Tribune : Le Mali face au processus d’Alger

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Celui d’une nation unie, réconciliée et émergente ou d’un territoire «somalibyanisé», entrainant dans son collapsus le reste du Sahel? Enième occasion manquée pour un pays à la recherche de lui-même ou véritable bifurcation issue de la conjonction miraculeuse d’un sursaut national, d’une gouvernance restaurée et d’un leadership à la hauteur des enjeux. C’est dire que la nation malienne joue gros. Pas seule, mais elle reste la première concernée. Doit-on en être encore à qualifier ou à noter ce projet d’accord ou faut-il se projeter dans l’après?

Le non-dit originel

Au-delà des contradictions, ceux qui ont pris le temps de lire le projet d’accord, et ceux qui ont ouï dire à son sujet, ont une position unanime: le Mali «d’après» ne ressemblera pas à celui qui nous est familier. Seule change la prédiction. Selon certains, le pire est à craindre: une dislocation du territoire; les autres espèrent qu’on en finisse avec l’instabilité et le far east même au prix fort : le risque annoncé par beaucoup de l’indépendance à terme d’une région du pays.

Confusément, et au-delà des analyses et des paris, nous avons en commun une angoisse quelque part, au-delà du Nord qui peut être perdu ou pas. C’est que le Mali, pour le meilleur ou pour le pire, ne ressemblera pas à celui de nos vieux et rassurants modes de fonctionnement. Dans tous les cas de figure.

Le principal verrou se situe donc dans les esprits : comment envisager un tel saut dans l’inconnu. Rendez-vous compte: des gouverneurs de régions élus en lieu et place des proconsuls qu’on a connus par le passé; des régions «librement administrées» qui pourraient s’appeler Azawad, mais aussi Beledougou ou Macina; l’hypothèse que le Mali ne se résume plus à Bamako, ce véritable trou noir (au sens qu’en donnent les astrophysiciens). Car toute ressource ou moyen qui arrive au voisinage de la capitale est irrésistiblement aspiré pour n’en plus ressortir.

Une révolution copernicienne pour l’administration (c’est encore à Koulouba que l’on délibère sur le schéma directeur de l’urbanisme de Kadiolo), un choc systémique de plus pour les forces armées qui n’auront pas fini d’encaisser des «gravitationnels», une terre inconnue pour la société civile qui manifeste en même temps pour le statu quo et la mutation, une équation à multitudes d’inconnues pour des élites dirigeantes formatées pour d’autres champs de bataille, un film sans bande annonce pour les populations réduites au tragique spectacle de leur propre destin, mais avec une certitude: cette fois tout pourrait changer.

D’où la résistance la plus complexe à réduire: celle qui commande la peur de perdre aussi bien le recul devant la possibilité de gagner si la victoire doit impliquer de nouvelles parties décisives à disputer.

Au pied du mur

Pour ce coup-ci, il serait imprudent de faire semblant et les marchés de dupes vont s’avérer particulièrement périlleux. Car signer pour ne pas appliquer, et c’en sera fait de l’intégrité territoriale, au minimum pour ce qui concerne le grand triangle septentrional.

Aucune faiblesse, aucune défaillance même excusable ne sera tolérée à un Etat qui n’est pourtant pas au mieux de sa forme. Les forces adverses tapies dans l’ombre et les marionnettistes ne l’ignorent pas, et après tout c’est de bonne guerre. Ainsi va la vie des nations depuis que ce monde est monde: se donner les moyens d’exister ou réapparaitre sous une autre forme, dans le meilleur des cas.

Le facteur de succès pour le Mali se résume à la capacité de l’Etat à tenir la bride de la gouvernance d’une main ferme et souple, à voir loin et à viser juste. Avec l’obligation d’un sans-faute stratégique et tactique sur vingt ans au minimum. L’ombre du doute en même temps que le piège sont précisément à ce niveau: le pari des uns sur l’incapacité du Mali à tenir ses engagements pour ensuite le confronter à ses limites déjà criardes mais avec la présomption de mauvaise foi en plus, d’où l’inquiétude des observateurs lucides qui ont vu l’écueil mais croient ce pays trop vulnérable pour l’éviter.

Il y a pourtant un chemin dont le parcours reste le défi le plus difficile à relever. Ce parcours du combattant est la condition de la cohésion nationale et du décollage économique tant les atouts sont réels en dépit de cette fragilité structurelle qui peut faire croire que tout est d’ores-et-déjà perdu. Mais la cause n’est pas encore entendue au regard du parcours de notre vieille nation.

Et puis il faudra bien faire la paix un jour. Elle se prépare aujourd’hui dans des conditions qui ne sont pas idéales, mais ce n’est pas le pire des cas de figures. Un leadership avisé en phase avec les forces actuelles du pays peut être en mesure de contrecarrer les conjurations les plus pernicieuses et les retourner au profit d’une population qui n’en finit plus de souffrir.

Test grandeur nature

Un adage de chez nous dit que les signes annonciateurs d’un vendredi béni sont perceptibles dès la veille au soir. L’évaluation de ce dessein s’effectuera donc à l’aune de la pertinence des premières mesures concrètes liées à la reconstruction du Nord du pays en même temps que la relance économique dans le reste du pays. Alchimie compliquée tant les défis en termes de créativité, de volonté politique, de coordination et de coopération paraissent insurmontables.

Pourtant, un dispositif intelligent ciblant la «stratégie spécifique de développement» avec le «Comité de Suivi de l’Accord» – parmi les principales dispositions du projet d’accord – pourrait permettre de sortir par le haut et en finir avec les rendez-vous manqués des précédentes tentatives de sortie de conflits.

Chantier majeur s’il en est, dont le succès dépendra de la qualité de la conception du nouveau système et de la ténacité dans sa mise en œuvre. Rien n’est simple quand on doit s’inventer une survie, puis un avenir par gros temps.

Plaise à Dieu que nous soyons au bout du sacrifice du sang. Reste celui de la sueur auquel nous ne couperons pas (et qui ne fait que commencer). Celui de l’effort sans répit, le seul qui paie. C’est le prix à payer s’il y a volonté de sortir de cette mauvaise passe. Laquelle volonté devrait s’exprimer dans le degré d’implication des autorités aux côtés des partenaires à toutes les étapes, dans toutes les composantes de l’après-conflit. Encore une fois, un leadership avisé et résolu…

Bamako, Mai 2015

Kayd Aly

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