Balla CISSÉ, docteur en droit public de l’Université Sorbonne-Paris-Nord et diplômé en Administration électorale de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne à travers sa tribune qui nous a été parvenu traitant des dispositions transitoires.
Pour lui, l’article 122 de la Constitution malienne de 1992 dispose : « jusqu’à la mise en place des Institutions, le Comité de Transition pour le Salut du Peuple et le Gouvernement prennent des mesures nécessaires au fonctionnement des pouvoirs publics, à la vie de la Nation, à la protection des citoyens et à la sauvegarde des libertés ». Ainsi, les mesures constitutionnelles d’exception ont été déjà légalisées dans le passé.
Cependant, depuis que la démocratie a été suspendue en 2012 à la suite du coup d’État d’Amadou Haya Sanogo, et bien que des élections libres aient ensuite été organisées, ces mesures d’exception sont toujours plus utilisées par les dirigeants du pays, au point que le problème de leur légitimité se pose. En effet, en se limitant à l’histoire récente, nombreux sont les exemples qui prouvent un emploi abusif de ce genre de mesures : à partir du moment où il a pris le pouvoir en août 2020, Assimi Goïta a instauré une Charte à valeur constitutionnelle, établi un Parlement de transition après en avoir choisi les membres, exercé les fonctions inédites de Vice-président, fomenté un deuxième coup d’État pour « préserver la charte de la transition ». En définitive, ce qui aurait dû être ponctuel est désormais la règle et affecte considérablement la Constitution, la démocratie, et l’État de droit. Cet article vise donc, d’une part, à énumérer les cadres théoriques des mesures constitutionnelles d’exception (I) et, d’autre part, à illustrer la réalité de leur usage excessif depuis que l’armée a repris le contrôle du Mali voilà près d’un an (II).
Les principes théoriques des mesures constitutionnelles d’exception
Comme le prévoit la Constitution de 1992, tout régime de transition a le droit de prendre des décisions contraires à la norme fondamentale, mais cela s’inscrit dans un cadre juridique précis.
Définition, une mesure constitutionnelle d’exception se définit comme la mise en œuvre temporaire, par les acteurs d’une crise politique, des principes constitutionnels d’un État. C’est, pour ainsi dire, une constitutionnalité de nécessité.
Principes : elle suppose un certain rapport entre les pouvoirs et les organes de la transition en cours au nom du respect du principe de la souveraineté du peuple. Au nom de sa souveraineté, le peuple doit être consulté directement ou indirectement pour toute révision de la Constitution au Mali. Ainsi, la constitutionnalité de nécessité vise à régulariser l’action du régime de transition, elle ne sert pas à institutionnaliser une dictature. D’ailleurs, la Cour constitutionnelle et le Parlement de transition conservent leurs prérogatives. De même, la constitutionnalité d’exception doit mettre en place les conditions d’un retour à l’ordre constitutionnel et démocratique d’un État.
L’usage excessif des mesures constitutionnelles d’exception
L’usage répété et désormais continu de mesures exceptionnelles repose sur un but anticonstitutionnel servi par des moyens illégitimes, mais avalisés par la Cour constitutionnelle ; les conséquences sur l’État malien sont d’une gravité considérable.
L’intention : depuis une dizaine d’années, les conflits politico-institutionnels se multiplient. Ces luttes ont bien sûr comme enjeu l’exercice du pouvoir que l’armée cherche à conserver : en remplaçant la Constitution de 1992 par la Charte de la transition. Le colonel-Président Assimi Goïta ne s’est pas efforcé de restaurer la paix au Mali, mais de placer des militaires à la tête des institutions du pays.
Les moyens : pour cela, des moyens légaux ont été utilisés et présentés comme des mesures constitutionnelles d’exception. Le procédé est très pratique, parce que c’est un fourre-tout dans lequel tout texte est légitimé. La vacance de la Présidence de la transition a clairement révélé le caractère fourre-tout de la Charte de la transition en donnant la possibilité au vice-président de devenir automatiquement le Président. Pour cela, le Conseil national de Transition, en fait un Parlement illégitime, joue un rôle important, étant donné qu’il contribue à éliminer tout contre-pouvoir pendant la période de transition.
Le garant : si, légalement, c’est à la Cour constitutionnelle de contrôler le respect du principe de la constitutionnalité d’exception, elle milite aujourd’hui pour l’armée en facilitant l’exercice du pouvoir par cette dernière. En reconnaissant comme légitime le coup d’État de mai 2021, elle a légalisé un régime militaire dans la durée et autorisé indirectement la prolongation de la période de transition.
Les effets : l’État malien tend peu à peu à institutionnaliser la constitutionnalité d’exception et la dictature. La charte de la transition a ainsi été plusieurs fois révisée informellement, au mépris du peuple. L’accession du vice-président à la tête de la transition avec l’aval de la Cour constitutionnelle constitue une révision informelle de la Charte sans passer devant le Conseil national de la transition. Cette situation est calamiteuse, car elle empêche le Mali de prospérer.
Balla CISSÉ