Au bon vieux temps, l’être le plus fort ne cherchait jamais à abuser constamment de son privilège, de sa suprématie circonstancielle en vue d’imposer ses vues, ses positions ; il les utilisait intelligemment pour expliquer, pour convaincre ; il agissait plutôt avec humilité et sagesse pour ne pas créer ou entretenir la désolation et la frustration au sein de populations déjà affectées par un environnement difficile, voire contraignant.
Mais malheureusement, les islamistes extrémistes ne connaissent pas pour le moment que le langage de la violence, de la brutalité, de l’horreur, toutes choses contraires à nos pratiques traditionnelles car il est plus facile de détruire que de construire. Les occupants du septentrion malien utilisent la puissance dont ils disposent aujourd’hui comme des fous furieux, dans un cycle infernal de vengeance, de dérives, de représailles à telle enseigne que les autochtones, témoins à chaud des exactions commises, non protégés, non respectés, dans le désespoir, ne croient plus en rien, y compris la vie, le meilleur devenir du pays.
L’histoire nous enseigne que les femmes et les hommes, engagés et motivés, unis et conquérants, peuvent, à travers un processus continu, en relation dynamique et dialectique avec de toutes les bonnes volontés, surmonter les obstacles et défis auxquels ils sont confrontés, comme en témoignent les récentes prouesses de résistance de la jeunesse, de la gent féminine des villes Goundam, de Gao, réalisées, les mains nues, en réponse aux exactions des islamistes, tout un exemple vivant de dissuasion, d’expression de ras-le -bol .
La conjugaison des efforts et des possibilités des uns et autres est un levain de salut commun, se traduisant objectivement par une réelle valeur ajoutée aux actions d’information, de sensibilisation, d’éclairage, de lutte menées depuis le déclenchement des opérations d’envahissement du nord Mali.
Elle constitue un passage incontournable pour enrichir, fortifier les pages des cités glorieuses occupées et édifier davantage le grand public qui veut en savoir un peu plus sur elles.
La fertilité productive de l’intelligentsia nationale demeure un atout clé, susceptible, parmi tant d’autres, d’ apporter, à travers notamment une approche rationnelle, la contribution qui va permettre d’accentuer l’intérêt à porter aux vestiges et prestiges de hauts lieux d’histoire de notre pays et, partant, à stimuler les capacités récurrentes des uns et des autres face à l’adversité, à peaufiner la culture de l’écrit, à appuyer encore sur la sonnette d’alarme pour le sauvetage d’un trésor patrimonial en voie de dégradation avancée, pour l’arrêt d’un vaste programme de destruction de mausolées, de remise en cause de dimensions fondamentales d’union de cœur et d’esprit, de mœurs, us et coutumes multiséculaires.
Une invite expresse s’impose pour favoriser le foisonnement des idées tout en privilégiant le débat intellectuel, le recours à l’authenticité, à l’objectivité des faits et des données. Pour ce faire, deux fonctions essentielles de la communication moderne sont exploitables à notre avis : l’appartenance (fierté, dignité, convivialité, sens de la vie communautaire, dialogue, intégrité) et l’influence qui demeure un moyen d’exercice de l’autorité (écouter, faire et faire savoir, faire changer, s’appliquer et s’impliquer, produire un changement ou l’empêcher).
L’avenir n’embarrasse que celui qui méconnait le passé. Tous les agissements déplacés, tendancieux ne peuvent qu’affecter dangereusement la crédibilité, la notoriété dont jouissait l’ensemble des communautés au Mali, reconnues et appréciées de facto, tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger. Les éléments égarés qui sont poussés par des instincts naturels de préjugés, de vengeance, de satisfaction de besoins immédiats, ne peuvent que commettre des bavures dont ils seront les premiers à les regretter quand la situation normale de tension et de pression va se rétablir au terme des hostilités qui sévissent encore.
Entre temps, les occupants, en attisant les extravagances, les provocations, particulièrement à Tombouctou, cité de renommée mondiale, affichent au grand jour leur dessein d’effritement de la société locale. Des mausolées et non des moindres sont déjà détruits : Cheick Sidi Mahmoud au nord, Cheick Sidi El Moctar à l’est, Cheick Alpha Moya à l’est, Cheick Aboul Qâsim al Tuwati à l’ouest, Cheick Sidi Ahmed Ben Amar à l’ouest, Cheick Sidi Mikki à l’ouest, Cheick Baber Baba Idjé contiguë à la mosquée de Djingareyber, Cheick Mahamane Al Fullani contiguë à la mosquée de Djingareyber(ouest), Cheick Mahamane Tamba Tamba sis au camp militaire, la porte de la mosquée de Sidi Yéhia, côté ouest.
Tous les sites pittoresques sont la cible des islamistes. La plus ancienne mosquée de la ville, la grande mosquée de Djingareyber, construite par l’empereur Kanka Moussa, de retour, en 1325, d’un célèbre pèlerinage aux Lieux Saints de l’Islam, n’a pas échappé au courroux des bandes armées. La démolition de sa partie ouest survenue le 10 juillet 2012 au grand dam des autochtones, a conduit à une vive réaction généralisée. Après les cris de désolation, les larmes, les pleurs nourris des populations ayant assisté ou non à la destruction d’un symbole fort pour elles, c’est vraiment triste de voir l’essentiel des habitants se livrer à des déplacements massifs vers des cieux plus cléments, recherchant, malgré eux, un havre de quiétude que n’offre plus la ville occupée, le berceau de leurs ancêtres.
Mausolée à droite (partie ouest de Djingareyber) démoli le 10 juillet 2012.
Certes, au cours de sa longue et riche histoire, Tombouctou, terre d’accueil et d’hospitalité légendaire, a été une grande métropole religieuse du Soudan d’antan, un trait d’union d’importance vitale entre l’Afrique du Nord et l’Afrique au sud du Sahara. Elle a ainsi fait l’objet de diverses convoitises à savoir, entre autres, la conquête marocaine en 1591, la visite de grands explorateurs européens dont l’écossais Major Laing (1826), le français René Caillié (1828), l’allemand Heinrich Barth, le joug peul (1826-1862), l’éphémère occupation toucouleur (1862-1863), la domination Kounta (1863-1865), la domination touareg (1865-1894), la conquête française à partir de 1893. Mais jamais, de mémoire, aucun des tumultes connus n’a conduit à une quelconque atteinte à l’intégrité de son patrimoine matériel et immatériel. Les lieux de culte ont été toujours protégés, préservés, voire encensés.
Mais l’esprit de Tombouctou qui envoûte, qui rayonne sur le monde extérieur sans armes lourdes, ni sophistiquées, appartient au passé. De beaux restes demeurent cependant.
Les citoyens de Tombouctou, affectueusement appelés « koyraïdjé » ou « koyraboro », c’est-à- dire « les gens de la ville », illustration d’une marque de sympathie et d’affection que l’on ne rencontre nulle part ailleurs, n’ont jamais été belliqueux, loin s’en faut. Ils sont surtout ouverts aux vertus du dialogue consensuel, de l’entente, de la compréhension mutuelle, de la reconnaissance du mérite, du talent, pour l’émergence de la vraie culture islamique.
En cette veille du mois béni de Ramadan, chacun se souvient et a certainement une pensée pieuse aux sages, aux nombreux « Hafz El Coran, aux connaisseurs des « Hadith »du Prophète (Paix et Salut sur Lui)et Fiqr, issus de toutes les communautés qui ont vécu en parfaite symbiose d’esprit religieux et les nombreux manuscrits qu’ils ont produits en quantité et en qualité continuent de susciter des hommages appuyés bien qu’exposés aussi à des menaces de destruction progressive en l’absence d’actions adéquates de protection, de conservation, de sauvegarde.
Par Chirfi Moulaye HAIDARA, Chercheur