Le neuvième anniversaire d’ATT au pouvoir, après la parenthèse de mars 1991, continue de faire des vagues parmi les Maliens. Le milieu intellectuel non plus n’y a pas échappé. Répartis entre " pro " et " anti ", chacun y va de son plaidoyer ou de son requisitoire pour peindre le tableau des neuf ans du grand batisseur des routes et des ATTbougou. Le Malien de Haiti que je suis, loin du pays, n’a que ses yeux pour lire à travers la toile mondiale et prendre sa plume pour réagir.
Que dit Bakary Mariko dans cette contribution pour qu’un ancien Ministre, rangé dans le placard des oubliettes deécide de monter au front ? En effet, l’auteur qui n’a pas mis de gants, a fustigé la gouvernance ATT, en dénonçant le népotisme, la corruption, le laisser-aller, avant de conclure: «Pour ma part, ATT n’a pas été à la hauteur de nos souhaits car il a eu toutes les cartes en main pour faire le Mali et changer les Maliens, mais il n’a jamais su prendre les bonnes décisions pour la majorité silencieuse. Mais aussi par rapport au choix de ses hommes…»
En prenant connaissance de la reaction du Ministre Traoré à l’article de Bakary Mariko, dont je précise d’emblée que je ne partage pas tous les points, je suis resté sur ma faim. En effet, dans une tentative surhumaine, le plaidoyer citoyen du Ministre a peché par un manque de rigueur scientifique : un plaidoyer pour qu’il soit crédible, au-dela d’une opinion, doit comporter des faits et des exemples verifiables et objectifs. A mon humble avis, M. Traore en sa qualité d’ancien Ministre de l’agriculture et expert aurait dû rester dans son role en demontrant par exemple en quoi est ce que les neuf ans d’ATT ont eu un succès dans le domaine de l’agriculture dont il avait la charge dans le gouvernement. Justement parlons-en d’agriculture: M Traoré egrène avec volupté des statistiques dont il est fier. Il écrit : «Dans un autre domaine où je suis davantage à l’aise de parler, le Président ATT a fait faire au Mali des bonds prodigieux. L’Agriculture au Mali a connu des progrès sensibles, sur le plan de la production, de la productivité et de l’organisation institutionnelle et législative. La production est passée de près de 2.000.000 tonnes de céréales en 2002 à près de 6.500.000 tonnes en 2010…». Cependant, il ne nous explique pas si ces chiffres ont réduit notre dependance alimentaire vis-à-vis, par exemple, du riz asiatique. Il ne dit pas non plus en quoi cette performance agricole a-t-elle eu un impact sur le panier de la menagère. Non, Monsieur l’expert agricole, le riz n’a jamais été aussi cher au Mali! M. le Ministre peut-il juguler sur des statistiques qui n’ont pas eu l’impact esperé sur le Malien lambda? Ne parlons même pas de l’Initiative riz qui fâche tout le monde. Sinon M. le Ministre aurait pu nous entretenir sur cette heureuse initiative, lui qui est doublement qualifié pour cela car expert en la matiere et ministre de l’Agriculture ?
Dans le domaine de l’éducation, Seydou Traore ne peut pas ne pas reconnaitre l’echec d’ATT au risque de se ridiculiser. Il confesse, à demi-mot, en écrivant: «Les problèmes de l’école malienne ne datent pas de 2002. Les solutions apportées jusque-là sont inopérantes parce qu’effectivement le "tête à tête" Gouvernement – AEEM perdure et se consolide en mettant complètement hors jeu la famille qui est le premier lieu d’éducation de l’enfant…».
Sur les autres points, notamment en matière de sécurité, de lutte contre AQMI au Nord-Mali, la diplomatie et l’emploi des jeunes, notre Ministre, par souci de loyauté envers son ex-employeur, tenta, dans une longue de plaidoirie digne des temps «staliniens» de démontrer que le grand «timonier» «bâtisseur» de tous les temps, a été l’homme providentiel pour la nation malienne. Sa plaidoirie commence par une leçon de morale d’un père à ses enfants. Il ecrit «…La gestion du Mali n’est pas aisée car c’est une terre de vieille civilisation, un Etat – nation comme il est rare d’en trouver aujourd’hui en Afrique…». Sur la même lancée, il continue «… L’analyse du bilan de la gestion du Mali mérite donc plus qu’un coup d’œil, elle doit se faire après une évaluation approfondie de nombres de déterminants et facteurs socio-économiques, historiques et géostratégiques qui ont impacté sur les indicateurs de performance ».
Les 9 ans d’ATT à Koulouba schématisés en trois faits divers
L’histoire ne nous dit pas si Monsieur Traoré, a, entretemps, fait cette évaluation approfondie qui lui a permis de défendre la gestion des neuf ans d’ATT. Ainsi Le Ministre Traoré rappelle à ceux qui ne le savent pas encore ou qui sont de mauvaise foi que « la nation malienne s’est consolidée sous ATT dans le respect des diversités qui la caractérisent…» que « ATT est un Président pétri de l’histoire de son pays ». Monsieur Traoré pousse l’audace jusqu’à piocher dans un champ dont il ne connait ni la nature ni même ce qu’on y cultive : concernant la nebuleuse Al Qaida, il écrit «Le Mali ne sera jamais ni le bastion d’AQMI, ni l’épicentre du trafic de drogue mondial », avant de s’embourber dans les dédales de sa plaidoirie en se questionnant si le Mali a les moyens de sa politique: « …Alors le débat aujourd’hui est plutôt de savoir qu’est ce qui entrave la dotation de l’armée malienne en équipements de pointe opérationnels contre le terrorisme ? L’insuffisance du budget ? La réticence des puissances occidentales de vendre des armes sophistiquées de lutte anti- terroriste au risque de voir ces armes retournées contre les peuples ? Ou plutôt leur volonté de demeurer indispensable dans le cadre d’une guerre géostratégique de repositionnement pour les matières premières? »
En conclusion de sa plaidoirie dont je fais l’économie des autres thèmes abordés, Seydou Traore nous invite à chanter avec lui l’hymne dédié à ATT: « Le Mali pluriel a rayonné de mille feux pendant neuf ans par le fait de son génie et ATT y a contribué et accompagné le processus »
Revenant sur les différentes manifestations et le battage médiatique liés à l’évenément, je schématiserai les neuf ans d’ATT à Koulouba, à travers trois faits divers dont les deux sont racontés par lui-même, avec la permission des « pro » et des « anti » ATT.
Premier fait divers : ATT explique dans un style dont lui seul a le secret, rapporte un journal de la place, comment il a été escroqué d’un terrain acquis à Yirimadio pendant qu’il est Président de a République. L’histoire raconte qu’il a pu récuperer son terrain, mais qu’il n’a pas porté plainte. La leçon de ce fait divers est qu’ATT tient et honore toujours sa parole donnée : pas question d’humilier un chef de famille, fût-il un escroc devrais-je ajouter.
Cela nous ramène à la sempiternelle question : qui viendra combattre la corruption au Mali ? La question de la lutte contre la corruption n’est-elle pas un leurre ? Quel message ATT voudrait-il faire passer dans ses récentes décisions de nominations et de remplacements au niveau de certaines structures sensibles de l’Administration ? Pourrions-nous espérer une reelle volonté de changement dans la gestion de la chose publique ou ne fait-il qu’animer la gelerie ?
Deuxiè me fait divers : ATT raconte, toujours selon un journal de la place, au sujet de ses relations avec l’ancien Président Moussa Traore, qu’il le voit et le consulte régulièrement et meme quand il ne pleut pas, il lui demande de faire des bénédictions pour qu’il pleuve… La leçon de cette histoire d’amour est on ne peut plus claire: ATT est et reste redevable de son ex-employeur pour services rendus: N’est-ce pas une preuve qu’ATT continue de vouer de l’admiration, voire de l’adoration à son ancien employeur et maître, Moussa Traore, et à tous ses proches collaborateurs ou amis. La liste des « indispensables » du régime de Moussa Traore, revenus aux affaires, est longue.
Voila qu’au crépuscule de son règne, il nous « gratiifie » de cette blague de mauvais goût qui humilierait en premier chef les parents des victimes de Mars 1991. A-t-il pris la mesure de ce fait divers ou a-t-il voulu signifier aux parents des victimes que son ex-employeur et bienfaiteur Moussa Traore ne pouvait tuer une mouche ; donc ne saurait être responsable de ce qui est arrivé pendant ses 23 ans du regime?
L’affaire des généraux
Troisième fait divers : L’affaire des généraux : un général debarqué de son poste de Directeur Général utilise l’arène mediatique pour régler ses comptes à son général de Ministre qu’il qualifie au passage de félon et de traître. Un officier de l’armée répond à l’indélicat général de police par des mots aussi deplacés que discourtois, nous rappelant au passage que notre général mécontent n’est qu’un sac à dos qui n’est bon que dans son rôle de toujours : commandant de la circulation routiere. Du jamais vu sous les trois républiques du Mali. Des officiers supérieurs des forces armées et de sécurité qui violent le pacte de réserve pour laver leur linge sale au bord du Djoliba. Bien malin celui qui pourra nous dire l’état d’âme de notre cher général – président suite à ces déballages qui, en definitive, ne visent que sa propre personne.
Ces trois faits divers sont révélateurs de la déliquescence de l’autorité de l’Etat sous le règne ATT. Cela montre aussi à quel point celui qu’on appelait affectueusement en 1991 «ATT an be sa ino fè» n’a pas été capable d’appliquer le «kokaje» chanté et glorifié en 1991. Il a échoué sur l’essentiel : la formation à l’émergence du Malien nouveau que le peuple a voulu et que le 26 mars incarnait. Malgré les innombrables infrastructures, routes, ponts, logements sociaux ATTbougou, le Malien a toujours faim et même très faim, la corruption gangrène, avec force et en toute transparence l’Administration malienne, l’école est et demeure, hélas, encore dans le treéfonds de l’abiîme. Est-ce cela que nous voudrions léguer aux Maliens du centenaire ?
Yachim Yacouba MAIGA