Dans un discours de célébration, on peut- être tenté par l’éloge facile. Mais lorsqu’il s’agit d’évoquer la disparition d’un héros militaire, beaucoup de sentiments s’entrecroisent. Nos funérailles sont ainsi faites : elles consacrent un ordre établi. Le ton sérieux pris ici par tous les intervenants permet d’exprimer une vérité ou d’une certaine façon tout ce qu’il y a d’important à dire… Le Commandant à la retraite, Tiémoko KONATE, Commandeur de l’Ordre National du Mali a été conduit à sa dernière demeure le Jeudi 21 Octobre 2010. Au regret de tous nos chers disparus, tout ce que l’on pourra écrire désormais prendra un sixième sens quand il nous faudra cibler le mot juste, le mot choc qui restitue au langage sa force évocatrice. La vie n’est donc qu’une longue perte de tous ce qu’on a aimé, ajouterons nous à la suite du poète V. HUGO. Le vieux soldat Tiémoko KONATE a rendu ses dernières armes.
L’homme qu’il était ne se sentait plus effrayé par une inutile anxiété. Il connaissait son mal. Tiémoko KONATE y est allé de son repos éternel, couché sur son côté droit, face à la Mecque, attendant, les paupières déjà closes, l’incommensurable, l’incontournable et l’infini pardon de son Créateur. Dieu n’est- il pas le maître du jeu suprême de l’alternance du jour et de la nuit ? Cherchons maintenant ensemble une phrase, une première phrase seulement qui aurait une signification. Si on ne naît pas soldat, le devient- on ? Fils de soldat, Tiémoko KONATE a toujours voulu se tenir hors des sentiers obliques… Il est né le 27 Décembre 1948 à Fourou (dans l’actuelle région de Sikasso) de Filana et de dame Niellé KONE. Le père Filana né en 1880 participera à la grande guerre de 1914- 1918.
Après 23 ans de bons et loyaux services, il sera admis à la retraite avec le grade d’Adjudant. Ce n’est pas tout : tous ceux qui ne l’ont pas vu de son vivant n’ont rien vu. Le bonhomme était une force de la nature avec des proportions hors du commun. Tout hérissé de poils qu’il était (en somme le vrai « poilu » de la Grande guerre) lorsqu’il était assis, peu de gens même alors debout pouvaient rencontrer son regard. Le père et le fils KONATE se sont rangés du même avis sous le drapeau, convaincus qu’ils avaient raison de le faire. L’armée était censée inventer de nouveaux rapports sociaux.
Entre ses soldats, toutes les autres conditions étaient censées s’effacer au profit d’un contact égalitaire et libre. Le rang ici ne conférait ni privilège ni pouvoir, il imposait seulement la responsabilité. Le père Filana KONATE et tous ceux qui l’avaient précédé dans le métier comme ‘’volontaires forcés’’ disait- on alors, tous participèrent d’un projet colonial. Les tirailleurs, c’est tout de même 107 ans d’existence dans la mémoire collective. Les sergents recruteurs de la coloniale voyaient surtout dans nos territoires un réservoir d’hommes et de ressources.
La France métropolitaine va ainsi solliciter son Empire… en sublimant la doctrine d’emploi des tirailleurs en mythe, celui de la Force noire. Troupes d’appoint aux lourds effectifs européens maintenus Outre- mer comme forces de souveraineté (voir Charles Mangin dans la Force noire publiée en 1910), ces troupes connaîtront la fierté de leurs exploits et l’armée française a pris soin de les associer étroitement dit- on à ses célébrations, rites et traditions.
Les tirailleurs seront de toutes les colonies, de toutes les expéditions. Marchand défilera avec ses tirailleurs le 14 Juillet 1899 à Longchamp. Même que plus tard le général allemand Rommel rendra hommage aux troupes coloniales ainsi ‘’… les noirs particulièrement utilisaient jusqu’au bout chaque possibilité de défense…’’. Il est arrivé que certains parmi ses hommes de couleur soient ‘’héroïsés’’ par la France. Il en sera ainsi du fils KONATE, Tiémoko qui en retirera l’honneur d’avoir été Sous- Lieutenant. Comme tous ses compagnons et frères d’armes venus des colonies, tous voulaient conquérir une égalité conquise par le sang. Blaise DIAGNE, député donnera l’exemple à suivre.
Les tirailleurs vont revenir sur le front européen en 1940 et participer dès Juillet 1940 aux campagnes de libération. Ils seront célébrés par la France Libre et la France Combattante à qui ils apportent ses premières victoires militaires et sa légitimité politique. Au salon de la France d’Outre- Mer organisé dès 1945, un bandeau annonce’’ Le peuple français n’oubliera jamais ceux qui n’ont pas accepté la capitulation.
Les Sénégalais…’’. Ce sont 60 sénégalais qui furent abattus à la mitraillette le 10 Juin 1940… C’est vers l’automne 1944 qu’ils seront retirés ‘’soudainement’’ du front. La conférence de Brazzaville (Janvier 1944) avait déjà soulevé les cœurs et les espoirs. La tragédie du camp de Thiaroye va révulser les cœurs en Décembre 1944. L’aventure va continuer un temps encore sur d’autres théâtres d’opérations. Les tirailleurs et ce qui en restait vont s’engager sur d’autres fronts (Indochine, Algérie). Les années 1960 marquent un tournant.
La mémoire collective française les rejette et nos guerriers d’hier vont entrer dans des débats sur la décristallisation de leurs pensions. Cette ambiguïté restera longtemps au cœur de nos relations post- coloniales avec la Métropole. Il y a 50 ans donc, Tiémoko KONATE fut de ceux dont le destin de soldat finira par rencontrer l’histoire de son pays qui l’a vu naître. Le cliché patriotique prend, ils ne vont pas ergoter leur engagement envers le Mali nouveau. Ces militaires patriotes ne voudront plus jouer les supplétifs en se rangeant sous d’autres bannières. Tiémoko KONATE avait cet âge imparable de 42 ans au moment du 22 Septembre 1960. Il ne voulait pas bouder son plaisir.
C’est le décret n°12 T. du 31 Août 1960 qui fixe les premières lignes du commandement de l’Etat- major. Le capitaine Sékou TRAORE devient le chef d’Etat- major de la nouvelle armée, il y a tous les autres comme le Général Abdoulaye SOUMARE, le Commandant Pinama DRABO, les lieutenants Demba Diallo et Malick Diallo, le sous- lieutenant Boukary SANGARE… Le Cinquantenaire ne peut porter un regard univoque sur ces valeureux soldats. Tiémoko KONATE se comptait parmi ‘’les derniers des fédérés (pour nous rappeler un peu la légende d’un film qui a bercé tant de jeunes). Nous sommes en dette profonde envers eux tous. Le Mali Cinquantenaire a connu trois (3) Républiques et nous voulons capitaliser toutes les étapes.
Occasion unique de saluer encore tous les drapeaux et étendards de l’Armée du Mali le 20 Janvier 2011, si Dieu le veut. Combien sont- ils encore de nos superbes vieillards à nous montrer que le bonheur n’est rien moins que de bien connaître la vie et à la prendre simplement à hauteur d’homme ? Dommage qu’ils soient seulement au jour d’aujourd’hui à ‘’une visibilité nationale réduite’’. Ainsi va au petit trot, la perception de nos réalités de tous les jours. L’essentiel pour le Cinquantenaire est dans la réussite pour tous, mais la manière d’y parvenir ? Sale temps, nous vous l’accordons si nous continuons à considérer nos illustres devanciers au titre de la simple ‘’réserve citoyenne’’.
SALIF KONE
%%%%%%%%
Servitudes d’un soldat d’influence
Tiémoko KONATE aura traversé cette vie, comme un rocher dans le fleuve Djoliba, tranquille et indifférent à ses vagues successives. Dernièrement, il ne se rendait plus à ses rendez- vous hexagonaux des festivités du 14 Juillet. Ces honneurs de la République, il les avait connus tel ce jour de 1994 où le président de la République française l’invitait sur un bâtiment de guerre de la marine. Il n’avait pas pris à lui tout seul un régiment ennemi, mais son action de sauvetage de Mr. Lebreton fut ‘’ noble et chevaleresque’’. Ainsi demeura Tiémoko KONATE, un officier pur sucre de la noble tradition du soldat combattant. Incorporé au 2ème RTS comme engagé volontaire pour 5 ans, par devant la CP de Kati et pc du 1er Novembre 1937. Arrivé au corps et soldat le dit jour comme 2ème classe… 7 mois après, il est caporal et nommé au grade de sergent le 1- 11- 1938. Quand il passe au Régiment du Soudan le 11/11/1940 il est sergent chef. Il sera inscrit au tableau d’avancement pour le grade d’Adjudant à ‘’titre exceptionnel’’ par décision n° 51078- TC/BTE du 13 Mars 1946. L’Adjudant chef Tiémoko reçoit du capitaine TOURRET, commandant le 2/24ème RMTS (S/secteur de Sontay) la lettre n° 638/BM2 le félicitant ainsi : ‘’… Votre parfaite connaissance des Africains, jointe à de brillantes qualités de commandement et à l’emploi d’une méthode intelligente, vous ont permis de remplir dans d’excellentes conditions les missions qui vous étaient confiées. J’ai la certitude qu’il vous est possible d’exercer des fonctions correspondant à un grade supérieur au vôtre et j’estime qu’à tous égards qu’il y a lieu de vous accorder la plus grande confiance…’’. Voilà campé le fin guerrier mandéka. Tiémoko KONATE sera mis en route sur Bamako le 17 Mai 1953. Il sera promu au grade de Lieutenant à compter du 1er Janvier 1955.
Actions d’Eclat et Citations.
1.) A l’ordre du Régiment (O.R n° 94 en date du 22/09/1944, du Commandant du 6ème RTS) ‘’Au cours de l’attaque de la Valette, s’est porté sous un feu violent au secours d’un ‘’Sous- Officier européen gravement blessé. L’a pansé sous le feu, le sauvant ainsi d’une mort certaine’’. Cette citation comporte La Croix de guerre 1939- 1945, avec Etoile de Bronze. (NDLR : voir la photo ci- contre : M. Réné Lebreton en compagnie de Tiémoko KONATE sur le porte- avions en invités officiels de la France en 1994).
2.) A l’ordre de la Division (O.R n° 9117 (n° 5136/FTNU/CU/DECO) du 5 Mars 1953 du général de C.A commandant les forces Terrestres du Nord- vietnam). Tiémoko KONATE, Sous- Lieutenant 8ème CK- 2/24 RMTS ‘’Commandant de la Section de Redressement Sénégalais et du poste de CHIEU DONG depuis plus de 2 ans… (Tiémoko KONATE) est ‘’énergique, plein d’allant, courageux et dévoué… A participé du 18 Novembre au 1er Décembre 1952 à l’opération’’ Lorraine’’ avec son unité… à par le mordant qu’il avait imprimé à ses hommes interdit toute infiltration aux rebelles… Cette citation comporte l’Attribution de la Croix de guerre des T.O.E avec Etoile d’Argent.
Distinctions :
– Médaille militaire- Croix de guerre (2 citations) ;
– Médaille coloniale ;
– Médaille Commémorative Indochine- de l’Algérie, d’Eximotien ;
– Médaille de la Libération de la France ;
– Médaille de reconnaissance de l’Union nationale des Combattants ;
– Médaille de reconnaissance de la ville de Toulon ;
– Citoyen d’honneur de Cavalaire ;
– Chevalier de la Légion d’honneur (9 Août 1994) ;
– Officier de l’ordre national du Mali- 1999 ;
– Commandeur de l’ordre National du Mali- 2005.