Les manifestations massives de contestation du M5-RFP, suivies de la mutinerie du 18 août 2020 ont conduit à la dissolution de l’Assemblée nationale, à la fin des fonctions du Premier ministre et des membres du Gouvernement ainsi qu’à la démission du Président de la république. Cette situation plonge le Mali, de facto, dans une situation d’exception marquée par la prise du pouvoir par les militaires.
S’il y a beaucoup de choses à dire sur ces événements ainsi que sur leurs conséquences, nous avons souhaité nous pencher sur la nouvelle ère qui s’ouvre pour le Mali : la transition politique.
Cette période devrait être une opportunité pour les Maliens de poser les actes et de prendre des initiatives visant à redresser notre marche démocratique et à progresser vers un développement durable.
L’atteinte de cet objectif dépend de ce que nous ferons de cette transition en termes de durée, de réformes et d’organe de gestion.
Notre contribution vise à enrichir les réflexions sur ces différents points.
De la durée de la transition
La démarche pour fixer la durée de la transition devrait commencer par la fixation des objectifs assignés à celle-ci. Cependant, dans cette démarche, il est primordial de garder à l’esprit les risques inhérents à une transition qui s’éternise. Il peut s’agir de la confiscation du pouvoir par les acteurs de la transition, la résurgence d’une nouvelle crise à cause des attentes non comblées etc.
C’est pourquoi, les objectifs de la transition doivent être réalistes et concerner principalement les réformes dont la conception et la mise en œuvre souffriraient du fait partisan en temps normal. Il devrait s’agir de poser les jalons d’un pays doté d’institutions fortes et engagé sur le long chemin du développement.
En tout état de cause, au regard des risques liés à une durée assez longue et des attentes de nos partenaires, l’on devrait se fixer un objectif de délai pour la transition. A cet effet, il nous paraît réaliste de réunir les conditions pour mener à bien les réformes les plus essentielles dans un délai maximal de 18 mois.
Des réformes à mener pendant la transition
Une tentation serait d’attendre de la transition qu’elle fasse du Mali un havre de paix et une nouvelle puissance économique régionale. La contrainte de la durée de la transition et l’état actuel de notre Etat permettront d’atteindre difficilement cet objectif. S’agit-il d’ailleurs des objectifs assignables à une transition ? Nous pensons que la transition devrait être une opportunité de nous doter d’un système politique effectivement démocratique, nous permettant de choisir des leaders capables de conduire le Mali sur ce chemin.
Pour ce faire, durant cette transition, des réformes courageuses, consensuelles et à la hauteur de nos ambitions doivent être menées. Parmi ces réformes, certaines nous paraissent essentielles.
La révision de la constitution :
Après plusieurs tentatives, l’occasion est enfin trouvée d’adapter la Constitution de février 1992, à la lumière des résultats de notre pratique démocratique, des nouvelles réalités sociopolitiques et des exigences contemporaines. En la matière, les travaux déjà menés lors des différentes tentatives de révision seront très utiles. Il suffit d’en extirper toutes les propositions non motivées par l’intérêt général ou devenues caduques au regard des dernières évolutions aussi bien nationales qu’internationales.
Dans ce sens, pour mettre fin à ce cycle de changement inconstitutionnel du pouvoir, il conviendrait de prévoir dans la nouvelle constitution, la possibilité de mettre fin aux fonctions d’un Président élu dans des conditions bien précises. Une source d’inspiration pourrait être la procédure “impeachment” aux USA ou la procédure de destitution du Président intégrée dans la constitution française en 2007. Cette procédure devrait être encadrée pour ne pas faire l’objet d’abus pouvant conduire à une instabilité institutionnelle. Il serait intéressant d’envisager la possibilité de la déclencher à la suite d’une initiative populaire au moyen de pétition signée par un pourcentage fixé des électeurs inscrits. Cela parait plus opérationnel que la désobéissance civile dont les conditions de mise en œuvre restent floues.
Aussi, une solution doit être trouvée à “l’arnaque juridique” visant à remettre en cause l’alternance au pouvoir après chaque révision ou changement de constitution. Il faudrait indiquer dans la constitution que la limitation de mandat subsiste après une révision constitutionnelle.
En tout état de cause, nous devrions retenir que : “Une bonne constitution ne peut suffire à faire le bonheur d’une nation. Une mauvaise peut suffire à faire son malheur”. (La constitution, Guy Carcassonne, Marc Guillaume, et al., 2019).
La réforme électorale
Aujourd’hui, un consensus se dégage sur la nécessité de créer un organe unique de gestion des élections. Plus que jamais, notre système électoral doit permettre aux électeurs de choisir réellement les élus. On peut espérer que, pour les prochaines élections, cherchant à se mettre à l’abri de toute confiscation de ses voix, les acteurs seront suffisamment vigilants pour mettre les garde-fous nécessaires contre la fraude électorale. Au titre desquels l’on peut citer le nettoyage du fichier électoral, la publication des résultats bureau de vote par bureau de vote et la transparence dans la centralisation des résultats.
La réforme territoriale
Cette transition doit être mise à profit pour mener à bien la réforme territoriale à travers le redécoupage administratif et l’effectivité des transferts de compétences et de ressources aux collectivités territoriales. Cette redynamisation de la décentralisation doit permettre à ces dernières de jouer pleinement leurs rôles dans cette nouvelle ère qui s’ouvre pour le Mali.
Parallèlement à ces réformes essentielles, si la durée de la transition et les ressources le permettent, d’autres réformes peuvent être initiées, notamment la réforme de l’administration et les réformes économiques et financières. Au niveau des finances publiques, par exemple, un des défis majeurs reste l’amélioration de la mobilisation des ressources intérieures. Des initiatives courageuses doivent être prises pour sécuriser les recettes publiques et exploiter tout le potentiel fiscal.
En outre, il est évident que la continuité de l’Etat doit être assurée. Il s’agira pour les autorités de la transition de conduire les affaires publiques durant cette période avec exemplarité. A cet effet, les efforts devraient être faits pour, entre autres, améliorer la situation sécuritaire, apaiser le climat social, mieux distribuer la justice, lutter contre la corruption, trouver une solution à la crise scolaire et assurer une bonne gestion des finances publiques.
Des organes de la transition
Plusieurs acteurs politiques ont annoncé leurs propositions pour la conduite de la transition. En réalité, il n’y a pas des différentes fondamentales entre ces propositions. En effet, une transition telle que la nôtre, c’est généralement un exécutif et un organe législatif dont les conditions de mise en place et de fonctionnement sont définies dans une charte de la transition.
L’exécutif renvoie à un Président de la Transition et un Gouvernement dirigé par un Premier ministre. Quant à l’organe législatif, il est composé des représentants des forces vives de la nation.
Dans ce contexte, une fois la feuille de route élaborée, l’enjeu reste le choix des acteurs devant incarner la transition. A cet effet, des pistes de réflexion existent.
S’agissant du Président de la transition, comme au Burkina Faso, il peut être choisi par un collège de désignation composé des représentants des forces vives de la nation (partis politiques, société civile, Forces de défense et de sécurité, autorités religieuses et coutumières…). Sur la base d’un consensus, cette désignation peut également être confiée au CNSP. Celui-ci proposera une personnalité civile qui devrait répondre à des critères et être accepté par les forces vives.
Quant au Premier ministre, il doit être proposé par le Président de la Transition suivant des critères et accepté par les autres. Il faudrait éviter de donner un pouvoir exorbitant au Premier ministre pour ne pas affaiblir le Président qui doit être le garant de la réussite de la transition.
Par rapport aux autres membres du Gouvernement, le plus important serait de définir dans la charte de la transition le nombre de ministres et les critères à remplir pour être au Gouvernement. Par la suite, il faudrait faire confiance au Président et au Premier ministre, qui proposeraient une équipe qui doit avoir la confiance de l’organe législatif de la transition.
En ce qui concerne l’organe législatif, la difficulté réside dans la répartition des sièges entre les différents segments des forces vives de la nation. En la matière, les expériences d’autres pays qui ont vécu une crise semblable, peuvent être des sources d’inspiration.
Par exemple, au Burkina Faso, la formule suivante a été trouvée pour la composition de l’organe législatif de la transition : 30 représentants des partis politiques affiliés au CFOP (meneur de la contestation), 25 représentants des organisations de la société civile, 25 représentants des forces de défense et de sécurité et 10 représentants des autres partis.
Cette répartition au sein du Conseil national de la Transition, selon la Charte de la transition du Burkina, constitue une reconnaissance de la légitimité des meneurs de la contestation du fait du rôle joué dans le renversement du Président. En tout état de cause, il convient de noter que le cas du Burkina n’est pas singulier. En effet, au Soudan, c’est avec les meneurs de la contestation que les militaires ont signé, en août 2019, la “déclaration constitutionnelle” pour la gestion de la transition.
En somme, la leçon à tirer de ces expériences, pour le Mali, serait à tout le moins de reconnaitre cette légitimité du M5-RFP pour avoir créé les conditions ayant abouti à cette opportunité de changement. Toutefois, cette reconnaissance ne devrait pas conduire à l’exclusion ni à la complaisance dans le choix des hommes et des femmes devant animer la transition.
Par ailleurs, pour le Mali, une piste pourrait être de prendre en compte dans la composition de l’organe législatif, la légitimité acquise par certains anciens députés de la dernière législature, dont les élections ne souffrent pas de contestation.
Ces pistes de réflexion et de solutions visent à enrichir les débats en vue de saisir les opportunités qu’offre cette transition. Nous restons convaincus que les facteurs clés de succès résident dans l’élaboration d’une feuille de route claire et réaliste pour les réformes, la fixation des critères judicieux pour le choix des acteurs de la transition ainsi que l’efficacité de l’organe législatif dans l’adoption des réformes et le contrôle de l’exécutif.
Cette transition serait une réussite, si et seulement, à son terme, un Président effectivement élu par le peuple et les autres institutions effectivement à la tâche, prendront le relai en consolidant les acquis, modernisant la pratique démocratique et conduisant le Mali vers le progrès. Cela, sous le regard vigilant d’un peuple suffisamment averti.
Siaka Samaké