Transition malienne : A l’antinomie de nos habitudes blâmables

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La Transition en préparation a bien sa part de singularité comme chaque moment marquant de l’histoire de notre pays. Contre sa qualification en coup d’Etat par la majorité présidentielle et ses alliés, le CNSP et le M5-RFP, qui le situent dans la continuité de l’Etat après la démission d’IBK, veulent la définir comme l’affectation du restant du mandat de l’ex-président, en totalité ou en partie, à une mission nationale ad-hoc de sauvetage de la patrie.

Si sa forme reste caution à discussions, s’agissant de sa durée, de ses organes et de son mécanisme, le fond par contre relève d’une attente populaire exprimée par la gouvernance sortante et les opposants, notamment le M5-RFP, en termes plus ou moins subtils, en approche de continuité selon les uns et de rupture selon les autres. Il s’agit de faire l’état de la nation en vue de réformes politiques, administratives, électorales et institutionnelles.

Reste le sort du peuple malien, les damnés de la terre pour lesquels, du 22 septembre 1960 au 18 août 2020, l’alternance des régimes a été une constante et accablante descente en enfer. Quelles attentes pour les milliers de sinistrés d’un quotidien tragique, réfugiés sur leur propre sol, citoyens d’une république laïque sous administration djihadiste, patriotes maliens les pieds en territoire indépendantiste ? Il faut que les pratiques nouvelles soient à l’antinomie des habitudes blâmables qui ont plongé notre pays.

LES ACTEURS DE LA TRANSITION

Il  importe de veiller scrupuleusement à la qualité des femmes et hommes qui auront à charge d’animer la transition. Dresser leur profil n’est pas chose aisée, le pays regorgeant de compétences que leur appartenance à la majorité présidentielle ou au mouvement de contestation ne saurait frapper de bannissement ou auréoler d’éligibilité de droit. Cependant, certaines pratiques en cours appellent à la vigilance.

Ainsi, la prise d’assaut du Camp Soundiata Keita de Kati par des personnalités, avec force déférence et valises d’argent, pour des raisons évidentes de pré-positionnement ou de repérage de refuge pour délinquants parait assez révélatrice de la détermination et de la témérité de certains cadres véreux.

Du côté des réseaux sociaux, l’expression de la puissance émotionnelle de photos, auréolées de légendes lénifiantes comme « l’enfant béni du peuple », « une chance pour le Mali » ou autre « l’homme qu’il faut pour la transition », doit appeler à la veille citoyenne.

L’heure n’est pas à l’exclusion, mais à l’union sacrée au chevet de la patrie. Cependant, le choix des animateurs de la transition se doit d’être véritablement à l’aune des enjeux, la réorganisation du service public et la refondation de l’Etat.

REORGANISATION DU SERVICE PUBLIC

La réorganisation du service public est indissociable de la bonne gouvernance qui en est le substrat. Il ne s’agit pas de retourner la terre. Il n’y a pas d’Etat dans un contexte d’injustice, d’incompétence, de carence de la comptabilité publique, de manque de services sociaux, d’incapacité à préserver le patrimoine de nos établissements publics jusqu’à la faiblesse de la protection diplomatique de nos concitoyens.

Même si l’opinion déplore qu’en IBK le kankeletigui annoncé soit venu avec la langue retournée, l’on reconnaitra tôt ou tard que l’homme a vu juste lorsqu’il déclarait, le 09 juillet 2020 que « l’engouement des populations pour la justice expéditive des pseudo-djihadistes s’explique par le rejet de la justice d’Etat avec les tares qui lui sont connues comme la corruption et la durée des procédures ». Le Président, ou ce qu’il en restait ce jour, visait, au-delà des juridictions, tous les échelons administratifs du pays. « Car ce sont bien notre justice, notre commandement administratif, nos Eaux et Forêts, nos services financiers qui, par licence et abus, ont construit de l’Etat la copie monstrueuse et désinvolte qu’en ont nos compatriotes. Il va falloir donc que chacun redore un blason étriqué et décousu ».

Pour ces raisons et pour le devoir de protection des citoyens et des ressources publiques, l’Etat doit rentrer résolument dans les feuilletons sulfureux des « casses du siècle », telles que les affaires des engrais frelatés, des équipements militaires, de l’avion présidentiel, des aéronefs de l’armée, etc. L’Etat doit situer sa propre responsabilité dans l’échec de la campagne cotonnière et celui de l’année scolaire, si tant est qu’il n’y a que l’année en cours qui a échoué.

REFONDATION DE L’ETAT

Il ne faut pas croire un instant que les problèmes institutionnels et politiques, la crise électorale sont imputatifs à une obsolescence des textes qui régissent les Institutions ou les opérations. Est-ce à la lacune de ses textes d’organisation que l’on doit regretter de s’accommoder du Haut Conseil des Collectivités (HCC) depuis neuf ans que son mandat est fini ? Non. Est-ce à cause de l’anachronisme de textes que l’on a rallongé le mandat législatif passé de deux prorogations successives, ni pertinentes ni légales ? Non.

Pour ce qui concerne les dernières élections législatives, il y a de quoi donner le tournis. Alors que les préjudices au déroulement normal des élections, dénoncés à tous les niveaux, sont qualifiés et punissables, on donne quitus de service fait pour l’ensemble du scrutin. Seulement, lorsque les électeurs, floués, sortent de la voix et du muscle, on reconnait des erreurs, inacceptables pour une trentaine de cas. Mais au lieu de situer les responsabilités pénales, on cherche la petite bête dans les textes, obsolètes, absolutiste pour la Cour constitutionnelle et on met la solution au crédit au projet de révision constitutionnelle. Il faut croire qu’au Mali, chaque fois qu’on est convaincu du délit de turpitude généralisée, on met les pendules à zéro en changeant de mode opératoire dans la perspective muette de la prochaine vague, notre dignité s’étant avachie à ce point.

Et pourtant, sur la question de la Cour constitutionnelle, il faudrait bien une autorité désignée sur des critères humains et non divins pour proclamer en définitif les résultats de l’élection. A moins que la transition, souveraine, ne propose, entre autres, un référendum pour chaque résultat contesté ou alors, puiser dans notre culture en confiant la question à la sagacité du jeteur de cauris en transe ou à la sagesse du marabout, inspiré dans son sommeil par Dieu lui-même.

ENFIN DE LA DIGNITE !

Le Mali de nos rêves, celui de la vision des pères Mamadou Konaté et Modibo Keïta, et dont on espère un nouveau semis aux termes de la transition sera ce pays de justice, de solidarité, de probité morale et de dignité pour tous, sans distinction de sexe, de race ou de condition. Toutes choses qui sont à l’antinomie de nos habitudes blâmables.

Le Mali de nos rêves se reconnaitra difficilement dans l’image d’une jeune adolescente mutilée, exposée à l’émotion populaire, pour une sollicitude politicienne alors même qu’en aval, on aurait pu, en sauvant l’année scolaire et en évitant le chaos communautaire, éviter à Fatoumata Guindo l’exode qui l’a conduite dans l’enfer, en mission de soutien de famille, à elle comme à des milliers d’autres filles anonymes, en pâture à la maltraitance, la brutalité dans l’indifférence populaire, dans des camps de réfugiés à la lisière de l’Etat de droit.

Notre dignité, ce n’est sûrement pas l’image d’un Président, le temps d’une après-midi chaotique, accordant, trop tard hélas, par « décision » une loi promulguée par ses soins propres et que son Chef du Gouvernement, dans un bras de fer indigne de son rang avec les enseignants, a refusé obstinément l’application jusqu’à la compromission de l’année scolaire.

Si la justice des hommes laisse passer, Dieu ne nous laissera pas, ni ici ni ailleurs.

Abdelkader Haïdara (kader_ah@yahoo.fr)

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