Victimisation dans les marchés de Bamako : Les précisions et conseils du Docteur Brehima Kansaye

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Il est notoire qu’à Bamako, comme dans nombre de capitales africaines, les populations demeurent sous la dure férule d’escrocs sans foi ni loi, d’invétérés voleurs qui sont prêts à tout pour commettre leur forfait. Et, hélas c’est un constat général, le marché est devenu leur lieu de prédilection…Bourema Kansaye, docteur en criminologie, offre dans les lignes qui suivent une lecture assez poussée du phénomène, propose des mesures préventives et prodigue des conseils.   

 Comme tout endroit qui concentre un nombre important d’individus, le marché n’est pas fréquenté uniquement par des hommes et femmes honnêtes, soucieux d’une meilleure interaction. Il est aussi le lieu qui exerce une attirance particulière sur des individus malintentionnés, à la recherche du gain facile et de victimes peu averties et très souvent naïves. C’est ainsi que chaque jour, plusieurs personnes se font dépouiller de leurs biens (argent, téléphones portables, documents personnels…). Ces activités criminelles victimisent de nombreuses personnes et ont tendance à s’intensifier à l’approche des fêtes, moment où les commerçants et les clients s’y rendent en grand nombre, munis pour les uns de leurs marchandises précieuses et pour les autres de leurs économies de plusieurs mois voire de plusieurs années.  Le marché est de ce fait un lieu qui exerce un attrait particulier  aussi bien sur les clients ordinaires que sur les délinquants, notamment les voleurs à la tire souvent très jeunes, mais expérimentés ou encadrés, les escrocs très perspicaces rusés et les fraudeurs de tout genre.

 La grande concentration de personnes rendant difficile le déplacement dans le marché, le contact souvent physique et les bousculades entre les personnes qui y circulent sont inévitables.

Pour être victime de vol ou d’escroquerie, les criminologues pensent qu’il faut être porteur de certains traits particuliers de personnalité et/ou adopter des comportements et attitudes qui  attirent l’attention des délinquants. Les personnes à risque de victimisation dans ces lieux publics sont des clients très jeunes (des enfants) et non accompagnés, connaissant mal le marché et ses mœurs, et qui passent beaucoup de temps à la recherche des objets à acheter. Ils représentent des proies faciles pour ces voleurs et escrocs expérimentés. Il s’agit également des personnes âgées faibles physiquement qui cherche une assistance dans le marché pour retrouver et acquérir certains articles.

 Les jeunes filles et les femmes, les soi-disant « gros bonnets » sont plus exposées à devenir des victimes faciles de vol ou même d’agression physique, surtout celles d’entre elles qui se déplacent dans le marché avec un sac luxueux à l’épaule ou un porte-monnaie à la main.

Par exemple, les « filomans » (qui sont des escrocs très rusés) détectent, poursuivent et escroquent les personnes qui se caractérisent par leur cupidité, leur suggestibilité, et ayant une tendance accentuée à vouloir le gain facile. Leurs victimes se recrutent en grand nombre généralement parmi les femmes, les jeunes filles, les enfants et les personnes peu familières avec les mœurs de Bamako et avec la vie urbaine (comme les étrangers et les ruraux qui viennent faire leurs achats). L’inattention est l’un des facteurs importants de victimisation dans le marché de Bamako. En effet les voleurs sont très perspicaces, parce que très intéressés, et « travaillent » souvent leurs victimes pendant des heures en attendant le moment de la plus grande inattention.

Les victimes peuvent être suivies souvent bien avant leur entrée dans le marché. Si la victime semble être un « gros poisson », elle peut être travaillée simultanément par plusieurs voleurs, qui utilisent souvent la tactique de la bousculade provoquée, permettant de mettre la victime dans un état qui altère irrémédiablement son attention pendant un certain moment.  Très souvent la victime potentielle est celui ou celle qui depuis la « SOTRAMA » ou le bus a fait voir aux occupants du véhicule, au moment de payer les frais de transport, tout le contenu de son porte-monnaie. Les voleurs qui « travaillent » dans le transport public la repèrent et la filent jusqu’au lieu ou au moment le plus propice pour le forfait ou passent l’information à ceux qui évoluent dans le marché.

 Le temps de fréquentation du marché peut constituer également un facteur important de victimisation. Par exemple, les personnes qui se rendent au marché aux heures de pointe quand la bousculade provoquée ou réelle est très possible, et aussi tout juste à la veille de la fête. Les risques de victimisation sont assez grands également pour ceux qui fréquentent le grand marché à des heures tardives. Comme il a été dit ci-dessus les périodes de fêtes, comme les jours fériés sont très propices à la victimisation dans le grand marché de Bamako. Les périodes de grande chaleur sont aussi des facteurs de victimisation beaucoup plus que la période de froid, du simple fait que pendant le froid le mode vestimentaire donne plusieurs possibilités pour mieux dissimuler les objets et argent sur soi, alors que la grande chaleur non.

 La victimisation des commerçants aussi est un problème réel. Ils sont victimes très souvent de vol, notamment pendant les moments où un nombre important de clients se trouvent dans la boutique ou autour de l’étalage. Les voleurs n’hésitent pas à profiter de ce moment favorable. Ils recourent généralement à la tactique infaillible du harcèlement quand plusieurs personnes tentent d’attirer en même temps l’attention du commerçant. Parmi les commerçants et étalagistes, les victimes se multiplient pendant les fêtes.

 On peut relever plusieurs types de victimes au grand marché :

–          la victime honteuse (dans les vols et escroqueries, qui révèlent la sottise ou la malhonnêteté de la victime) ;

–          la victime latente (qui ne parle jamais de sa victimisation, ne la signale pas à la police, elle contribue à alimenter le chiffre noir de la criminalité) ;

–          la victime récidiviste (celui ou celle qui n’est pas à sa première victimisation et qui semble avoir un attrait particulier pour les voleurs escrocs, etc.).

–          la victime-criminelle (avant d’être victime, la personne a participé à une activité illégale) ;

–          Les fausses victimes (celle ou celui qui se dit être victime de vol ou d’escroquerie dans le marché sans fondement pour des raisons qu’elle est seule à savoir)

 Quelques conseils pratiques aux usagers du Marché

 Avant d’entrer au marché, il faut vérifier que votre argent est à un endroit sûr (de préférence il faut faire cette vérification depuis la maison). Vous ne devez le faire sortir de cet endroit qu’au moment de l’achat. Evitez de mettre l’argent dans la poche arrière de votre pantalon ou dans celle de votre chemise. Les jeunes filles et les femmes ne doivent en aucune manière garder de l’argent et des objets de valeur dans le sac à main qui représente toujours la première cible des voleurs à la tire. Faites accompagner toujours vos enfants de moins de 15 ans par un adulte quand ils vont faire leurs achats au grand marché. En allant au marché, ne mettez jamais la somme destinée aux achats avec vos frais de transport dans le même portefeuille.

 Une fois au marché, évitez les attroupements, qui sont souvent artificiellement organisés pour provoquer la bousculade ou même la bagarre. Les pièces d’argent que vous désirez donner en aumône aux mendiants doivent être gardées à part, et surtout ne faites pas sortir toute la somme d’argent que vous possédez quand vous payez vos frais de transport. Le téléphone portable doit être mis à un lieu assuré, sinon ne le prenez pas avec vous. Il est recommandé de ne pas converser au téléphone dans les lieux d’attroupement, surtout quand vous possédez un des modèles de téléphone portable les plus convoités. Ne répondez aux provocations à la bagarre et ne permettez pas à vos agresseurs de vous isoler. Si l’agression est inévitable frappez le premier avec tout objet que vous aurez sous vos mains et criez au secours.

 Rôle de la police dans la prévention de la victimisation au grand marché

 Il est difficilement envisageable qu’un pickpocket soit pris en flagrant délit dans le grand marché de Bamako comme dans les grandes gares. On sait bien que cette action criminelle se déroule dans le temps de manière éclaire, et les auteurs se diluent très rapidement dans la foule du marché. Il est aussi impossible aujourd’hui de faire surveiller par des agents de police, quotidiennement, tout le territoire du grand marché ; alors le moyen le plus efficace pour appuyer la présence policière et prévenir les vols à la tire et à l’étalage au grand marché ainsi que dans les grandes gares de Bamako, est à notre avis, l’installation de caméras de vidéo surveillance uniquement dans un but d’observation, conformément aux lois et règlements en vigueur, sans enfreindre aux principes de respect de la vie privée. Ainsi, il est possible dans un premier temps d’utiliser des caméras de surveillance réelles avec un poste d’observation contrôlé par un policier. Dans un second temps, après quelques périodes écoulées, même le moulage de caméra doit suffire pour dissuader les voleurs, les escrocs et autres sujets malintentionnés sévissant dans les endroits couverts par ce genre de surveillance.

Bouréma Kansaye

Docteur en criminologie

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