« Plusieurs centaines d’hectares, pour la plupart labourés et semés, retirées à leurs propriétaires et vendus à d’autres personnes qui ne sont souvent même pas de la commune rurale de N’goa, présence des bornes dans l’espace concerné, délimitation faite souvent à quelques mètres des villages, présence massive des femmes pleurant en détresse dans les brousses de la commune de Ngoa, parce que craignant l’extrême pauvreté et la famine qui les menacent, aucun homme ne peut se rendre dans les champs de peur d’être emprisonné, nette différence entre les terres de la Commune de Ngoa, cercle de San et celles de Tonga de la commune de Fani, cercle de Bla et présence de quelques groupes de jeunes gens, nouveaux propriétaires, par-ci et par-là, dans les brousses et prêts à l’affrontement ».
Telle est le résumé du triste constat fait, le 21 juillet 2011, par Me Mamadou Sissoko, huissier de justice près le ressort judiciaire de la Cour d’appel de Bamako, avec résidence à San, sur la situation qui prévaut actuellement dans les champs des villages de Gouala, Néra, Zémesso, Dalla, Flasso, Bosso, Dinso, N’goa, tous situés dans la commune rurale de Ngoa, cercle de San. Au moment, où l’huissier de San, à la requête du Collectif des chefs de villages déjà cités, passait pour son constat, personne ne pensait que la localité allait être le théâtre d’un drame, deux jours après, même si les signes annonciateurs se faisaient sentir. En effet, le Samedi 23 juillet 2011, dès les premières heures de la matinée, un contingent de la gendarmerie fort d’au moins soixante éléments, a bouclé les villages de Dinso, Néra, Dalla, Zémesso, Flasso, Bosso et Dokona.
A l’allure d’une descente punitive, les gendarmes n’ont épargné personne. Femmes enceintes ou pas, enfants, jeunes, adultes, personnes âgées, notables, chefs de villages et les imams, tous ont été correctement passés à tabac. Bilan de cette première intervention : 27 blessés évacués sur le Centre de Santé de référence de San, parmi lesquels 4 femmes enceintes. Mais, le dimanche 24 juillet 2011, Kassim Coulibaly, jeune villageois de 21 ans, allait succomber sous les coups des gendarmes. Avec cette mort, le feu qui couvait sous la cendre va s’enflammer. Des villageois révoltés vont s’en prendre aux forces de sécurité et feront 4 victimes parmi les gendarmes. Mais, qu’est ce qui a pu se passer dans cette localité pour que des gendarmes sensés protéger la population, y fassent une descente punitive avec un résultat aussi macabre?
Problème foncier sur fond de népotisme
Issouf Traoré, Chef de village de Goula, âgé de 67 ans, auditionné par Me Mamadou Sissoko, huissier à San, est formel : « Cette année, Drissa Coulibaly, sous-préfet de San, a sciemment violé nos coutumes en répartissant nos terres à sa convenance et à des personnes de son choix, malgré mes vœux de nous laisser au moins nos champs ». Il a précisé qu’il attribué leurs champs aux habitants de Djéguena, situé à 9 Kms, Bougoura à 15 km, Si à 12 km, Offienso à 7 km, Béléko à 20 km, Zékoun et Nesso, son village d’origine. « Nous ne pouvons même pas passer à côté de nos champs sans être arrêté et conduit à la prison de San.
Par décision n°84 du 26 mai 2011, les autorités de San, nous ont attribué des champs qui se trouvent du côté de Tonga et il nous faut traverser deux villages pour nous y rendre. Je demande que nous soient restitués nos terres afin d’éviter la catastrophe », a-t-il déclaré. Des différents témoignages recueillis par nos confrères de la Radio Kayira I de Bamako, auprès de différents chefs de villages et des notabilités de la localité, il ressort que le conflit tire sa source de la réalisation du seuil de Talo. Selon eux, avant la réalisation du seuil de Talo, il n’y avait aucun problème dans la localité. Mais, avec la construction du seuil de Talo, la plaine qui ne recevait plus d’eau depuis de nombreuses années, a commencé à en recevoir. Face à ce regain de valeur de la plaine, l’administration locale, selon Drissa Coulibaly, Sous-préfet de San, joint au téléphone, dans sa volonté de mettre fin aux différentes formes de spéculations, a jugé bon de procéder à une répartition en bonne et due forme des terres. A cet effet, par décision N°62, le Préfet de San a créé une Commission d’attribution de parcelles rizicoles dans la plaine aménagée du moyen Bani.
En principe, c’est à l’issue du travail de cette commission que le Préfet par décision N°84, a attribué des parcelles rizicoles, d’une superficie totale de 3 810 ha, dans les plaines aménagées de Tounga-centre et de Tounga-Est du Moyen Bani à 115 personnes des villages de Banansirakoro, N’goa, Parampasso, Sia et Goualani, en raison de 2 à 2,50 ha par personne. Chose bizarre dans cette répartition, nulle part, il n’est mentionné que des terres ont été attribué aux villageois de Dalla, de Néra, de Dinso, de Djibougou Bambara, de Tabara, de Tiby Marka, de Zémesso et de Tiby Bambara, alors que les chefs de tous ces villages ont été membres de la commission d’attribution de parcelles mise en place par le Préfet de San.
Tout compte fait, les habitants des villages de Gouala, Néra, Zémesso, Dalla, Flasso, Bosso, Dinso, N’goa, n’ont pas voulu reconnaître la décision du Préfet. « Depuis cinq mois, nous avons utilisé toutes les formes de sensibilisation. Mais, aucun partage ne peut satisfaire celui qui veut tout avoir », nous a indiqué au téléphone Drissa Coulibaly, sous-préfet de San. Selon les témoignages recueillis auprès de certains villageois, ils ne sont pas contre la répartition des terres, mais ils ont simplement souhaité être réinstallés sur les champs qu’ils ont cultivés de tout temps. Et, tout porte à croire que c’est face au refus de ces villageois de voir d’autres personnes cultiver leurs champs, que la gendarmerie est intervenue pour faire respecter la décision du Préfet.
Assane Koné