Tribune de Madou Cissé : Les taxes sur les secteurs de la télécommunication et de la Fintech au Mali, un mal pour un bien

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La situation actuelle du Mali a remis au goût du jour la politique budgétaire de rigueur. Cette politique de rigueur consiste à augmenter l’imposition dans le but d’assainir les dépenses publiques. A cet effet, l’ordonnance n°2025-008/PT-RM du 0 février 2025, instituant le Fonds de soutien aux projets d’infrastructures de base et de développement social présente en son 2e article l’objectif du Fonds de soutien (FS) dans ces termes “[Qu’il] est destiné à apporter une contribution financière, en cas de nécessité et d’urgence, aux actions socio-économiques initiées par le gouvernement dans divers secteurs, notamment le secteur énergétique”. Si ces réformes traduisent une volonté d’autonomisation budgétaire, elles provoquent des indignations et des inquiétudes chez les Maliens.

Les taxes pour deux secteurs ciblés : un rendement attendu de plusieurs milliards de F CFA

Le Fonds social doit être ravitaillé par des prélèvements spécifiques du secteur des télécommunications et celui de la Fintech, spécifiquement le mobile money. Comme toute taxe, les autorités maliennes ont fixé (1) les assiettes des prélèvements, ce sont les valeurs faciales des recharges de communication voix (prépaid) ; les factures de communication voix (postpaid) ainsi que les forfaits Internet prépaid et postpaid et les montants des retraits “mobile money”. (2) les taux applicables qu’elles ont spécifiés sont respectivement 10 % pour les valeurs faciales des services du secteur des télécommunications et 1 % pour les montants du service de “retraits mobile money”. (3) en usant de leur troisième pouvoir en matière de taxes, les autorités maliennes ont désigné les opérateurs télécoms pour la collecte des montants issus de l’implémentation des différentes taxes spécifiées dans ladite ordonnance.

Télécoms : des recettes fiscales tirées par l’Internet

Le rapport d’activités 2023 de l’Autorité malienne de régulation des télécommunications/Tic et des postes (AMRTP) signalait qu’en fin décembre 2023, le revenu moyen par utilisateur (ARPU = Average Revenue Per User) pour les communications voix fixe et mobile faisaient respectivement 1104 F CFA et 1 518 F CFA. Le même rapport mentionnait qu’à la même période, le parc total de la communication voix mobile faisait 25 259 489 SIM actives pendant que celui du fixe a été estimé à 347 704 clients.

Une analyse de ces chiffres permet d’inférer que si la taxe était appliquée en 2023, le secteur des communications voix mobile et fixe permettrait de collecter une somme annuelle moyenne de près de 3,88 milliards de F CFA. La contribution moyenne du secteur de la voix mobile dans ce résultat total serait de 3,83 milliards et un plus de 38 millions pour le segment de la communication fixe.

L’ARPU du segment Internet dominé à 98 % par l’accès en situation mobile faisait 7513 F CFA en fin 2023. La contribution moyenne de ce segment au renflouement de la caisse du Fonds de soutien sur la base des données de 2023 permettrait de collecter dans une fourchette moyenne près de 10,07 milliards de F CFA auprès d’un parc de 13 409 405 clients.

La contribution de la Fintech dans le Fonds de soutien

Le Fonds social doit normalement bénéficier aussi de la contribution du secteur de la Fintech, spécifiquement le service “retrait mobile money”. A cet effet, partant toujours des données de 2023, sur ce secteur, pour un chiffre d’affaires total estimé à 83,7 milliards de F CFA ; les retraits ont culminé à près de 51 milliards.

Une application de 1 % de la taxe sur ce montant permettrait aux autorités maliennes de collecter 507 millions de F CFA.

Il ressort de l’analyse présentée supra, en prenant l’année 2023 comme une année de référence, tous les prélèvements (télécommunications et Fintech) apporteraient en moyenne, environ 14 milliards de F CFA annuellement au Fonds de soutien.

Incidence des prélèvements spécifiques pour qui ?

La problématique de l’incidence d’une taxe pose la question de savoir qui supporte réellement le poids de la taxe ? En guise de réponse à cette interrogation, les préceptes économiques sont formels. Aucune autorité ne peut décider de cela. Ce pouvoir est exclusivement détenu par les forces du marché. C’est elles seules qui peuvent répartir le poids d’une taxe entre vendeurs et acheteurs. L’article 7 de l’ordonnance tente d’aller à l’encontre de ce principe en ciblant préalablement les consommateurs des services taxés. Partant d’une interprétation rigide de l’esprit de cet article, le résultat de la communication gouvernementale est devenu on ne plus poussif.

Venons-en aux faits. En appliquant une taxe de 1 % aux services “retrait” du secteur de la Fintech (faisant abstraction de l’article 7 de l’ordonnance), personne ne peut prévoir dans ces conditions qui des consommateurs maliens ou des opérateurs supporteront l’entièreté de la taxe.

L’application de la nouvelle taxe portera les frais de retrait à 2 % toutes choses égales par ailleurs. Ce pourcentage de retrait n’est pas inédit au Mali. Les frais de retraits variaient entre au moins 2,5 % et 10 % des montants retirés, avant d’être fixés par l’opérateur leader du marché à 1 % après trois changements successifs de grilles tarifaires en décembre 2021.

Le marché malien du mobile money est un oligopole à la Stackelberg avec un leader détenant 78 % de part de marché en fin décembre 2023 et trois suiveurs (Moov money, Sama Money et Wave). Sur ce marché, pendant que le leader applique un taux de retrait de 1 % comme Wave ; les frais de retrait de Moov Money et de Sama Money font respectivement 0,9 % et 0,5 % en février 2025.

Sur un tel marché, rien ne prédit que l’instauration d’une nouvelle taxe de 1 % va être automatique répercutée sur les frais de retrait (donc supportés exclusivement par les consommateurs). Bien au contraire, cette nouvelle taxe pourrait être une opportunité pouvant redessiner la configuration du marché malien de la Fintech permettant ainsi l’entrée ou l’éclosion sur ledit marché d’opérateurs plus efficaces.

Les opérateurs efficaces pourraient supporter toute ou partie de la nouvelle taxe en imitant la start-up américaine Wave lors de son implantation au Mali en 2021. L’instauration de la nouvelle taxe “recrée” simplement les mêmes conditions de marché quasiment identiques à celles qui ont prévalu avant l’entrée de Wave en 2021 sur le marché malien de la Fintech. A cette époque et contrairement à la nouvelle donne qu’imposera la nouvelle taxe, tous les frais de retraits (entre au moins 2,5 % et 10 %) étaient captés exclusivement par les opérateurs. Donc, soutenir que l’incidence de la nouvelle taxe de 1 % imposée sur le service de “retrait mobile money” sera exclusivement à la charge des consommateurs maliens n’a aucun fondement de sciences économiques.

En plus, une autre faiblesse de la taxe de 1 % sur le service de “retrait  mobile money” réside aussi dans le choix de l’assiette. Le marché de la Fintech, spécifiquement, la filière “mobile money” propose en plus du service “retrait” les services de “transfert” et de “paiements électroniques”. Le chiffre d’affaire réalisé en 2023 par les sociétés émettrices de la monnaie électronique (EME) a été estimé par l’AMRTP à 83,74 milliards. Le service “retrait” a contribué à ce chiffre d’affaire à hauteur de 60,5 % en ayant enregistré une progression annuelle de 35 % par rapport à 2022. Les services “transfert” et “paiements électroniques” ont contribué à hauteur de près de 20 % chacun. Mais en termes de progression sur une année, c’est le service “paiements électroniques” qui a réalisé la plus forte progression avec 68 %. Une telle progression de ce service permet d’inférer que les consommateurs peuvent significativement éviter la nouvelle taxe de 1 % imposée sur le service “retrait” en substituant à ce dernier le service “paiement électronique”. Cet évitement devrait être envisagé avant la mise en place de la nouvelle taxe.

La taxe de 10 % sur le secteur des télécommunications voix et Internet souffre aussi des mêmes lacunes que celles déjà signalées relativement au service de retrait mobile money. L’article 7 a voulu faire porter par le consommateur l’incidence de cette nouvelle taxe. Ce qui ne peut être fait malheureusement à partir d’un bureau.

L’imposition de 10 % sur les valeurs faciales des recharges voix et Internet devrait être seulement notifiée à la population malienne. Les deux services n’étant pas soumis aux mêmes conditions réglementaires – libre administration des prix pour l’Internet et prix plafond pour la voix – a priori, les autorités devraient faire confiance au fonctionnement du marché pour la répartition de l’incidence de cette nouvelle taxe.

En cas de présence de faillances majeures constatées ex post, elles pourraient intervenir. Je suis sûr que c’est sur le marché de la voix qu’une telle intervention allait être “peut-être” nécessaire pour aider les opérateurs à travers une hausse marginale du prix plafond de la communication voix. Et une telle intervention allait aussi par ricochet améliorer les recettes de la Tratop.

Que faire ?

Retenir qu’aucun législateur ou technocrate ne peut décider de l’incidence des taxes depuis un Parlement ou un bureau ! Et en s’obstinant dans une telle voie, le législateur ou le technocrate devient comparable à un physicien qui décide de défier la loi de la gravitation universelle. Cette mission (fixation de l’incidence des taxes) doit être confiée aux forces du marché.

Dans le cas d’espèce, faire en sorte que le décret d’application de l’ordonnance ne limite pas à l’implémentation desdites taxes dans le temps. En ne fixant pas de deadline, cela pourrait donner les incitations nécessaires aux opérateurs (surtout ceux qui sont les plus efficaces) de faire des efforts en termes d’efficacité de production, ce qui pourrait leur permettre de réduire leurs coûts unitaires donc, de réduire significativement le poids des taxes imposées par l’ordonnance sur les consommateurs maliens.

En définitive, ces taxes au lieu d’être vues comme un frein au développement des secteurs ciblés peuvent contribuer à les rendre plus concurrentiels tout en mettant des ressources à la disposition des autorités maliennes, même si, je trouve que leurs estimations des ressources futures que peuvent générer les nouvelles taxes semblent être déconnectées de la réalité que dépeignent les chiffres disponibles actuellement.

Madou CISSE 

FSEG

 

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