Vers les années 1830, un débat passionné opposa à Tripoli, le Consul de France, le Baron Rousseau, à Sire Warinton, Consul d’Angleterre. Cette guerre rhétorique dans laquelle les tours les moins honorables n’ont pas été évités eut pour objet, les papiers du Major Alexander Gordon Laing, qui disparurent après son assassinat à une cinquantaine de kilomètre, au Nord de Tombouctou, en 1826.
Le Sire Warington accusait le Baron Rousseau d’avoir commandité cet assassinat et soutenait même que le Sieur René Caillé n’avait fait qu’utiliser les papiers du malheureux Major pour écrire son tant prisé “Voyage à Tombouctou”. Le Baron Rousseau lui se défendait d’une telle forfaiture. Un incident diplomatique naquît ainsi autour de la mort du premier explorateur européen qui visita Tombouctou au XIXè siècle ; elle deviendra une véritable affaire d’Etat qui fut un drame avec son sujet mordant, ses acteurs passionnés et son dénouement incertain.
Tombouctou nourrira au XIXè siècle, le rêve de plus d’un voyageur.
La ville fut élevée au rang des grands mythes géographiques de l’homme.
Reine vieillie, sans terre et sans couronne, elle s’est avec décence, repliée sur elle même, à tel point qu’elle est devenue une légende.
De Paris, de Londres, de Berlin, les Sociétés de Géographie multiplieront les prix pour l’explorateur qui atteindra le premier, la ville devenue mystérieuse.
Le Major Alexander Gordon Laing réussira la prouesse. Il atteindra Tombouctou le 13 Août 1826.
Parti de Tripoli, Gordon Laing atteindra In-Salah le 2 Décembre 1825. Il y restera jusqu’au 9 Janvier 1826 ; il était accompagné entre autres, du juif de Tripoli, Jacob Nahoum. Il passa probablement après par Walen, il est attaqué en début Février vers In-Ziza. Il passera malgré, ses blessures par Mabruk pour le Bled Sidiki el-Mokhtar alkunti également dit Bu-Anwar le 3 Juillet 1826. Là, il se reposera de ses blessures auprès de Sidi Muhammad, fils du Sheikh Sidi al-mukhtar al-Kabir et Pontife des Kadiri Kunta.
Après la mort de Sidi Muhammed qui survint peu après l’arrivée du sujet anglais, le Sheikh Sidi al-Mukhtar al-Saghir, troisième Pontife de la Qadiriyya Kunta fera conduire Laing à Tombouctou. Il atteindra cette ville le 13 Août 1826, deux ans donc avant le français René Caillée.
La ville était encore sous la domination théorique du Pasha Adou-Bakr de la famille Zar’i de Jjingarey-Ber, et sous le contrôle effectif des Peul du Macina.
Laing est ainsi entré dans l’histoire. Il est le premier explorateur européen à visiter Tombouctou.
Fort de cette prouesse, il y séjournera jusqu’au 22 Août 1826. Il la quittera à cette date pour chercher à rejoindre Tripoli par le Nord-Ouest. Il est assassiné deux jours plus tard à Seheb, le 24 Août 1826, dans des circonstances encore obscures.
Le cirque des Consuls
Les Consuls de France et d’Angleterre ont donc pris le devant de la scène pour donner des réponses pleines d’enthousiasmes et peu convaincantes aux questions qui pouvaient se poser autour de la mort du Major Aleixander Gordo Laing.
Ils défendaient chacun les intérêts de leurs nations respectives avec verve.
Le burlesque suivait le drame. Voyons de plus près ses acteurs.
Sire Hanmer Warrington né à Acton en 1778 avait été Consul Général d’Angle terre à Tripoli de 1814 à 1846 ; Warrington avait aidé plusieurs explorateurs dans leur entreprise ; il y avait parmi ceux-ci Ritchie et Lyon ; Denham, Claperton, oudney et Gordon Laing. Sire Hanmer Warrigton, outré par la mort de Laing, soutenait que les papiers de ce dernier parvinrent après son assassinat, dans les mains de Hasuna, Ministre des affaires étrangères du Pasha de Tripoli qui les vendit au Baron Rousseau. Ces papiers sont pour Warrington à la base du récit de René Caillé sur Tombouctou, dont il met le voyage en doute.
Le Baron Jean Baptiste-Louis Jacques Rousseau parfois appelé Joseph est né le 10 Décembre de l’année 1780. Il descend comme l’auteur du contrat social et de Emile ou de l’éducation, le philosophe Jean Jacque Rousseau (1712-1778) de Jean Rousseau (1606-1684) maître horloger.
Devenu consul, le Baron s’est trouvé mêlé à plus d’une histoire obscure de manuscrits anciens.
Les orientalistes Silvestres de Sacy et Jacque Graber de Hemso ne le tiennent guère en estime pour cette raison.
Il se défend d’une telle accusation et défend la France qui, depuis 1828 avait l’honneur d’être la patrie du premier explorateur européen à atteindre Tombouctou et à revenir saint et sauf à son point de départ, René Caillé.
Ils se sont accusés l’un et l’autre de tout.
Chacun a donné de l’autre, le tableau le plus mordant. Théodore Monod a dans un ouvrage extraordinaire sur cette question, retenu les éléments de cette guerre verbale qui a vite dépassé les protagonistes pour devenir une véritable affaire d’Etat.
Rousseau est piqué d’écrire parfois, il est accusé de plagiat et Warrington lui, est un exalté, vaniteux, ivrogne brutal et maladroit.
Ils ont encombré les archives de leurs Etats respectives d’une littérature peu respectueuse sans pour autant résoudre la litigieuse question des papiers du Major Gordon Laing.
Comme pour compliquer les choses, Hasuna, accusé par le Consul d’Angleterre, Sire Hnmer Warrington, d’avoir soustrait les papiers de Laing, passe par l’Espagne, la France, l’Angleterre et le Maroc où il prend contact avec Jacques Denis de la porte (1777 – 1861) vice Consul de France à Tanger, qui avait reçu dans cette ville René Caillé, le 08 Septembre de l’année 1828.
Le doute est semé ! Le Sieur René Caillé est passé chez le même.
De la porte qui reçoit après, Hasuna, accusé par le Consul d’Angleterre d’avoir soustrait ces papiers. L’histoire prend donc un relent de polar. René Caillé a-t-il fait le Voyage à Tombouctou ?
Les papiers du Major Alexander Gordon Laing
Le Major Laing expédia de Tombouctou un paquet de documents avec des lettres et “un billet à ordre pour 185 Mitquals”.
Le paquet est tenu pour perdu aujourd’hui encore ; deux lettres et le billet arrivèrent à Tripoli.
La Chronique d’Arawan traduite par Houdas et citée à Bonnel de Mézières, atteste que le reste des papiers du Major Laing a été brûlé, et les bagages de l’anglais enfouis.
Le prospecteur et arabisant de Tombouctou, Ahmed Ould Saloum dit Shoued a déposé il y a seulement quelques année, pour étude à la Bibliothèque de la famille Kati (fondo Kati) un manuscrit à dix feuillets.
Le texte est de l’andalou, Ibn Malick de Gaen ; il a pour titre Tuhfat al-mamdud fi 1-magsur.
Il a été copié en 1266/1837, soit 11 ans seulement après la mord de Major Laing et la disparition de ses papiers.
Le manuscrit mesure 15×15 cm de 18 lignes papage.
Il est écrit en encre noire et rouge.
Ce texte arabe est coupé perpendiculairement par une écriture en langue anglaise, de ligne fine, rapide et pen à droite.
Au quatrième feuillet se trouve une note de 11 lignes faite d’une autre main.
Il est bien question ici d’in palympseste.
Le papier du premier feuillet au huitième porte une filigrane qui montre que chaque deux feuillets n’est qu’une seule feuille divisée en deux par le copiste du texte arabe qui est en fait superposé sur le texte en anglais.
Les folios neufs au nombre de dix portent une autre filigrane avec une date : 1 824.
Nous sommes donc devant un papier fabriqué un an seulement avant le départ de Gordon Laing de Tripoli.
Le texte anglais parle de Tombouctou, de Ghadamès, de Sir George… Il donne la description d’une ville située à 30° 07′-20″ Nord 9°, 16-15, entre autres choses.
Résumons : l’écriture anglaise est la même que celle des lettres de Laing signées trois jours avant sa mort ; l’étude paléographique du texte le montre ; le papier utilisé date de l’année 1824, d’un an donc avant le départ de Laing de la ville de Tripoli et le texte arabe superposé est de 1837, de 11 ans donc après la mort de Laing ne sont pas perdus. Une étude plus serrée du texte anglais transcrit par le père Jean Poulain nous le dira.
Ismaël Diadié Haïdara chercheur à Tombouctou
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