La situation agropastorale actuelle de cette localité offre l’image prototype d’une zone durement touchée par les effets du phénomène. Mais du constat aux remèdes, le chemin reste long.
Le cercle de Kita est une zone agropastorale par excellence. L’abondance de la pluviométrie (1300 mm par an en moyenne), la prédominance de la cotonculture et surtout de l’arachide ont fait la réputation de Kita dans le temps. Mais cette période d’abondance reste un bon souvenir. Du moins pour cette année. Aujourd’hui à Kita, paysans et éleveurs se préparent déjà à une année de désastre. Ici l’on procède à la récolte de ce qui reste dans des champs brûlés par un soleil ardent. Quelques bœufs et chèvres semblent résignés à leur sort et se réfugient sous des abris, fuyant un soleil déjà ardent. Dans son champ, Modibo Keita inspecte quelques épis de mil pour vérifier leur maturité. Mais notre interlocuteur ne se leurre pas outre mesure. Pour lui, l’année est perdue. Et il ne s’en cache pas. « L’année dernière à pareille moment, je venais contempler avec joie mon champ. Les gros épis chargés de graines m’excitaient à longueur de journée. J’étais tout heureux et les commentaires des passants m’offraient une joie intense. J’étais l’homme le plus heureux au monde », confie avec nostalgie Modibo Keita, chef de famille d’une quarantaine de personnes. L’infortune de Modibo Keita n’est, hélas, pas un cas isolé dans le cercle de Kita cette année. La disette a un visage dans cette contrée. Mais pourquoi tant de changements dans une zone jadis verte ? Pour comprendre cette situation, Oxfam Grande Bretagne vient d’organiser une randonnée avec des journalistes allemands et français. Du 14 au 17 novembre dernier, journalistes et responsables de Oxfam Allemagne ont sillonné plusieurs villages du cercle de Kita. L’objectif de cette mission était de voir la situation agropastorale, mais aussi et surtout de mesurer les effets négatifs du changement climatique sur la zone, explique Oumar Sango, chargé de Projet changement climatique et programme coton à Oxfam Mali. Cette visite consistait à collecter des informations auprès des populations rurales sur ce qu’il convient d’appeler aujourd’hui le changement climatique. Ainsi, Oxfam entendait apprécier l’opinion des paysans sur le phénomène du changement climatique.
Du point de vue de Sango, le cercle de Kita constituait une cible particulièrement appropriée. « Le Mali est un pays sahélien qui vit les conséquences et les impacts du changement climatique. Cela est très visible sur les activités que ces agriculteurs mènent sur le terrain, notamment en rapport avec l’agriculture qui occupe une grande place dans notre économie. Ces derniers temps nous constatons de plus en plus un faible rendement de la pluviométrie et beaucoup d’autres phénomènes. Alors nous étions venus avec les journalistes pour échanger et discuter avec ces communautés pour recueillir leurs opinions sur ce phénomène qu’elles vivent déjà. Le but de cette activité est de documenter les journalistes pour qu’ils puissent informer davantage les autorités politiques, les partenaires et l’opinion pour ceux-ci puissent prendre des dispositions concrètes en vue de faire face à cette problématique qu’est le changement climatique qui, faut-il le souligner, constitue une préoccupation mondiale. Cette visite permettra de mieux outiller les journalistes dans le cadre d’un plaidoyer pour l’Afrique durant la prochaine rencontre sur la question à Durban en Afrique du Sud », note Oumar Sango. Le choix du cercle de Kita a été fait en partie à cause de la mauvaise situation agropastorale. Mais aussi car Kita est une zone dite pilote où se concentrent bon nombre de projets mis en œuvre par Oxfam Allemagne et conduits par l’Ong Stop Sahel, son partenaire stratégique dans le domaine de l’étude et de l’analyse des impacts du changement climatique sur le monde rural. Les retombées de ce partenariat entre Maliens et Allemands sont remarquables : construction de micro-barrages et digues, réalisation d’infrastructures agricoles, notamment des jardins maraîchers, des champs d’expérimentation de maïs, des puits à grand diamètre et la fourniture d’équipements et de matériels agricoles au profit des femmes des localités ciblées sont autant d’exemples réussis et d’actions concrètes engagées pour minimiser l’impact du changement climatique dans notre pays. Au total, trois villages ont reçu les visiteurs allemands et français. Randonnées dans les champs, visites des sites mis en défens, rencontres avec les populations et des autorités administratives et locales, discussions avec les techniciens et autres responsables du monde paysan : l’agenda bien meublé a permis aux uns et aux autres de cerner l’étendue de l’effet du changement du climat sur les activités agricoles, mais aussi et surtout de connaître le sentiment des populations sur cette problématique.
DIEU, SEUL RESPONSABLE. De Balandougou à N’Tronkonina, en passant par Bérénimba et Bagnagafaga, autorités politiques, administratives et locales, populations, leaders d’opinion, tous sont unanimes sur les effets du changement climatique. La faible pluviométrie, la fréquence des feux de brousse, la rareté des zones de pâturage, l’insécurité alimentaire, l’exode rural, la déperdition scolaire sont autant de conséquences du changement climatique, analyse le préfet de Kita, Seydou Kalifa Traoré. Le temps des discours est révolu et l’on doit prendre des mesures concrètes sous peine de voir l’humanité en général et particulièrement nos pays en voie de développement, courir à leur perte, a averti le préfet. « Le changement climatique, ce n’est pas pour 50, voire 20 ou 10 ans, encore moins demain. C’est aujourd’hui et maintenant », renchérit de son côté le secrétaire exécutif de Stop Sahel à Kita, Jeans Famori Kamissoko. De son point de vue, cette visite a atteint son objectif car, dit-il, elle a permis d’établir un constat : celui de la méconnaissance, par les populations, du phénomène du changement climatique. Si les populations connaissent déjà les effets du changement climatique sur leur vie, elles les attribuent le plus souvent au bon vouloir du Tout Puissant. La sécheresse est, à leurs yeux, un phénomène naturel. Elle ne peut donc qu’être l’œuvre de Dieu, se disent des populations qui voient même là une sanction divine pour une faute qu’elles auraient commises dans le temps. C’est là tout l’intérêt de cette visite au Mali, martèle Svenja Koch, chef du département média et communication à Oxfam Allemagne. « Le constat est réel. Les paysans se plaignent des effets du changement climatique mais ne savent pas qu’elles en sont les causes. Notre mission est de pourvoir porter ce message à l’opinion internationale, montrer que le changement climatique n’est pas une affaire des pays industrialisés. Mais que c’est aussi une triste réalité qui affecte déjà les pauvres paysans du sud.
Malheureusement, on a tendance à oublier que ces effets ne sont que les conséquences de nos actes de tous les jours. C’est à dire que nous sommes responsables de la situation que nous vivons tous aujourd’hui », affirme Svenja Koch. La responsable du Département média et communication propose un changement de comportement aussi bien des politiques, partenaires que chez les populations. Chacune des parties doit, en ce qui la concerne, jouer sa partition. L’avenir de l’humanité est à ce prix, souligne-t-elle. « En Allemagne, la stratégie de lutte contre le changement climatique consiste à réduire de 40% d’ici 2020 et de 80% en 2025, l’émission des gaz à effet de serre. Mais il reste à mettre en application cette noble décision. Par ailleurs les pays industrialisés doivent aider ceux en voie de développement. Les 100 milliards promis lors de la rencontre de Tokyo tardent à être bouclés. L’Afrique doit s’inspirer de l’Europe qui parle d’une seule voix dans les rencontres », suggère Jan Urhahn, chargé de projet sur le changement climatique à Oxfam Allemagne. Quelle stratégie adopter pour s’en sortir ? Pour le président du Réseau Plaidoyer et lobbyng pour un développement durable (RPLD), Mamadou Sissoko, le changement climatique engendre deux aspects environnementaux : la sécheresse et les inondations. A ce titre, Mamadou Sissoko conseille l’adaptation des semences aux conditions culturales actuelles, la moralisation des projets d’urbanisation (épargner les lits des marigots de tout projet immobilier), mais aussi et surtout la mise en défens de nos forêts.