Tribune libre : «Ne noyez pas notre avenir !»

0
Mohamed Salia
Mohamed Salia,CNJ

L’espérance d’une vie meilleure ailleurs s’invente trop souvent par des illusions et des manipulations, se paie au prix fort du racket et se solde de plus en plus par un naufrage. La mort à mi-chemin d’un rêve en carton-pâte ou au mieux, la survie entre des barbelés d’une prison provisoire d’accueil, à l’air libre. Juste à l’air libre. Pour subir ensuite, des mois durant, un «harcèlement bureaucratique» d’un possible pays d’asile, avec ce qu’il en résulte quelquefois comme conséquences : marginalisation, paupérisation, discrimination, etc.

Les classes politiques, tous pays confondus d’Europe et d’Afrique, savent, à chaque drame, témoigner alors de leur émotion, de leur compassion et pour les plus populistes, de leur consternation et de leur détermination à briser la machine infernale du crime maritime humanitaire organisé. Dénoncer les coupables est plus soulageant pour eux que de s’interroger sur leur rôle particulier de décideurs responsables de l’avenir de leur peuple, et de sa jeunesse. Faire énormément semblant de décider tient de l’hypocrisie –  un nouveau mode de gouvernance parmi d’autres – puisque rien ne sera finalement décidé. C’est ainsi que s’accumulent, catastrophes après tragédies, les gâchis humains, financiers et politiques, dus à la crainte, l’hésitation, l’indifférence ou la lâcheté.

L’Europe affiche aujourd’hui, un peu plus qu’hier, vouloir «sauver des vies, assurer le droit d’asile et refuser l’immigration illégale». Belle unité de façade «méditerranéenne» dont les applications, même renforcées budgétairement, se feront à la carte et aux intérêts de chacun de ses pays membres ! Les filières d’immigration clandestine, comme toute mafia en d’autres domaines corruptifs, ont au moins «un bateau» d’avance, plus maniable et plus rapide, sur le «torpilleur européen administratif» pour couler, outre leurs clients dans les bas-fonds, des jours heureux et juteux sur les côtes nord-africaines.

Face à ce «phénomène récurrent et institutionnalisé» de l’immigration, qu’en est-il des réactions et des actions de nos dirigeants continentaux ? Et de nos instances officielles nationales ? Puisque les candidats à l’exil – avec un taux significatif prévisible de mortalité en cours de parcours – partent de nos pays, de notre pays avec le désespoir comme seul bagage et l’illusion comme seul horizon.

Certes le monde, comme notre continent, face à des menaces de haute intensité, à des chocs stratégiques et des «multi-crises» (économiques, écologiques, démographiques, politiques, climatiques, énergétiques), jette à la face des individus – et donc des nations – des défis de plus en plus nombreux, voire violents et qui se multiplient. L’efficacité des acteurs politiques en souffre inévitablement et s’essouffle parfois jusqu’à l’épuisement d’autant que leur marge d’action diminue tant les chantiers d’urgence s’additionnent, sans les ressources supplémentaires pour les entamer et les achever. Diagnostic pessimiste, mais frappé de réalisme, qui n’excuse cependant pas la politique – donc ses acteurs – d’être paralysée par les enjeux et donc d’oser, d’oser encore, d’oser plus que jamais, malgré les pesanteurs !

La politique peut réussir à faire la décision, et conjurer le risque d’une déstabilisation, voire d’une désintégration. Cela passe certainement par une modernisation de fond en comble des modèles – traditionnels, pervertis, détournés, claniques, etc. – des dernières décennies et imposer des stratégies d’ajustement et de développement très ambitieuses, donc courageuses et non à caractère clientéliste. C’est au prix de cette mutation, et de l’émergence d’une classe politique rénovée, pragmatique, viscéralement républicaine et loyalement démocrate, qu’un état réussira son avenir, en se réformant dans un cadre national. Les candidats à l’exil seront alors moins nombreux ! Que la politique n’oublie cependant pas que le progrès, le changement et la modernité sont aujourd’hui portés par les citoyens. Ils n’accepteront pas plus longtemps d’être à côté de leur avenir et de voir sacrifier leurs libertés. C’est une des fonctions majeures de la politique que de rassembler et protéger ses concitoyens, à commencer par les plus démunis, les plus fragiles et les plus marginalisés.

Pour en revenir aux drames des noyades, il est légitime de s’interroger, encore ce jour, sur le silence des dirigeants de la planète, du peu d’empressement des institutions de la finance mondiale, à défaut de prendre des initiatives, à exprimer leur compassion et leur solidarité envers les familles endeuillées.

L’indifférence à la souffrance et à la désespérance de nos populations, dans toutes ses diversités, est inacceptable, injustifiable et intolérable. La classe politique ne peut pas et ne doit plus contribuer à l’explosion des inégalités entre les Maliens. La jeunesse, plus qu’une autre catégorie sociale, est en première ligne désormais pour l’empêcher. Et l’éradiquer.

J’appelle donc, au nom du Conseil National de la Jeunesse du Mali, toutes les personnalités du pays, à chaque niveau de décision, à ne pas «noyer notre avenir»… Et c’est sur nos rives maliennes, donc notre terre, que nous voulons le construire. Et vivre !

Mohamed Salia TOURE, Président du CNJ-Mali

Commentaires via Facebook :