Tombouctou : L’artisanat, une vieille tradition

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Dans un document inédit qu’il a réalisé après plusieurs années d’enquêtes, l’historien et chercheur Ismael Diadié Haïdara nous fait découvrir les différentes facettes de la fascinante histoire de  la ville de Tombouctou.

Le peuplement de Tombouctou a varié selon les époques, les dominations et le régime des échanges avec les régions méditerranéennes et subsahariennes.

On Trouve essentiellement dans cette ville ouverte au monde par ses multiples échanges les peuplements noirs et arabo-berbères suivants : Berbères, Soninké, Songhay, Maures, Peuls, Malinké ou Wangara, Bambara, Bozo

Aujourd’hui, la distribution des quartiers coïncide aussi avec celle des principaux groupes ethniques qui l’occupent.

Trois grandes aires linguistiques se donnent en cette distribution : L’aire Tamashaq, L’air maure, L’aire Songhay.

L’aire Tamashaq est occupée par les Bella, esclaves des Tuareg, les Daga et les Garasa. Ils vivent à Bella Farandi et dans les alentours de la ville.

L’aire Maure est occupée par les Arabes et les descendants de leurs esclaves : ils occupent le quartier Abaraju.

L’aire Songhay est occupée par les Arma, les descendants des Sanhaja, ceux des Soninké et les Wangara. Ils vivent à Jingarey-Ber, Sareykeyna, Bajindé et à Sankoré.

C’est à cette activité artisanale fondamentale dans la vie économique qu’il faut ajouter les échanges commerciaux transahariens et ceux qui lient Tombouctou au fleuve Niger. Nous ne nous étendront pas outre mesure sur ces échanges qui permettaient à Tombouctou de s’alimenter en dattes, sucre, tissus, riz, mil, esclaves, thé, blé, tapis, miel, gommes, plumes d’autruche, épices…

L’économie tombouctienne, comme celle de toute la vallée du Niger, est fortement conditionnée par la géographie.

Située entre le fleuve Niger et le Sahara, la vie économique des habitants de Tombouctou est basée sur l’agriculture, l’élevage et la pêche qui jouent un rôle secondaire par rapport aux activités artisanales et aux échangent commerciaux.

Il ne tombe que 130 à 200 mm de pluie par an à Tombouctou.

Cette pluviométrie fort basse n’a favorisé guère un essor de l’agriculture à Tombouctou.

Le seul moyen technique étant la houe, les agriculteurs qui exploitaient les zones des mares et les abords du fleuve, entre Koriomé et Day, ont toujours eu un rendement faible.

Sunni Ali le Grand et l’Askia Muhammad ont construit des digues et des canaux pour favoriser la production agraire dans la région, mais cela n’eut qu’une incidence faible sur la productivité.

A défaut des moyens technique et de la rareté des pluies s’ajoute le régime de la propriété des terres dans la Boucle du Niger, régime qui privilégie la propriété privée du sol exploitable.

Les terres appartenaient en grande partie à l’aristocratie de plume et à celle du pouvoir qui exerçait le système d’exploitation du métayage.

Une bonne partie des ulamas de Tombouctou vivait donc des rentes agricoles.

Le riz, le mil, le sorgho étaient les céréales généralement cultivées. Le blé sera introduit par les andalous, mais il faut attendre la conquête marocaine pour voir sa consommation s’étendre à toute la population de façon générale.

Autour des mares, on cultivait des courges, du haricot, des pastèques. Mais, comme l’indique Léon l’Africain, il n’avait pas autour de la ville de grands jardins.

Les produits des mares et des champs étaient surtout commercialisés à Tombouctou.

La ville pour sa survie dépendait entièrement du fleuve.

Les cultivateurs ont leur corporation à Tombouctou qui a sa propre danse. Au cours de celle-ci, le chant suivant est entonné : Astafurulla almaari banda halo yo sé, Anna ay ña dá n’ga hollo n’di salaba, Ká dar asé tenshi tenshi tenjeré jingar, Astafurulla almaari banda halo yo sé.

Pratiquée avec des instruments traditionnels comme le harpon, les filets et les hameçons, la pèche sur les rives du fleuve a toujours été limitée au niveau productif. Elle est toujours le domaine des Sorko appelés Zenj dans les sources historiques.

L’élevage a été pratiqué fondamentalement par les Peuls et les groupements tuaregs. Ils pratiquaient un élevage extensif surtout.

Les populations avaient également de petits troupeaux de chèvres ou de bœufs. Diango Musa Sagansoro avait selon le Tarikh, 7 troupeaux de bœufs à sa mort, à l’époque de l’Askia Daoud.

L’élevage du chameau est surtout pratiqué par les éleveurs nomades, au nord de Tombouctou, entre Arawane et Walata.

L’élevage des chevaux est par contre pratiqué dans la région herbeuse du Macina.

Corporations et activités artisanales

L’artisanat eut un rôle moteur dans la vie sociale et économique de Tombouctou.

De nombreuses activités artisanales étaient héréditaires selon un système de caste.

Les familles d’artisans formaient des corporations, mais chacune d’elles avait son atelier propre, son maître-artisan ou mallé et ses apprentis ou tende-ijé.

Le tende-ijé entrait à l’atelier dés sa prime jeunesse ; il y restera jusqu’à sa circoncision qui marque son entrée dans le groupe des hommes. Il continuera de travailler sous le commandement de son mallé jusqu’à son mariage.

Le travail de l’atelier commence le matin, s’interrompt en début d’après midi pour se poursuivre de la prière d’alula à celle d’alasara.

A Tombouctou, il est une obligation pour toute personne d’avoir un métier.

La corporation des maçons :

La corporation des maçons de Tombouctou est constituée par des maçons venus de Walata et de Dia.

Les premiers se sont installés à Tombouctou après le sac de leur ville par les Mossi. Ils s’installèrent dans le quartier dit Biruncé-Kunda (quartier des gens de Biru ou Walata).

Les maçons de Dia sont venus dans la suite de l’askia Muhammad et de son frère Umar Khomzhagho. Ce sont eux qui bâtirent la ville de Tindirma.

Ils s’installèrent en partie dans cette ville, et en partie à Tombouctou et à Gao.

Ce sont les maçons qui remplissent également la fonction de fossoyeur.

Les maçons ont leurs traditions propres, leurs propres fêtes et leur danse où un chant est dédié aux Gabibi (noirs) : Na woyye na woyye, Woyyalawoyye woyye, Bara yer ma hoy jaro, Gabibi woy si sahin bara n’da gu dawla, Gabib har si sahin bara n’da gu dawla.

O woyye Woyye, Woyyalawoyye woyye

Nous passerons le  jour d’hui

La femme noire ne vaut que par sa gloire

L’homme noir ne vaut que par sa gloire

La corporation des bouchers

La corporation des bouchers avait à sa tête un chef qui défendait ses intérêts. Elle n’est pas castée. Elle a jouée un rôle fondamental dans l’économie alimentaire. Ils ont leur propre chant et danse appelé Abarbarba.

Abarbarba Han !                                   Abarbarba Han!

A Sidiki Han                                         A Sidiki Han

Wayé ijé yo                                          Enfants de bouchers

Wayé fumbo ijé yo                                Enfants des bouchers répugnants

Wayé go fumbu                        Le boucher est répugnant

A hamdi go nasu                                  mais sa marchandise est grâce

Menuisiers-charpentiers

Une tradition fait remonter aux Askia la corporation des menuisiers et charpentiers à Jamey-Kunda.

Leur installation dans les ateliers actuels remonte au Pasha Mahmud b. Zarqun de Guadix. Plusieurs d’entre eux vinrent de Marrakesh avec l’armée saadienne dirigée alors par Jawdar Pasha de Cuevas d’Almanzora. Ils s’occupaient en partie de la logistique. Ils sont les premiers à fabriquer des barques à Tombouctou.

Ils fabriquent les portes en bois dur, les fenêtres ajourées, les serrures en bois, les chevrons, les linteaux des portes et font également des malles et des coffrets.

Les travailleurs du bois chez les Tuaregs eux façonnent des pilons, des plats, des écuelles, des entonnoires, sculptent également des piquets de tentes et de lit comme l’inquait Dupuis Yakouba.

Les menuisiers travaillent aussi le fer : les fausses pentures ornementales, les clous des portes, les verrous, les serrures en fer, les heurtoirs.

Les Tailleurs et les tisserands

Il est dit dans le Tarikh qu’il y avait à Tombouctou 26 ateliers de tailleurs comprenant chacun 50 apprentis, soit 1300 personnes.  Ils s’occupent, non seulement de la couture, mais aussi à la broderie.

Cette fonction n’est pas castée. Par contre, celle de tisserand l’est.

Les cotonnades que font les femmes étaient exportées et servaient au XVIe siècle encore de produit d’échange comme les cauris.

Le travail des métaux

Ce sont les Garasa et les Jam qui travaillent le fer l’or, l’argent et le cuivre ; Ils forment une caste de bijoutiers, d’orfèvres et d’armuriers qui ne se marient qu’entre eux.

Les Garasa sont les clients des Tuaregs et les Jam appartiennent eux aux groupes Soninké et Songhay.

Les forgerons travaillent surtout avec le fer et fabriquent des pioches, des sarcloirs, des binettes, des lances, des sabres, des poignards, des couteaux, des mors, des hameçons et des étriers.

Le travail du cuir

Le métier de cordonnier est exercé par les arma marocains, descendants de l’armée du Pacha Jawdar qui conquit l’Empire Songhay en 1591. Seuls les hommes Arma cousent et brodent les chaussures.

Les femmes Garasa travaillent elles aussi le cuir. Elles fabriquent des cordelettes pour ceinture de pantalon et pour les amulettes, des brides et des sangles pour les chevaux et les chameaux.

La poterie, la sparterie et la vannerie, les fabricants d’anneaux de coquillages et de bracelets en pierre, de lit et de sièges sont une minorité à Tombouctou. Dupuis dans son ouvrage sur les Industries et principales professions des habitants de Tombouctou cite d’autres industries artisanales auxiliaires comme les coiffeuses et les perruquiers et barbiers.

L’art du copiste

A Tombouctou comme l’a indiqué Léon l’Africain dans sa description de l’Afrique, le livre est une des marchandises les plus chères du marché.

Il y a toujours eu depuis le XVe siècle des copistes de manuscrits à Tombouctou.

Comme je l’ai indiqué dans mon ouvrage intitulé Tombouctou et les derniers Visigoths (Séville, 2003) la copie des manuscrits était une industrie à part.

Les manuscrits, une fois copiés, et les enluminures portées en tête de chapitres, l’œuvre passait alors chez les travailleurs de cuir qui faisait des gaines à la mesure des volumes ; ils les décoraient avec des motifs d’ici et d’ailleurs.

Le décor géométrique qui a suivi les routes de l’Orient et de l’Occident musulman se joint aux éléments floraux, feuilles d’acanthes venues de Alméria par Marrakech, sept siècles avant, sur des stèles taillées pour les rois de Gao par un marbrier du nom de Yaïsh. La vigne, la grappe de vigne à trois lobes des monuments chrétiens de Bysance et des mosquées de Kayrawan et de toute l’Ifriquiyya, tout est là et tout se mêle pour le plaisir de l’art.

C’est, seulement après toutes ces mains de scribes, d’enlumineurs, de faiseurs de gaines que le papier venu d’Europe ou d’Orient par les chemins du désert devient un manuscrit disposé à la sapience des esprits éclairés.

 

Ismael Diadié Haïdara

Historien et chercheur

Tombouctou

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