Le mardi 6 Juin 1995, plus d’un an après l’élection de Nelson Mandela au poste de Président de la République, l’Afrique du Sud met fin à l’usage de peine de mort par une décision de sa Cour constitutionnelle.
L’implication personnelle de Nelson Mandela n’est pas étrangère à ce dénouement: cinq ans plus tôt, fraîchement sorti de prison, il a encouragé son prédécesseur FW De Klerk à adopter un moratoire sur les exécutions. Lors de l’inauguration de la cour en février 2015, le désormais président Mandela a ouvert son discours par des mots sans équivoque. « La dernière fois que je me suis présenté devant le tribunal, c’était pour savoir si je serais condamné à mort », a-t-il dit, faisant référence au fameux procès lors duquel ses compagnons de lutte et lui avaient craint pour leurs vies. C’était au début des années 1960.
Des décennies durant, l’Afrique du Sud a en effet exécuté des milliers de ses citoyens, majoritairement parmi sa population noire, figurant même pendant un temps aux premiers rangs des pays qui condamnaient le plus de personnes à mort.
Au moment d’annoncer la décision du tribunal, Arthur Chaskalson, son président, déclare: « Tout le monde, y compris le plus abominable des êtres humains, a droit à la vie, et la peine capitale est donc inconstitutionnelle. » Fait exceptionnel, chacun des 11 juges de la Cour rend public une opinion écrite soutenant la décision.
La nouvelle Afrique du Sud se situe alors à un tournant. Il marque un temps fort, une césure remarquable, dans l’utilisation de la peine de mort en Afrique. Avec elle, c’est tout le continent qui semble s’inscrire dans une tendance devenue peu à peu mondiale. Longtemps généralisée, la pratique de la peine de mort devient marginale. En 1999, 21 pays africains sont devenus abolitionnistes en droit ou en pratique. Parmi eux, 10 ont aboli la peine capitale et 11 sont sous moratoire.
Aujourd’hui, vingt ans après la décision de l’Afrique du Sud, 37 des 54 pays du continent sont abolitionnistes en droit ou en pratique, selon la Fédération internationale des droits de l’homme. Parmi eux, 18 ont aboli la peine de mort et 19 sont sous moratoire. En décembre dernier, à l’Assemblée générale des Nations Unies, 27 pays africains ont rejoint 90 autres du monde entier en votant en faveur d’une résolution appelant à une fin progressive de l’utilisation de la peine de mort. Cinq mois plus tôt, en Juillet 2014, à Cotonou, la capitale du Bénin, le continent a adopté une déclaration exhortant les pays où elle est encore pratiquer à « envisager l’abolition la peine de mort. » À l’Union africaine un protocole additionnel à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples sur l’abolition de la peine de mort, est à l’étude. Son adoption marquerait un autre moment majeur, qui inscrirait davantage encore le continent tout entier dans le sillage de Mandela, un de ses fils les plus illustres. Pourtant, à mesure que l’Afrique s’éloigne de la peine de mort, des développements inquiétants assombrissent l’horizon. Parmi eux, le maintien de la peine de mort obligatoire pour certains crimes dans une poignée de pays tels que le Kenya et le Nigeria. L’Ouganda, heureusement, a récemment entrepris d’expurger son code pénal de dispositions similaires.Autre problème persistant : l’absence de garanties juridiques pour des procès équitable. En Mars 2014, le Bureau du Haut-Commissaire aux droits de l’homme a exprimé sa préoccupation face à un processus judiciaire hâtif en Somalie, lors duquel neuf jours seulement s’étaient écoulés entre un verdict et les exécutions, privant les suspects de leurs droits à faire appel du jugement notamment. Plus visible ces derniers mois est la résurgence de la peine de mort dans des contextes marqués par une nette détérioration du climat sécuritaire. Face à la menace croissante de l’extrémisme violent par Boko Haram, le Nigeria a rejoint la liste des pays prescrivant la peine de mort pour des activités vaguement définis sous le label “terroristes”. Plus frappant encore, l’Egypte a adopté les procès de masse. En 2013, un tribunal a imposé la peine de mort à plus de 1.000 personnes dans le cadre de deux procès pour le meurtre présumé d’un policier et d’autres activités violentes. Ces développements rappellent la nécessité d’une sensibilisation renouvelée contre la peine de mort. En Afrique et dans le monde la tendance contre son usage est désormais claire, mais la mobilisation doit se poursuivre. Les dirigeants doivent faire partie du débat, tout autant que les acteurs de la société civile et les institutions universitaires. Ce faisant, tout le monde devrait connaître les faits, à commencer par ceux qui ne sont plus disputés. Tout d’abord, il n’y a pas de preuve concluante que la peine de mort a un effet dissuasif sur la criminalité, ainsi que tant que chercheurs dans différents pays l’ont montré. Les pays qui ont abandonné l’usage de la peine de mort n’ont pas, en général, enregistré une augmentation de leurs taux de criminalité. Deuxièmement, et fort malheureusement, la peine de mort est un châtiment des plus définitifs. Les meilleurs systèmes judiciaires du monde ont condamné des innocents mourir. Aux États-Unis 20 condamnés à mort ont été innocentés grâce à des tests d’ADN, selon Innocence Project, une organisation juridique à but non lucratif basée à New York. Enfin, nombre de condamnés à mort sont presque toujours et partout vulnérables en raison de la pauvreté, leur statut de minorité ou d’un handicap mental. Ce sont quelques-unes des nombreuses raisons pour lesquelles, aux Nations unies, nous croyons fermement, ainsi que le Secrétaire général le dit, que « la peine de mort n’a pas sa place dans le 21e siècle. » Ou, dans les mots simples du grand Madiba lui-même: « La peine de mort est un acte barbare. »
Par Ivan Simonovic *
Sous-Secrétaire général de l’ONU pour les droits de l’homme