Au Mali, un forum participatif veut contribuer à ce que la population se réapproprie l’exploitation des mines d’or, une des richesses du pays.
Au Mali, la collectivité territoriale nommée Cercle de Kéniéba est en train de devenir la nouvelle vitrine minière d’Afrique de l’Ouest. L’or, en particulier, y est très convoité, avec plusieurs mines récemment ouvertes. Or cette exploitation, gérée par des sociétés privées associées à l’État malien, s’effectue sans que les populations et les ONG du pays aient leur mot à dire, alors qu’elle a des conséquences environnementales et sociales néfastes. Selon nous, c’est aux populations locales de bénéficier au premier titre des retombées économiques de l’exploitation minière, et de maîtriser et prévenir ses éventuels effets néfastes sur le milieu de vie.
Afin d’informer les populations et de faire reconnaître la légitimité d’une gouvernance démocratique de projets industriels ayant d’énormes conséquences sociales et environnementales, l’Association des ressortissants du Cercle de Kéniéba, l’ARKF, a décidé de lancer un forum participatif en s’appuyant sur l’expérience d’ONG comme les Amis de la Terre, qui ont effectué en 2003 une mission d’étude, financée par la Banque mondiale, sur le site de la mine d’or de Sadiola, au Mali.
Une collectivité de 195 000 habitants
Le Cercle de Kéniéba est une collectivité de 12 communes située à 240 kilomètres au Sud de la ville de Kayes, près des frontières avec le Sénégal et la Guinée. Environ 195 000 personnes appartenant principalement aux ethnies Malinké (75 %), Peul (15 %), Diakanké (5 %), Dialonké (1 %) et allochtones 4 % (Bambara, Bozo, etc.), y vivent, dont 49 % hommes, 51 % femmes, dont 25 % de jeunes de 15 à 35 ans. Le relief y est accidenté, avec une succession de plateaux, de petites montagnes et de collines.
C’est là que se nichent des gisements minéraux aux immenses potentialités. L’or d’abord, puisque la région fait partie de la ceinture aurifère d’Afrique de l’Ouest, dont les réserves sont estimées à plus de 1 000 tonnes : le Mali est le troisième producteur africain d’or après l’Afrique du Sud et le Ghana, avec une production de 54 tonnes en 2009. S’y ajoutent des gisements d’uranium – 5 000 tonnes rien que sur le territoire de la commune de Faléa, au Sud du Cercle de Kéniéba –, de bauxite, de diamant, de fer, cuivre, argent, plomb, zinc, nickel, etc.
Les gisements d’or ont fait l’objet, depuis 11 siècles au moins, d’une exploitation artisanale à l’Ouest, dans la plaine de la Falémé, et au Sud-est, par extraction directe de la terre ou de la roche (en creusant des puits). Cette filière traditionnelle occupe approximativement encore entre 100 000 et 200 000 personnes et produit de l’ordre de 3 tonnes d’or par an.
Loulo et Tabakato
Deux mines industrielles d’or, ouvertes ces dernières années, concurrencent l’orpaillage traditionnel dans le Cercle de Kéniéba. La première est exploitée par la Société des mines de Loulo (SOMILO SA), détenue à 80 % par la firme sud-africaine Randgold Resources et à 20 % par l’État malien. Inaugurée en novembre 2005 sur la commune de Loulo, cette mine produit annuellement environ 10 tonnes d’or et emploie 1 446 personnes, dont plus 1 000 maliens. Une deuxième mine du Cercle de Kéniéba est contrôlée par la Tambaoura Mining Company (TAMICO & SEMICO SA), propriété à 80 % du canadien Avion Gold Corporation (part rachetée à la société canadienne Nevsun Resources Ltd en 2008) et à 20 % de l’État. Cette exploitation, lancée en mai 2006 mais interrompue deux ans, se trouve sur le site de Tabakoto, près des communes de Sitakili et de Kéniéba. Elle extrait environ 2 tonnes d’or par an. Près de 670 maliens et une cinquantaine d’expatriés y travaillent.
Dans chaque cas, la participation de 20 % de l’État malien offre divers avantages aux firmes détentrices des titres miniers, parmi lesquels la libre conversion et le transfert à l’étranger des bénéfices nets, et la liberté d’exporter des produits miniers. Le gouvernement s’est engagé de plus à ne pas exproprier les titulaires de titres miniers, ou de ne le faire que contre dédommagement.
En revanche, l’implication de l’État ne garantit pas une gestion transparente des revenus du secteur. En 2007, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) a publié le rapport d’une mission internationale d’enquête qui soulignait les effets négatifs de la politique minière malienne pour le développement du pays. L’or malien, le moins cher d’Afrique en raison notamment des exonérations fiscales, d’un code minier avantageux et de salaires peu élevés, profite avant tout aux compagnies minières.
Il faut dire que l’implantation des mines s’effectue moyennant une simple consultation préalable des populations vivant sur les sites concernés. Dans les faits, la plupart des gens sont mal informés, en raison de difficultés d’accès à l’information (éloignement, coût, barrière linguistique), du manque de transparence (clause de confidentialité dans les contrats miniers) et de l’absence des budgets dévolus aux administrations en charge de cette consultation.
Un gros impact environnemental et sanitaire
Or ces mines ont un impact important sur l’environnement et la santé des populations, comme en témoignait en 2007 le livre « L’or africain », du journaliste suisse Gilles Labarthe. Chacune utilise un espace de plusieurs kilomètres carrés. Elles détruisent la biodiversité, polluent les eaux et l’air par des produits toxiques comme le cyanure. En juin 2003, le maire de la commune où se trouve la mine de Sadiola, près de Kayes, indiquait : « Le taux de cyanure total du puits de contrôle BH1 s’élève jusqu’à 0,5 mg/l à la saison des pluies 1998, révélant une contamination des eaux de surface à cette période. (L’étude d’impact environnemental Envirolink 1994 préconise un taux de cyanure total maximum de 0,1 mg/l pour les eaux de boisson). Nous constatons de nombreuses fausses couches et décès d’enfants en bas âge dans les villages les plus exposés lors des débordements des bassins à boues, mais aussi la perte de cheptel ovin et bovin, la perte de terres cultivables, la violation de nos sites sacrés… »
Les cas de maladies professionnelles parmi les ouvriers ne sont pas reconnus et mal pris en charge. Des menaces sur le tissu social et les modes de vie sont aussi visibles, du fait de tensions entre les populations et les exploitants, comme l’ont montré les violentes manifestations de juillet 2009 à Loulo. Alors qu’il aurait été logique, du point de vue économique, de financer, à partir des rentes de l’État et des taxes sur les bénéfices miniers, un Plan de développement local de long-terme (PDL), rien de tel n’a été proposé.
Informer et sensibiliser l’opinion publique
Dans ces conditions, l’ARKF souhaite contribuer au développement économique et social durable, à l’échelle du Cercle de Kéniéba, par un suivi des activités minières et de leurs impacts. Les objectifs sont de protéger la santé des populations, de préserver l’environnement et le patrimoine culturel, de développer l’économie locale (emploi, infrastructures, désenclavement, scolarisation et formation) et de promouvoir les droits des mineurs et communautés locales.
Pour cela, nous proposons d’informer et de sensibiliser l’opinion publique malienne et européenne sur les risques et les conséquences de l’exploitation industrielle des mines. De plus, il nous paraît nécessaire que les populations se réapproprient ces ressources minérales via un forum participatif en lien avec des initiatives incitant les industries extractives à la transparence sur les revenus qu’elles perçoivent dans le pays : coalition « Publiez ce que vous payez » (PCQVP), programmes des ONG Oxfam [8], GRDR et Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE). Le forum a pour buts de restaurer le dialogue entre les parties prenantes, d’assurer l’accès de tous à l’information, d’accroître la transparence de l’information issue de l’industrie et de prévenir les abus de la gestion des ressources.
Dans un premier temps, nous visons à réunir et mobiliser, autour des différents problèmes posés par l’exploitation minière, notamment celle de l’or dans le Cercle de Kéniéba, tous les acteurs concernés : populations locales, ministères et services techniques compétents, sociétés minières, « juniors d’exploration » (acteurs de la prospection cherchant à localiser un gisement), petits opérateurs miniers maliens, collectivités territoriales, société civile et presse. Cet espace de réflexion collective traitera aussi bien des conséquences connues et potentielles sur l’environnement, la santé et le tissu social, que le développement d’autres potentialités économiques, la reconversion de l’économie locale, ou la remise en état des sites après exploitation.
Le forum proprement dit réunira environ 150 personnes à Sitakily, durant trois jours, du 11 au 13 octobre 2011. Actuellement, nous essayons de mettre en place une enquête auprès des 12 communes et villages associés pour caractériser les relations existantes entre les opérateurs miniers et les populations locales, qu’elles soient conflictuelles ou non. Le forum est l’occasion avant tout d’être un moment de rencontres privilégiées et de partage d’informations. La troisième journée sera l’occasion de discuter d’un certain nombre de problèmes et de commencer à apporter des réponses. Dans l’idéal, celles-ci seraient retravaillées par des comités locaux qui pourraient être mis en place lors du forum. Nous pensons restituer les résultats de ce processus de gouvernance démocratique à Paris et dans le département du Pas-de-Calais, partenaire financier du projet, afin d’accroître la visibilité du projet pour l’opinion publique française et la diaspora malienne et africaine.
Par Abdoulaye Ba, Secrétaire au développement et aux relations extérieures de l’Association des Ressortissants du cercle de Kéniéba en France (ARKF), président de l’association IDA (Intégrer, Développer, Agir), Siramady Sissoko, Secrétaire général de l’ARKF,
et Groupe Systèmes extractifs d’Ingénieurs sans Frontières