durant 12 ans sans pouvoir récolter les fruits de sa valeur. Ma compassion pour cet homme commença donc ce jour là et pour révéler quelque chose, Haidara ne devait pas diriger Radio Sikoro selon le staff qu’on avait mis en place. Unilatéralement, je prenais sur moi cette décision en l’annonçant à mes collègues et fort heureusement, je ne fus pas contredis.
Le grossier mensonge d’Oumar Mariko
Haidara qui apprécia mon geste me demanda de l’aider dans ses tâches. Dans sa tombe aujourd’hui, il pourra dire qu’il n’en fut pas déçu. Je le fis comme je peux. J’atteste aujourd’hui, devant Dieu chez qui nous tous, nous retournions un jour et devant les hommes qui peuvent nous défier sur terre que, contrairement à ce que le grand manipulateur de l’info a dit un jour, Haidara n’a jamais été approché ni par le Gouverneur de Ségou à l’époque Abou Sow ni par l’ex PDG de l’Office du Niger Issoufou Keita pour prendre 75 000 F CFA et 1 ou 2 sacs de riz pour être à Radio Sikoro. Oumar Mariko a osé mentir sur un honnête homme pour se donner bonne conscience.
Ce mégalomane du parti SADI l’avait annoncé un dimanche nuit vers 22 Heures sur sa radio. Je n’étais pas à l’écoute. C’est ma femme qui, partie accompagnée une voisine, est venue me réveiller pour me demander d’écouter Oumar Mariko. Il déversait sa colère sur Abou Sow qui selon lui est le financier et le promoteur de Radio Sikoro. Or, mensonge sur mensonge, Abou Sow ne sait même pas comment cette radio a été créée. Le lendemain matin, Haidara était affecté. Il voulait riposter et appeler Oumar Mariko au téléphone. Nous lui avons dissuadé car nous savions déjà que bien de gens voulaient savoir l’énigme Sikoro.
Abou Sow que j’ai rencontré quelques jours en sa résidence l’était plus. Il voulait aller loin. Je lui ai déconseillé en lui promettant que notre ancien camarade de l’AEEM adore beaucoup plus les querelles inégales où il se voit toujours en état de victime ou de faible. Je crois qu’avec sa forte fixation sur notre Groupe de Presse, nous ne l’avions pas raté quelques semaines après.
Le cobaye des thérapeutes
Haidara s’est beaucoup donné à sa radio pendant trois ans. Il était le premier à arriver pour son émission « Dugudjèkono » dès 5 H 30 du matin et presque le dernier à retourner vers 20 heures. Il a mis sa touche personnelle et m’a contraint à être dans un studio de radio, moi qui avais décidé de ne plus animer. C’est à lui qu’on doit la réalisation d’une émission comme « Les Tarik de Sikoro », une sorte de « Foko Walanda bis » qui fut prisée plus d’une décennie sur Radio Foko, malgré mes nouvelles charges de Conseiller en Communication à l’Office du Niger et mon droit de regard sur le journal « Le Ségovien » que j’avais fondé personnellement.
D’ailleurs, ses derniers instants ont coïncidé avec ce grand événement du journal : la parution, le 6 Octobre 2008 du 100eme numéro en 100 pages quadrichromie. Le travail était colossal et je m’étais fait un horaire de travail contraignant. Je travaillais sur ce document inédit de 3 heures du matin à 7 h 00, deux mois consécutifs. Haidara qui se qualifiait comme « le coq du village » pour réveiller sur la bande FM les ségoviens racontait aux collègues qu’il s’était trompé sur ma personne en me voyant réveillé à cette heure et me taquinait en disant que sa relève était assurée. Pendant ce temps, il nous fait part de son état de santé un peu fragile.
Pour sa solution, il n’avait pas besoin de la pharmacie à côté. Un appel à Madani Beydi Atji, le régisseur de la radio et le « gardien » des médicaments de la multitude de thérapeutes qui passent à la radio, fait toujours l’affaire. Mais ces jours là, l’effet de ces sirops traditionnels n’a pas tenu ses promesses. Haidara souffrait et nous fit part de son diabète qui a connu une hausse anormale. A la veille de la parution de ce 100eme numéro (Dimanche 05 Octobre 2008), il m’appela et me fit lire un message d’une de ses sœurs, fonctionnaire internationale au Kenya qui lui demandait de se rendre à Bamako pour faire des analyses, ainsi elle prendra tous les frais en charge.
Ce lundi 6 Octobre, j’étais bien partagé entre cette évacuation sur Bamako qui nous chagrinait et la sortie de notre journal qui s’arrachait comme au temps de « Les Echos » sous le régime de Moussa Traoré. C’est le lieu de remercier Seydou Idrissa Traoré, PDG de l’Office du Niger qui, sur ma demande, m’a prêté un véhicule, offert du carburant et remis 50 000 F CFA pour le malade. Je fis appel à Alou Coulibaly qui était déjà dans l’organisation de la prestation de Babani Koné en soirée pour la parution des 100 pages du journal. C’est lui qui a pris son ami et le mit dans le véhicule vers le coup de midi. Je me rappelle au moment où le véhicule démarra, il lui avait lancé : « Bamanan, i bi ya fanema ! ». Prémonitoire ? En tous les cas, Alou ne l’a plus revu vivant. L’analyse médicale s’avéra nécessaire puisque d’après Haidara, le Professeur Aly Guindo lui déclara : « Cousin, tu ne souffres pas aujourd’hui de diabète mais d’un ulcère d’estomac avancé ».
Il fallait une opération chirurgicale à cause d’une tumeur. Elle a lieu au « Grabriel Touré ». Haidara lui-même m’annonça au téléphone que ce fut une réussite et l’on s’attendait à son retour dès la fin de la convalescence. C’est sur ces entrefaits que, sur les conseils de mon grand frère Ousmane Maiga du service audio visuel de l’Office Riz Ségou, je me suis offert un congé repos de 3 semaines après le volumineux travail qu’on a fait pour ces 100 pages. Je décidai de les passer entièrement à Bamako du 6 au 23 Novembre 2008. Ce fut une bonne idée puisque je servis à être un consolateur pour la maladie de notre Directeur d’autant plus que, pendant tous les crépuscules de mon séjour bamakois, sans exception, j’étais là près de lui et j’étais conscient que la maladie s’aggravait surtout que le médecin nous révéla, Hawa son épouse et moi que c’était un cancer d’estomac. Nous ne pouvions jamais le lui révéler car au degré de nos connaissances ce mal était incurable.
On nous fit part d’une chimiothérapie qui pourrait être la panacée, avec obligation d’être évacué à l’extérieur. Le Vendredi 21 Novembre, j’obtiens un rendez vous avec le Ministre de la Santé, un de mes anciens Professeurs d’Histoire Géographie. Il me rassure et promet de prendre contact avec l’équipe de médecins traitants. Le lendemain Samedi 22 Novembre sera l’unique jour où j’ai pleuré ce grand frère. Les événements s’étaient succédé pour moi à un rythme effréné et insaisissable. Hawa l’épouse me fit part d’un mal qui le gênait depuis des jours et qui venait de la terrasser. Plus proche soutien du malade, son alitement n’était pas une bonne nouvelle pour moi. Puis, dans la journée l’équipe de médecins désapprouva auprès du ministre l’évacuation qu’on demandait (eux seuls sont à même de dire les raisons).
Et comme il n’y a jamais deux sans trois, je reçus vers 18 heures un sms de « la kenyane », un message inhumain que je me réserve de ne pas livrer le contenu afin de préserver des rapports familiaux. Je suis allé donc à ce crépuscule chez Haidara, le trouvant toujours fatigué. Pendant tout le temps que j’y ai fais je fus incapable de retrouver mon esprit qui nageait entre mille choses. Il remarqua mon attitude et appela sa femme : « Hawa, tu vois Moustaph. Il n’a pas l’esprit ici. Il pense à la nuit du Soroké d’Or. C’est ce soir. Moustaph, ne t’en fais pas. Tu seras primé. Moi je ne pourrais pas regarder ça à la télévision mais j’écouterais à la radio… ».
Des larmes dégoulinèrent sur mes joues. Je le quittai aux environs de 20 Heures et on ne se verra plus jusqu’à son retour à Ségou, dans la deuxième semaine du mois de Décembre. Le mal avait déjà fait son œuvre et il n’avait plus la force de discuter avec moi. Il me demandait les nouvelles de la radio, de ceux qu’il n’avait plus la chance de revoir à cause de son état et me prodiguait des conseils. Nous n’attendions que l’œuvre de Dieu. Ainsi, chaque appel de Hawa me faisait tressauter jusqu’à ce mercredi 24 Décembre 2008 à 15 Heures quand ma « complice » me lança au téléphone, en bref : « Moustaph, c’est fini ! ». Comme au 6 Octobre 2008 où il fut évacué à Bamako, je fis encore appel à Alou Coulibaly pour amener le corps à la morgue de l’Hôpital.
Ce jour de Noel 2008, son enterrement a eu lieu, mais de mémoire de ségovien, nous n’avons jamais vu autant de monde accompagné un défunt en sa dernière demeure ! C’est que Haidara méritait cette reconnaissance parce qu’il a été pour nous un guide et un éclaireur dont les leçons ne s’assécheront jamais. Ne disait-il pas à chaque acte posé par un collègue de notre Groupe de Presse que : « Vous savez, ce qui fait notre force c’est ça ! Nous avons des fous, des rebelles, des ingénieux, des bosseurs, des sages… ». En vérité il incarnait bien cette dernière vertu ! Adieu !
Moustaph Maiga