Le Jeudi passé, le Président de l’Association Malienne des Droits de l’Homme Maître Ibrahim Koné, était l’invité d’Afrique soir de RFI. Le débat était centré sur le renvoi du code des personnes et de la famille à une seconde lecture. A travers ses propos, un doigt accusateur fut pointé sur la Communauté musulmane sentie comme de vulgaires terroristes proférant des menaces de mort à l’endroit de défenseurs des droits humains.
En écoutant certaines parties de sa déclaration, personnellement, certains passages m’ont fait tressaillir. Car bien que régulièrement confronté à des cas de déculturation, aux jeux puérils de la presse occidentale sur les sujets africains, j’en ai rarement rencontré un aussi flagrant pour ne pas dire scandaleux. Nous citerons entre autres : « depuis qu’il y a eu les débats sur le Code des Personnes et de la Famille au Mali, les défenseurs des droits humains font l’objet de menaces de mort de la part de certains groupes, et nous considérons cela comme un recul ».
Quant à la question relative à une remise en question de la laïcité du Mali par un nouveau code issu d’une seconde lecture de notre Assemblée Nationale, les propos du Président de l’AMDH, Maître Koné, nous ont encore surpris : « le Mali est une République laïque, et cette laïcité est consacrée par notre Constitution. Mais aujourd’hui on ramène le débat sur le plan purement religieux. On voudrait imposer un code musulman d’après ce que nous avions constaté. Et là il faut faire extrêmement attention. Parce que si cela se passait, c’est vraiment le principe de la laïcité républicaine qui serait mise en question ».
D’abord, notre étonnement consistait à savoir pour quel impératif d’urgence s’imposait une telle sortie maladroite avec des propos incendiaires et alarmistes quant aux réactions de la Communauté musulmane alors qu’au même moment un malien neutralisé avec un Taser par la police française vient de mourir par asphyxie. Ce mutisme coupable et complice devant une telle violation des droits humains de l’homme illustre à merveille la politique de deux poids deux mesures en matière des droits de l’homme.
En référence à la sourate La vache verset 39 je cite « autorisation est donnée à ceux qui sont attaqués de se défendre, parce que vraiment ils sont lésés». C’est pourquoi, je me trouve dans l’obligation non pas de répondre aux propos diffamatoires et alarmistes, quels que soient l’élégance et la ruse avec lesquelles on les fait proliférer, mais tout simplement dans le but d’apporter une modeste contribution à l’éclairage d’une certaine compréhension non fondée faisant croire que notre réaction était une menace contre le principe de la laïcité du Mali.
Le Mali est un état laïc. Le Haut Conseil Islamique du Mali ne s’est jamais opposé au caractère laïc de l’état malien. Mais nous nous opposons à une laïcité sectaire, négative et intolérante. Si la laïcité consiste à faire en sorte que la religion ne soit pas imposée à tous, que les non-croyants et les autres confessions puissent exister et vivre leur différence sans partager forcement cette conviction, l’on pourra la respecter.
Mais le drame, c’est que le combat des tenants de la laïcité tend à repousser la religion, à lui interdire tout espace de vie et de mouvement. C’est là où le bât blesse, et c’est cette forme de violence pernicieuse et masquée, ces atteintes les plus graves dont la religion musulmane est la seule victime, que nous combattons. Vivre en laïc aujourd’hui, c’est vivre en mettant entre parenthèse l’essentiel, c’est-à-dire la spiritualité. La déclaration de Jules Ferry : « la laïcité, c’est organiser l’état sans Dieu » illustre cette assertion.
La laïcité n’a pas empêché les USA, d’avoir comme devise « In God we trust », en Dieu nous croyons. D’ailleurs cette même phrase est sur tous les billets de dollars.
Nous invitons les musulmans du Mali à l’union, à la cohésion et à l’entraide. Car c’est seulement l’union et la cohésion qui font notre force
Nous apprenons à Maître Koné qu’avant notre réaction, la première est venue de l’enceinte même de l’hémicycle par un grand avocat d’envergure internationale. Il s’agit de Maître Mountaga Tall dont voici quelques extraits de sa plaidoirie sur un état laïc et la religion.
« L’Etat laïc est l’Etat a-religieux, c’est-à-dire un Etat qui ne s’immisce pas dans les questions religieuses et qui est d’égal partage entre les différentes religions.
L’Etat laïc ne rejette pas les religions : ceci est le fait des Etats irréligieux.
L’Etat laïc intègre les religions dans la conduite des affaires publiques.
C’est pour cette raison que les Présidents des Etats-Unis d’Amérique jurent sur le livre sacré de leur religion. Après Barak Obama, qui a juré sur la Bible, le Sénateur musulman du Minnesota Keith Ellison a juré sur le Coran devant le Congrès américain.
Plus près de chez nous et pour la matière qui nous intéresse, le mariage religieux est légal au Sénégal et au Niger. Pour faire bonne mesure, précisons qu’il l’est aussi en Italie, en Pologne et dans certains cas aux Etats-Unis d’Amérique.
Ici même au Mali, qui oserait soutenir que l’existence des ordres d’enseignement chrétien et musulman est contraire à la laïcité de l’Etat ou à la Constitution?
Que l’organisation des pèlerinages musulmans et chrétiens par l’Etat est contraire à la laïcité?
Ou que la présence des plus hautes autorités aux cérémonies religieuses viole ce principe?
Cher Président de l’AMDH, tout ce que nous avons souhaité et demandé, c’est que la loi qui devrait régir notre existence en tant qu’être social soit conforme à nos aspirations profondes, à nos valeurs sociales et religieuses. Hélas, nous sommes désolés qu’un Président d’une structure aussi importante que l’AMDH, à court d’arguments, veut prendre le débat en otage à coups de stigmatisation, de dénigrement, de délation, de manipulation, et de désinformation. Cela est intolérable.
Cher Président de l’AMDH, ce n’est pas en agitant le spectre de la violence religieuse par le biais de menaces de mort que les musulmans du Mali seraient ces stéréotypes voulus et souhaités.
C’est d’ailleurs aux musulmans de donner la leçon sur la laïcité aux autres et non pas le contraire. Pour preuve, dans tous les pays conquis, l’Islam a toujours accepté la présence de nombreux et importants groupes professant d’autres religions. Mais en sens inverse lorsque par exemple les chrétiens eurent reconquis l’Espagne, tous les musulmans furent massacrés, convertis de force ou chassés. Et pourtant la présence de l’Islam sur le sol ibérique a duré prés de huit siècles. Ernest Renan, dans « Averroès et Averroïsme », a rendu un hommage aux premiers souverains andalous : « jamais conquérants ne poussèrent plus loin que les Arabes d’Espagne la tolérance et la modération envers les vaincus ».
Cher Président de l’AMDH, si tel est votre vision sur l’Islam et la Communauté musulmane, dont le seul crime est son opposition à un code « made in Occident », voici ce qu’Allah Dieu Tout Puissant nous juge à travers la sourate Al Imrane Verset 110 « vous êtes la meilleure communauté suscitée pour les hommes ; vous ordonnez le convenable, vous interdisez le mal, vous croyez en Dieu ».
A bon entendeur, salut.
Par Mohamed KIMBIRI
1er Secrétaire à l’Organisation du Haut Conseil Islamique du Mali
Secrétaire à la presse et à la Communication de l’AISLAM