Suite à l’intervention de l’armée qui s’est soldée par le départ du président de la République, la classe politique a réagi diversement face à cette situation exceptionnelle mais récurrente. Pour des raisons politiciennes ou populistes, certains condamnent par principe démocratique et républicain, d’autres regrettent mais se réjouissent, et d’aucuns s’en félicitent! La majorité prend acte.
Acte 1 : les nouveaux maîtres du pays ont déclaré, aux premières heures, dès leur première sortie, vouloir mettre en place une transition civile. Ce qui a du coup influencé les positionnements de la classe politique. Il aurait été autrement, la classe politique aurait dégagé une autre forme d’unanimité dans sa réaction. Était-ce la stratégie des militaires au pouvoir ?
Acte 2: le porte-parole du Conseil National du Salut du Peuple, a, dans une autre sortie, déclaré que la Transition pourrait être dirigée « par un civil ou un militaire ». Il prend le soin d’indiquer que les concertations avec la société civile et la classe politique trancheront.
Cette deuxième sortie relance le débat sur qui va réellement diriger la Transition ? Si la question n’est pas abordée publiquement par les acteurs politiques, par peur d’irriter la junte pour certains, elle défile dans tous les esprits! Elle est au centre des stratégies des états-majors politiques.
A ce stade trois scénarios se dégagent avec chacun ses avantages, ses inconvénients et ses degrés de probabilités :
1- Une Transition dirigée par les militaires:
Dans ce cas de figure, les militaires du CNSP conservent l’organe qui dirigera la Transition et qui fera office de Chef de l’Etat. Le poste de Premier ministre sera lui octroyé à un civil choisi en concertation avec les forces vives de la Nation. Les deux conduiront un Gouvernement d’union nationale composé de toutes les sensibilités politiques du pays.
Ce scénario a pour avantage de maintenir une certaine cohésion et une certaine discipline, vu que les militaires y veilleront.
Par contre, il sera mal accepté par la Communauté internationale qui reste hostile à voir un militaire actif à la tête du pays. Il n’est pas également conforme au rétablissement du schéma constitutionnel, vu que la Constitution n’est pas suspendue.
2- Un civil à la tête de la Transition, secondé par un militaire
Tout dépendra de la légitimité constitutionnelle du civil dans un premier temps. Si c’est un civil désigné par un dialogue national élargi, il pourrait être soit secondé à la Primature par un autre civil ou par un militaire. C’est la deuxième hypothèse qui est la plus probable à ce stade. Car les militaires ne semblent pas tenter de lâcher toutes les manettes à la fois.
Pour son acceptation internationale, il faudrait que les principaux leviers reviennent aux civils ayant une légitimité, ne serait-ce que constitutionnelle et que les militaires jouent un rôle de second plan.
La difficulté réside dans la possibilité de la continuité constitutionnelle vu que l’Assemblée a été dissoute par le Président dans la foulée de sa démission. Il est très peu probable d’appliquer textuellement un retour à l’ordre constitutionnel, vu que le Président de l’Assemblée est plus contesté que le Président lui-même. Il faudrait un montage d’ingénierie politico-légale dont seuls les experts de la CEDEAO ont encore le secret.
Tout porte à croire que l’hypothèse la plus plausible et réaliste demeure la désignation d’un civil à l’issue d’une Concertation nationale entre acteurs politiques et ça ne sera pas chose aisée connaissant le marigot politique. Les talents de négociation et persuasion des militaires auront toute leur importance.
Par ailleurs la désignation d’un civil, en homme de paille, à la tête du pays et les leviers revenant aux militaires aura pour conséquence de conjuguer les frustrations de la classe politique avec celles de la Communauté internationale contre les militaires au pouvoir. Un tel sous-scénario est à éviter par tous les moyens car il plongera le pays dans une plus grande crise.
3- Une transition 100 % civile et les militaires dans les casernes:
Cette hypothèse serait l’idéal, trop idéaliste pour être réaliste. Elle consisterait à avoir un président de Transition et un Premier ministre tous civils. Le Gouvernement pourrait voir la participation de certains militaires issus de la junte.
Un organe de réforme de l’Armée et de la sécurité pourrait être créé pour absorber le Conseil National du Salut du Peuple d’une part, et d’autre part entreprendre les réformes nécessaires pour réformer ce secteur miné par plusieurs dysfonctionnements.
Cette hypothèse, dans sa forme pure, n’est pas réaliste dans le sens où il faudrait compter d’une manière ou d’une autre avec la junte qui est devenue par les circonstances un acteur semi politique dans le jeu. C’est une variante de la seconde hypothèse, citée plus haut, mais qui est plus précisée. Elle a été en quelque sorte déjà utilisée en 2013. Faudrait tirer les leçons apprises de cette expérience.
Cette hypothèse a pour avantage de satisfaire et la classe politique, et la Communauté internationale. Par contre, elle mettra les militaires prématurément de côté.
En somme, la réponse à la question de qui dirigera la transition passera impérativement par l’une de ces hypothèses ou par le mélange à dose réfléchie des unes aux autres. C’est d’autant crucial que le pays a besoin d’un nouveau souffle et surtout d’éviter à tout prix une nouvelle crise dans la crise. L’urgence est non seulement de mettre en place une transition et surtout d’organiser au plus vite des élections générales pour donner au pays un pouvoir à la fois légal et légitime, capable d’entreprendre les grands travaux d’une Nation réformée.
P ASSORY