Problèmes de gouvernance locale, répartition des ressources, tensions foncières : pas un sujet de mécontentement ou un différend qui ne débouche désormais sur la constitution d’un mouvement communautaire ou, pire, sur des affrontements inter-ethniques et des atteintes graves aux droits de l’homme. Derrière toutes ces manifestations de colère apparemment spontanées, se cache généralement le jeu de groupes terroristes, prompts à dresser les communautés maliennes les unes contre les autres. Sauf paradoxalement lorsqu’il s’agit de diversifier le recrutement dans leurs katibas.
Qu’a-t-on observé dans une grande moitié nord du Mali depuis plus d’un mois ? D’abord à Gao, la constitution du mouvement Ir Ganda pour la défense des Songhaïs, comme il y a un an l’éphémère ANSIPIRJ au bénéfice supposé des Peuls. Mais là où le mouvement d’Aldjan s’opposait au pouvoir central, l’Ir Ganda affirme ouvertement se créer contre les Arabes et les Touaregs.
Se sont succédé ensuite d’innombrables conflits, partis d’événements somme toute assez classiques, entre des éleveurs et des cultivateurs. La plupart auraient sans doute pu être canalisés, mais c’était sans compter sur la malveillance des groupes armés terroristes, qui pullulent d’Ansongo à Diafarabé en passant par Koro. On n’a plus parlé alors d’éleveurs et de cultivateurs, de semi-nomades et de sédentaires, mais de Peuls, d’Idourfanes, de Dogons, de Bambaras … comme si par définition leur rencontre devait déboucher sur des massacres.
Et que dire de la guerre de positions dans et autour de Kidal et de Ménaka, à laquelle se livrent quelques leaders de groupes signataires, pour partie aux ordres des djihadistes. Là encore, ils prétendent agir au nom de telle ou telle tribu touareg. Le véritable enjeu des agitateurs est-il vraiment là, dans la justice sociale et la représentation équitable, ou bien s’agit-il pour les Abou Walid al-Sahraoui, Hamadoun Kouffa et autres Iyad ag Ghali d’enjeux personnels, de survie dans un espace djihadiste ultra concurrentiel ?
Il n’y a que dans leurs propres rangs qu’ils acceptent le brassage, quand incapables de recruter davantage dans leur zone d’origine, ils vont chercher des combattants à des centaines ou des milliers de kilomètres. Combien de non Maliens dans les rangs de Jamaa al-Nosra ? Combien de non Touaregs dans ceux d’Ansar Dine ?
Il n’est pas question de nier ou de sous-estimer les incompréhensions ancestrales, les dysfonctionnements du système, les inégalités et les injustices entre territoires. Des populations du centre sont désespérément enclavées et rendues vulnérables, des groupes sont surreprésentés dans le processus de paix par le simple fait qu’ils étaient déjà surarmés, des responsables de villages et de groupes nomades ne mobilisent pas assez d’efforts pour se comprendre. C’est un fait.
Mais s’illusionner en voyant dans les groupes djihadistes des défenseurs et des protecteurs est le pire écueil dans lequel nous pourrions tomber. C’est confondre la solution d’un problème avec le phénomène qui l’a généré. Les éditorialistes, politiciens ou anciens hauts fonctionnaires qui se relaient pour réclamer l’ouverture d’un dialogue avec les chefs terroristes feraient bien d’y réfléchir.
Auteur : Pr Mamadou Maïga
23 juillet 2017