VIH/SIDA: Maladie de la pauvreté ou de la richesse

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Mal conçu parce que défini par des sigles, le VIH/SIDA dans la mentalité de certains élèves et enseignants épouse tantôt les contours d’un problème de santé importé hors d’Afrique ou du Mali, tantôt il est perçu comme une punition ou une malédiction divine, consécutive au péché du corps, tantôt comme une maladie imaginaire, une maladie commerciale, un cinéma, etc.

C’est à travers ce faisceau de perceptions que nous avons extrait le VIH/SIDA comme une maladie pouvant engendrer aussi bien la pauvreté que la richesse.

Pour étayer ces deux tendances, notre propos se sustente non seulement des réponses des élèves, des enseignants, des agents de l’administration scolaire, mais aussi de la recherche documentaire.

La justification du lien entre le VIH/SIDA et la pauvreté en tant qu’indigence multiforme, oriente vers deux perspectives. Dans un premier temps, il s’agit de cerner la pandémie comme une maladie qui engendre la pauvreté et dans un second temps comme un problème de santé engendré par la pauvreté.

Dans le premier cas, une analyse osée et approfondie démontre que l’affaiblissement de l’organisme humain qui se traduit par l’anéantissement du système immunitaire entraîne aussi l’affaiblissement du corps social, de la réduction des bras valides. Si l’on part du fait que l’homme est un être relationnel, en d’autres termes il n’est et ne se justifie que par ses relations avec les autres, il est aisé de constater que chaque homme est un trésor, un maillon d’une chaine interminable. La perte d’un homme à cause du Sida équivaut à la perte d’un maillon irrécupérable pour la famille, le groupe social et culturel d’appartenance, le groupe professionnel.

La pandémie du SIDA s’amorce par l’appauvrissement individuel de la personne qui perd lentement et inexorablement ses facultés physiques et même psychiques par le fait de « l’encéphalopathie du SIDA ou démence du SIDA […] » (OMS 1995 : 9) Il faut noter ici une des pires formes d’indigence, car l’homme qui perd une partie ou la totalité de ses facultés mentales est réduit à une vie biologico sociale. Constamment pris en charge, il n’est à la base d’aucune initiative ou d’aucune action de développement. Au contraire des moyens inestimables -lorsqu’ils existent- sont mis en œuvre pour le sauver d’une « euthanasie sociale » qui est une forme d’abandon du malade que l’on sait déjà en phase terminale.

L’appauvrissement individuel et physique n’est pas sans conséquences sur l’environnement social. En s’attaquant à l’homme ou le producteur, le VIH/SIDA s’attaque à la production, à la productivité et au système de production qu’il désagrège et déstabilise. Selon Ndangi « La productivité faiblit à mesure que des travailleurs plus jeunes et moins expérimentés remplacent les travailleurs expérimentés.

Cette situation de pénurie dans les rangs des travailleurs se traduit par une hausse des coûts de production et une baisse de la capacité concurrentielle sur le marché international […] La surveillance des groupes à risque, la mise en place de stratégies de prévention, les prestations médicales et les programmes d’assistance sociale accroissent les dépenses publiques […] » (Ndangi 2001 : 32)

Si ce témoignage est alarmant, il n’est pas moins préventif. En décimant des bras valides, le SIDA emporte aussi des travailleurs ayant acquis une longue expérience par le biais de la loi de la performance humaine. En effet cette loi démontre à suffisance que l’exercice prolongé d’une activité professionnelle n’installe pas nécessairement dans une routine consolatrice, mais renforce les capacités du travailleur en le rendant plus apte et talentueux. Le producteur qui décède n’emporte pas certes l’intégralité de son expérience, mais emporte un talent, une certaine intelligence individuelle acquise, un doigté… qui lui sont intimement et intuitivement liés. Cette perte est en quelque sorte un appauvrissement du secteur de production auquel appartenait le travailleur.

Manifestement considéré comme un frein au développement, le VIH/SIDA, par le nombre de victimes qui ne peuvent pas participer à la production de manière temporelle ou définitive engendre ce que Jackson nomme « famine variante » (Jackson 2004 : 29.30) Par cette expression, il faut saisir les formes diverses que la famine provoquée par le SIDA peut revêtir et les conséquences qu’elle génère en affectant les plus âgés, les plus jeunes, les plus forts, etc. Les témoignages des élèves et des enseignants interrogés ne s’opposent pas au jugement de Jackson surtout en ce qui concerne le nombre de victimes et l’absence de discernement de la pandémie. Pour eux « c’est une maladie qui fait des ravages », « qui tue des milliers de personnes par an. » Lorsqu’on ajoute à cette constante macabre le nombre de personnes affectées souvent exclues à cause de la stigmatisation, il est aisé de faire le constat d’un déficit énorme en matière de ressources humaines, qui prédispose à la pauvreté, à l’absence ou à l’insuffisance de nourriture. Dans ces conditions la famine n’a plus d’obstacles pour passer des plus jeunes aux plus âgés, car les plus forts que sont les jeunes ne sont plus à mesure de travailler et de secourir les plus anciens.

Comment la pauvreté peut-elle favoriser la propagation du VIH/SIDA ?

Explicitement comment l’état d’indigence multiforme peut-il exposer au SIDA ?

Il est en effet possible de dire chronologiquement que la pauvreté est plus ancienne que le phénomène du VIH/SIDA. C’est aussi vrai que la maladie d’une manière générale côtoie l’humanité depuis sa genèse, mais les caractéristiques du VIH/SIDA, font de ce problème de santé, une synthèse des autres maladies, un état morbide récent dans la mesure où les premiers cas ont été décelés vers les années 1980 aux États-Unis d’Amérique. (cf. Pamba, 2007 : 13.14) C’est donc à juste titre que certaines populations nomment la pandémie du SIDA « la nouvelle maladie ». (Despierre 2005 : 142) À ce niveau apparaît déjà un premier signe de pauvreté qui se traduit par l’incapacité ou l’impuissance de ces populations à trouver dans leur lexique un terme approprié pour désigner le SIDA. Ce manque crée une certaine confusion autour de la pandémie et une forme de sphère mythique qui ombrage et autorise toutes les perceptions et appropriations. Ici la voie royale qui conduit ou expose au SIDA, est la pauvreté intellectuelle, la méconnaissance ou l’ignorance des modes de transmission du VIH, des facteurs de sa propagation, des moyens de lutte ou de prévention. L’ignorance étant un terrain fertile pour l’inconscience, génère également l’insouciance qui endort toute forme de méfiance et de prudence et prédispose à des actes hautement dangereux et provocateurs de risques. Dans ces conditions les lames de rasoir, les objets pointus destinés aux tatouages les seringues usagés… peuvent être utilisés et réutilisés sans soucis pour soi-même et pour les autres. Les rapports sexuels non protégés, occasionnels ou non, s’invitent également dans ce registre. Que dire de ces enseignants chargés de transmettre des connaissances sur le VIH/SIDA, mais qui sont convaincus que le SIDA est un mythe et non une réalité ? « […] je n’ai jamais vu un sidéen en face », « je n’ai pas eu d’informations précises », « les modes de transmission donnés par les médias ou acteurs du VIH/SIDA ne sont pas convaincants. » (Touré 2012 :125) Doute, déni ou scepticisme radical, on relève dans toutes ces réponses une pauvreté intellectuelle des formateurs en matière de VIH/SIDA. Ce qu’il faut ajouter comme éléments justificatifs de leurs attitudes c’est le milieu semi-urbain où ils exercent. Ici l’absence de centres spécialisés en matière de sensibilisation et de dépistage du VIH/SIDA, ne renforce pas les capacités des uns et des autres dans la lutte contre le VIH/SIDA. Cette absence de structure peut-elle être considérée comme un indice de pauvreté ? Dans l’affirmative, il faut prendre en compte un déficit qui peut avoir des impacts sérieux au niveau des populations en général et des élèves en particulier sur leur manière de concevoir le VIH/SIDA et de leurs possibilités de se protéger. Il n’est pas exagéré de dire que dans le contexte du SIDA, toute absence ou insuffisance d’infrastructures ou de structures œuvrant dans le sens de la lutte peut être considérée comme un manque assimilable à une certaine pauvreté.

Dans la négative, l’absence de structures de prise en charge, de sensibilisation ou de dépistage en matière de VIH/SIDA, n’est pas un indice de pauvreté dans la mesure où les populations concernées ne sont pas éloignées du grand centre où le dépistage, la prise en charge des personnes infectées sont assurés et souvent gratuits.

Autre situation de précarité pouvant exposer au VIH/SIDA, c’est la recherche du nécessaire comme la pitance quotidienne. Le manque de moyens matériels, financiers, humains pour satisfaire les besoins primaires comme la nourriture, le logement… fait se rencontrer des couches sociales radicalement différentes : les démunis et les nantis. Cette situation crée un échange, un commerce qui n’est pas toujours sain. Qu’est-ce qu’on peut donner en échange lorsqu’on ne dispose d’aucun bien matériel à l’exception des attributs naturels ?

Ici intervient selon le genre ou le sexe, la tentation ou l’obligation de succomber à la prostitution clandestine ou avérée, l’homosexualité pour ceux qui ont cette tendance. Puisque la pauvreté n’octroie aucun choix pour un démuni, les femmes, les hommes et les enfants en situation de détresse, deviennent les proies faciles des personnes nanties et peut être déjà infectées. Selon Jackson « […] le VIH est au moins en partie une infection des hommes avec de l’argent et des femmes sans. » (Jackson 2004 : 37) Les traits distinctifs et significatifs d’une certaine vulnérabilité au VIH/SIDA, sont présents dans ces types de rapports marqués par un déséquilibre. La personne pauvre ne choisit ni son partenaire encore moins le type de relation sexuelle à savoir protégé ou non. Ainsi en l’absence de toute forme de protection, le VIH gagne du terrain dans les milieux pauvres et au sein des couches défavorisées de surcroît jeunes. La situation de dépendance de ces couches va à son tour déterminer leur compréhension et même leur représentation du VIH/SIDA. Croire ou ne pas croire à l’existence du SIDA n’est pas un problème pour ces populations démunies. L’essentiel réside dans le mode de satisfaction des besoins primaires. La recherche ou la possession de l’argent annihile toute idée de protection et de préservation vis-à-vis du VIH/SIDA. L’on croit beaucoup plus au pouvoir de l’argent qu’à la puissance nocive du VIH/SIDA. Par le phénomène de l’inhibition, la lutte pour la vie ou la survie prend le pas sur les moyens de sauvegarder cette vie.

Le VIH/SIDA : maladie de la richesse !

Quelles relations peut-on établir entre le VIH/SIDA et la richesse, lorsqu’il a été démontré à suffisance que toutes les maladies en général et le Sida en particulier diminuent le système immunitaire, décime les bras valides et accroissent la pauvreté ? L’inverse relèverait-il de l’illusion ? Autrement dit, le Sida peut-il générer l’opulence qui est aux antipodes de la précarité ?

C’est dans le système de représentation et dans les formes d’appropriation du VIH/SIDA qu’il faut rechercher les éléments de réponse. Lorsqu’il a été demandé aux élèves des groupes scolaires de Baguineda Camp et du Quartier Mali s’ils croyaient en l’existence de la pandémie, voici quelques-unes de leurs réponses qui convoquent déjà le déni et l’idée de richesse « le SIDA n’existe pas, c’est une maladie commerciale », « le SIDA est un cinéma ». (Touré 2012 :83.84) Tout commerce suppose un échange de biens ou de services, un gain mutuel, des relations d’affaires à établir et à consolider. Que vient faire le Sida dans les relations commerciales ou cinématographiques s’il n’est l’objet du cinéma lui-même ? Dans les faits ceux qui ne croient pas à l’existence du VIH/SIDA, établissent un lien subtil entre les moyens mis en œuvre pour combattre le VIH/SIDA, les acteurs de cette mise en œuvre et la richesse. Ainsi, les préservatifs à vendre, les tee-shirts, les ARV et les ouvrages -lorsqu’ils ne sont pas gratuits- rappellent ostensiblement la notion de marchandise. Ce commerce prend sa source dans l’imaginaire et finit par se matérialiser à travers des objets concrets à vendre et destinés à la manipulation des consciences et au conditionnement après les publicités sur la pandémie. L’effet induit est l’enrichissement des industries, des commerces et des agents chargés de la vente de ces produits.

Autres éléments qui renforcent l’idée de richesse découlant du VIH/SIDA, ce sont les agents chargés de la sensibilisation sur le Sida qui ne sont pas toujours des bénévoles, les personnes vivant avec le Sida qui acceptent de témoigner à visage découvert qui ont inspiré cet élève qui disait « je suis prêt à faire la publicité à cause de l’argent ». Comment faire l’économie des voitures de luxe utilisées par les agents chargés de la coordination et de la sensibilisation sur le VIH/SIDA et qui confortent ceux qui nient l’existence du SIDA en tant que réalité et qui sont convaincus que la pandémie nourrit plus qu’elle ne tue ? À ce sujet Le Palec et Pagezy précisaient « Tout le monde pense que pour le SIDA, il y a de l’argent, beaucoup d’argent, le personnel de santé, les jeunes plus ou moins diplômés à la recherche d’un emploi qui souhaitent intégrer un projet ou monter une ONG, les associations de séropositifs qui supportent mal de ne recevoir que des petites miettes de cette manne en étant obligées de passer par le contrôle des responsables. » (Le Palec et Pagezy2003 : 63) Selon ces auteurs même le personnel médical « considère qu’il y a ceux qui vivent du SIDA (payés par les coopérations internationales avec perdiem, véhicules, etc., et ceux pour qui celui-ci représente une charge supplémentaire dans des conditions de travail déjà difficiles avec des salaires de fonctionnaires ou de centres de santé communautaire de quartier » (idem, p63)

Ce que ces témoignages ne disent pas et qui est irréfutable, c’est l’envergure de la sensibilisation et de la mobilisation dans le cadre de la lutte contre le VIH/SIDA qui ne peut être réussi sans des moyens matériels, financiers et humains. Comment ces moyens sont-ils utilisés pour toucher les populations concernées par la pandémie ? Les activités culturelles et sportives organisées dans l’espace scolaire, au village et en ville impliquent encore des moyens financiers qui dans certains cas constituent un enjeu qui voile les raisons sociales et humaines de ces manifestations culturelles et sportives. À force de festoyer, de poursuivre d’autres fins, on finit par oublier les malades et les personnes affectées. Manifestement cette richesse générée par le SIDA est une sécrétion de l’immoralité. Il faut en ce moment faire fi de toutes les considérations déontologiques et éthiques pour créer et accumuler de la richesse à partir de l’état morbide des personnes infectées. Il suit de là une certaine fracture entre les agents chargés de la sensibilisation, des soins, du suivi des malades et les malades eux-mêmes. Comment les malades perçoivent-ils les agents de santé, les agents des ONG… richement habillés, dotés de moyens logistiques impressionnants ? La certitude invincible ici est l’existence d’un complexe d’infériorité, d’une certaine forme de condescendance à l’égard des personnes infectées ou malades du SIDA.

Il existe par ailleurs une autre fracture qui meuble l’ignorance des populations et transpose géographiquement le phénomène de la richesse et de la pauvreté. Le mythe de la supériorité de l’Occident sur l’Afrique aidant, il n’est pas rare d’entendre dire que « les malades du SIDA sont au sud et les médicaments sont au nord » Imaginaire ou arbitraire, ce jugement se fonde sur la richesse en tant que critère de supériorité. Là encore, il faut de la richesse pour rechercher et produire des médicaments qui n’arriveront que tardivement au grand nombre de malades situés au sud. Cette forme d’appropriation du SIDA enrichit l’imaginaire, conforte les partisans du déni, crée le doute et diminue les stratégies de lutte contre la pandémie. Si le déni gagne du terrain on ne peut pas nier l’existence de cette mentalité qui structure le VIH/SIDA en maladie à la fois invalidante, qui appauvrit et enrichit. L’on comprend aisément l’avancée du déni qui relève de la destruction alors que le combat contre le SIDA est du ressort de la construction

La vision ambivalente qui se dégage de ce constat constitue sans doute une alerte pour toutes les personnes impliquées dans la lutte contre le VIH/SIDA.

La perception de la maladie qui appauvrit qui s’oppose à la perception de la maladie enrichissante est le signe d’une certaine résistance des idées reçues face aux efforts conjugués pour éradiquer le VIH/SIDA. Appauvrir et enrichir à la fois, relèvent de la dialectique de l’unité et de la lutte des contraires sur un terrain fertile dans la mesure où, il occasionne la rencontre des personnes de sexes opposés, d’âges différents, de professions identiques ou non, etc.

L’alerte, c’est aussi le cas de l’école censée accueillir et former des enfants, mais qui ne peut s’opposer à la cohabitation des idées contradictoires sur le VIH/SIDA.

L’introduction des thèmes sur la pandémie dans les programmes d’enseignement à l’école doit concourir à une forme d’assainissement de l’esprit des élèves en matière de prise en charge de leur santé et de celle des autres. Mais, le déni constaté auprès de certains élèves et enseignants constitue une inquiétude, car celui qui ne croit pas à l’existence du VIH/SIDA ne peut ni informer, ni sensibiliser objectivement sur la pandémie. Or, il est impossible de nier la place prépondérante de l’enseignant dans le processus d’apprentissage à l’école.

Dans ce cadre nous percevons l’école comme un lieu d’enrichissement par la connaissance nécessaire à la lutte contre le VIH/SIDA. À l’opposé, le déni et le scepticisme constatés à l’école ne peuvent être que des obstacles qui appauvrissent dans cette lutte.

Dr Hamadoun Hassèye TOURE

 

Chargé de cours d’anthropologie de l’éducation et de philosophie africaine aux Départements des Sciences de l’éducation et de Philosophie. Faculté des Sciences Humaines et des Sciences de l’éducation de l’Université des Lettres et Sciences Humaines de Bamako.

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3 COMMENTAIRES

  1. Pauvre de toi!! Et heureusement que personne ne réagit à cet indigeste cours de…trouille et de pédantisme 😆 😆 😆 !!!

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