Tribune : L’UNESCO et la Décolonisation

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Baba Akhib Haidara
Baba Akhib Haidara, médiateur de la République

Dans le cadre de ce thème qui se rattache à l’histoire, à la politique et à la culture il n’est peut-être pas inutile d’évoquer, très brièvement, le contexte historique de ce que l’on pourrait appeler la «rencontre de l’UNESCO avec l’Afrique noire».

1-Lorsque, après la deuxième guerre mondiale, les Nations victorieuses du Nazisme se réunissaient en 1945 à Londres pour jeter les bases d’une nouvelle solidarité intellectuelle et morale entre les peuples du monde entier en vue de contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationales, les Etats africains subsahariens, dans leur presque totalité, n’avaient aucune existence juridique souveraine. Les peuples Africains, en particulier les Négro-africains, étaient alors des peuples sans voix, sans dignités internationalement reconnue. Leurs cultures, inclusives de leur histoire, n’étaient donc pas représentées à cette occasion historique qui vit naitre, en 1946, l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture: UNESCO. Le premier Etat africain subsaharien, le LIBERIA, adhéra à l’UNESCO en 1947. II fut suivi par l’Ethiopie en 1955 et par le GHANA en 1958. L’entrée massive des jeunes Etats africains à L’UNESCO constituera l’événement majeur de l’histoire de cette Organisation dans les années 60, années de l’Indépendance pour la plupart d’entre eux.

Tandis qu’à l’ONU ces jeunes Nations cherchaient à conforter leur souveraineté internationale fraichement acquise, c’est à l’UNESCO qu’elles trouveront l’espace éthique de dignité et de solidarité ou pourront s’exprimer librement leurs sensibilités culturelles, leurs aspirations spirituelles et intellectuelles ainsi que leur propre vision du monde. L’accueil, par l’UNESCO, de ces cultures qui s’ouvraient au monde moderne a induit des effets multiples dans la pensée et les activités de cette Organisation et a contribué à en conforter et enrichir le caractère universel. C’est ainsi que les nouveaux besoins formulés non seulement par les jeunes Etats africains mais aussi par l’ensemble des pays dits du «Tiers Monde», allaient progressivement modifier en profondeur l’action et les perspectives propres de l’UNESCO, perspectives qui allaient passer, prenant également en compte l’évolution dans «les pays développés», de la «Reconstruction» sur les mines de la Guerre à des visions novatrices pour l’éducation, la culture et la communication.

II-En matière de cultures, l’appréciation mutuelle prônée par l’UNESCO allait orienter nombre d’études qu’elle entreprenait sur ce que l’Organisation a toujours considéré comme «patrimoine commun de l’humanité». En ce qui concerne, plus particulièrement, les cultures africaines elle lançait, à partir de 1965, le projet d’élaboration et de publication d’une «Histoire générale de l’Afrique». Dans le cadre des activités préparatoires à cet immense projet, il y eut un colloque d’experts, réuni à Abidjan (Cote d’ivoire) en Septembre 1966, qui consacra l’essentiel de ses travaux à «l’étude des sources orales et écrites propres à permettre l’élaboration d’une histoire générale de l’Afrique». Faisant suite à ce colloque, deux réunions importantes allaient se tenir, toujours sous l’égide de l’UNESCO, au NIGER et au MALI. La première regroupa des spécialistes en traditions orales africaines. Organisée à Niamey en Septembre 1967 elle se focalisa sur les méthodes relatives à la collecte, l’analyse, la traduction et la conservation des données ainsi qu’à la formation de spécialistes africains. En conclusion, elle recommanda le lancement d’un «projet régional en vue de la collecte systématique de la tradition orale des civilisations de la Vallée du Niger» d’une part et, d’autre part, la création d’un Centre de recherche et de documentation en tradition orale. Ce Centre verra effectivement le jour à Niamey sous le nom de CRDTO. La deuxième réunion d’experts, organisée à Tombouctou, en Novembre/Décembre 1967, fut consacrée aux questions relatives aux sources écrites de l’histoire africaine. Les travaux de la réunion de Tombouctou portèrent principalement sur les problématiques de la collecte des sources écrites, de la publication des textes constituant des sources pour la connaissance historique de l’Afrique, et de la création de centres de dépôts et d’archives pour la conservation des manuscrits. C’est dans ce cadre que fut conçue et réalisée la création, a Tombouctou, d’un Centre de documentation et de recherche historiques qui portera le nom de AHMED BABA (CEDRAB), un des plus illustres hommes de science et de culture qui, au 16e siècle, contribuèrent éminemment au rayonnement de l’Université de SANKORE.

III-Aux premières années de l’Indépendance, le MALI avait inscrit la question éducative dans la problématique générale de la décolonisation et de la construction nationale. Le passage du statut colonial à celui d’Etat souverain fut, dans ce pays, un grand moment de passion nationale. Volontaire, jaloux de ses antécédents historiques et culturels mais aussi conscient, à la fois, de son africanité et de son appartenance au vingtième siècle, le jeune Etat Malien se devait d’avoir une vision pour l’avenir du pays. Cet avenir ne pouvait se concevoir sans une réforme profonde du système éducatif laissé par la Colonisation. Un besoin impérieux de réhabiliter une personnalité et des cultures africaines trop longtemps frustrées par l’entreprise coloniale nourrissait les ressorts du combat pour une décolonisation globale. La grande Réforme de 1962 stipulait: « A l’heure de la Libération, l’une des premières tâches qui s’imposent aux nouveaux Etats indépendants est la restauration de la dignité de l’homme colonisé par une révision complète du système d’éducation hérité du régime colonial». Cette Réforme reposait sur des principes fondamentaux dont l’application allait permettre quelques réussites saluées comme telles par la Communauté éducative internationale, notamment l’UNESCO. A l’époque du lancement de la Réforme il n’existait pas, au Mali, de système d’enseignement supérieur au sens moderne du terme. Ce système a été crée dans le cadre de la Reforme et il fut construit, à partir de 1963, dans une démarche pragmatique et sectorielle, répondant au souci de lier, aussi étroitement que possible, la formation des cadres aux besoins du développement économique et social. La toile de fond de ce système, qui comportait un certain nombre d’Etablissements d’enseignement supérieur spécialisés, était constituée par l’Ecole Normale Supérieure (ENSup), institution spécialisée pour la formation des professeurs d’enseignement secondaire. L’ENSup bénéficia, dès sa création, d’un Projet d’appui de l’UNESCO. L’ouverture de cette grande Ecole coïncidait avec des créations analogues dans d’autres pays africains lesquels bénéficiaient du concours de l’UNESCO. Apres quelques années, qui virent les professeurs nationaux devenir majoritaires dans le corps enseignant du secondaire, le développement de l’ENSup posait à l’institution elle-même le problème de son propre encadrement national c’est-à-dire celui de la formation des formateurs de l’enseignement supérieur .La qualité de l’encadrement pédagogique et scientifique requis à ce niveau, la difficulté de disposer en permanence d’un corps professoral universitaire étranger et, aussi, les impératifs de la formation des cadres, autant que possible sur place, avaient conduit le MALI, en étroite coopération avec l’UNESCO, à concevoir et à expérimenter, dans le cadre et les structures de l’ENSup, une formule de formation, souple, économique et «non déracinante» appelée Centre Pédagogique Supérieur (CPS). La fonction principale de ce Centre fut la formation des professeurs d’enseignement supérieur. Le CPS commença à fonctionner en 1970 avec des étudiants doctorant en mathématiques, en énergétique, en microbiologie et en physiologie animale. En 1973 un jury international, composé de personnalités universitaires compétentes sélectionnées par l’UNESCO, reconnut ces étudiants dignes du grade de «Doctorat de spécialité». A l’occasion de la remise des diplômes aux premiers «docteurs» maliens ainsi formés sur place, l’UNESCO, répondant à la demande des autorités gouvernementales, acceptait d’assumer, en la personne du Sous-directeur General pour l’éducation de l’époque, la présidence d’honneur de la cérémonie officielle qui fut organisée. Si l’ENSup et son CPS avaient gagné un honneur conforme au sérieux du travail qui s’y était effectué, ce fut en grande partie grâce à l’intervention de I’UNESCO qui, dix ans durant, n’avait cessé d’apporter aide et assistance aux idées et expériences initiées par le MALI dans ce domaine. Né d’une volonté nationale, l’enseignement supérieur malien s’est réalisé et développé avec un concours extérieur dont la composante la plus significative fut celle apportée par l’UNESCO. Outre l’ENSup, la plupart des établissements d’enseignement supérieur maliens avaient pu en bénéficier des leur création. Certes I’UNESCO et le Système des Nations unies n’étaient pas seuls à intervenir et leur intervention ne s’était pas limitée à l’enseignement supérieur. Tous les autres ordres de l’enseignement en avaient été bénéficiaires. Quant à l’Aide bilatérale, diversifiée grâce aux multiples amitiés que le MALI avait su établir à son avantage, elle fut apportée par plusieurs pays qui avaient répondu, entre autres, à l’Appel lance dès 1960 à ses Etats membres «de contribuer par l’entremise de I’UNESCO au développement de l’éducation dans les pays d’Afrique»

IV– A l’image des plus hautes valeurs qui fondent sa Mission au service de l’homme la contribution de I’UNESCO s’est concrètement manifestée dans l’immense travail de décolonisation entrepris par les jeunes Etats africains tant sur le plan matériel et structurel que sur celui des mentalités. Cette contribution, qui porte la marque d’un haut esprit de responsabilité et de solidarité ainsi que celui d’anticipation, a bénéficié non seulement aux Etats qui venaient d’acquérir leur Indépendance, souvent dans des conditions de précarité extrême, mais aussi à des groupes qui subissaient encore le joug du Colonialisme et qui se battaient pour recouvrer leur liberté et leur dignité. C’est ainsi que les Mouvements de Libération nationale, reconnus et soutenus par l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) avaient pu recevoir, à travers I’UNESCO, des projets et programmes de formation dans les domaines de compétence de l’Organisation, notamment celui de l’éducation. Le but de cette formation était de préparer leurs cadres à l’exercice des responsabilités qui leur seraient confiées une fois la Libération acquise. Les Mouvements tels que I’ANC de I’ Afrique du Sud, la SWAPO (future NAMIBIE), le FRELIMO du Mozambique, le MPLA de I’ Angola, le PAIGC de la Guinée et du Cap vert ont tous tiré un bénéfice certain de ce soutien de l’UNESCO à la Décolonisation.

Baba Akhib Haïdara

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