Tribune : Centre des Études Sécuritaires et Stratégiques au Sahel

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Des concours nationaux truqués et falsifiés à la refondation de l’État du Mali : faux espoirs et vains débats

Le Mali est confronté depuis 2012 à une crise multidimensionnelle hypothéquant son existence.  Dans cette impasse, trois changements forcés de gouvernance sont survenus (mars 2012, août 2020 et mai 2021), sur fond d’argumentaire sur l’instauration de la justice sociale et de la dignité du peuple malien pour justifier le coup de force et se légitimer auprès d’un peuple humilié et bâillonné par des gouvernants corrompus et des acteurs de la violence tous azimuts.

Dans ce contexte, les acteurs du renouveau au Mali, qui ont pu drainer des foules enthousiastes à la suite de différents changements opérés dans le système de gouvernance, restent confrontés au défi de la justice sociale et à celui de la moralité, toute chose qui a été remarquée lors de la proclamation des résultats des concours d’entrée dans la Police nationale, la Gendarmerie nationale, la Protection civile et la Caisse nationale d’assurance maladie (CANAM).

Ces concours ont suscité l’espoir chez les diplômés en quête d’emplois rémunérés, dans un Mali en pleine refondation (Mali Kura). Tous se disaient unanimement qu’avec la transition en cours, marquée par un discours officiel de rupture, l’espoir est permis, les pratiques corruptives, le népotisme, le favoritisme, le clientélisme et le despotisme devenant bientôt des pratiques d’une autre époque, du moment que les recommandations formulées à l’issue des Assises nationales   de la refondation avaient mis un accent particulier sur la justice sociale et l’équité entre tous les Maliens. Malheureusement, les princes du jour ont voulu pérenniser les pratiques malsaines et révoltantes jadis décriées.

Des concours confiés à des commissions corrompues et supervisées par des responsables laxistes

À la suite de la proclamation des résultats de ces concours contestés, les réseaux sociaux ont été inondés par les messages de colère de candidats malheureux,  qui se sont sentis floués, non pas parce qu’ils ne sont pas à la hauteur des épreuves proposées aux concours, mais plutôt parce qu’ils ont l’impression qu’ils ne sont pas nés dans de bonnes familles (familles de dignitaires) et/ou  qu’ils n’ont pas le bon carnet d’adresses (pas de lien avec l’élite au pouvoir) pour accéder à la Fonction publique d’État.

À la suite de cette grogne, des collectifs de recalés ont vu le jour pour demander soit l’annulation des résultats qu’ils estiment truqués, soit l’autorisation de leur donner une deuxième chance de repasser le même concours avec une garantie de transparence et un minimum d’éthique.

À la suite de ces faits, un constat se dégage : la triche et la magouille sont devenues l’ADN de certaines commissions d’organisation de concours, au Mali.

Face au tollé engendré par ces concours sulfureux, le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, a demandé le 06 avril 2022, la suspension, à travers un communiqué radio et télédiffusé, des résultats du concours de recrutement de 150 élèves-agents de surveillance des services pénitentiaires et de l’éducation surveillée. Si cette décision n’avait pas été prise, des prisons allaient être confiées à des récipiendaires souffrant de manque de probité et d’éthique.  Curieusement.

Du côté de la Police nationale, quand le Directeur général fait un communiqué laconique pour couper court aux rumeurs de corruption et félicite la commission d’organisation, il est déjugé le lendemain par son ministre qui, disposant certainement d’informations crédibles, demande l’ouverture d’une enquête administrative sur l’organisation et la conduite du processus. Avant même les conclusions de cette enquête, un personnage central du dispositif vient d’être viré de son poste. Espérons que ce n’est pas une fuite en avant et que les vraies responsabilités seront situées.

Faut-il le rappeler, c’est le Directeur général de la Police nationale, à mi-chemin du processus et après une proclamation d’étape des résultats, qui a pris sur lui d’autoriser la proclamation d’un résultat additif de près de 1000 candidats. Du coup, à l’arrivée, les premiers sont devenus les derniers puisque ce sont majoritairement les candidats de la liste additive qui ont été retenus.  Où est le sérieux dans ce pays?

Par principe, il n’y a pas de résultat additif à un concours, mais bien une liste d’attente au cas où un (1) candidat retenu se désisterait. Nos concours sont des tripatouillages comme nos élections. Arrêtons de nous moquer des pauvres et des indigènes !

Ne pas être sorti de l’auberge

Il est indéniable que le Mali se trouve aujourd’hui profondément piégé dans un complot « international » qui ne lui facilite pas la tâche de sortir de cette insécurité caractérisée par la combinaison et l’imbrication des phénomènes subversifs (mouvement indépendantiste, extrémisme violent, criminalité transnationale organisée, banditisme résiduel et conflits locaux). Cependant, au-delà de la conspiration et du complot, il est temps qu’on interroge les responsabilités internes dans cette chute dans l’abîme.

À quoi servent les réformes constitutionnelles et administratives dans un pays lorsqu’elles sont incarnées et portées par des femmes et des hommes qui sont en fait des prédateurs ?  La beauté d’un texte sert-elle à quelque chose de positif si le texte n’est pas appliqué par des femmes et des hommes vertueux ?   Le mot refondation suffit-il à lui seul à opérer le changement, quand l’élite au pouvoir n’est pas exemplaire et redevable ?

À quoi sert d’être en brouille diplomatique avec des chancelleries occidentales, lorsque le pays est aux mains de femmes et d’hommes opportunistes et mercantilistes ? À quoi servent les victoires militaires éclatantes lorsqu’elles sont léguées à des femmes et des hommes qui n’obéissent ni à l’orthodoxie, ni à la morale ?

Des Maliens probes et moralement irréprochables existent dans toutes les corporations. Hélas, ils sont rarement responsabilisés lors des concours et des examens. On se souvient des résultats dignes et fiers du concours d’entrée dans la magistrature de 2002 et de 2006. In fine, le naufrage malien n’est pas dû à l’insuffisance des textes mais plutôt à l’immoralité et au laxisme des dirigeants, qui se comportent comme une vraie bande mafieuse malgré les discours rénovateurs et la volonté de changement chantée à cor et à cri.

Bamako, 21 avril 2022

Dr. Aly TOUNKARA est Maître de conférences à l’Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako et Expert au Centre des Études Sécuritaires et Stratégiques au Sahel(CE3S).

Email : contact@ce3safrica.net

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