Voici 25 ans que le camarade Thomas Sankara a disparu dans des conditions dramatiques et non encore élucidées, malgré tout. Nous vous proposons cette interview d’un de ses plus proches compatriotes par les idées et l’idéal qu’ils partagent. Sy Chérif est un éminent confrère Burkinabé, Président du TAEF (Forum des Editeurs Africains), journaliste d’investigation, se réclamant d’être soudanais, du Soudan français plus que du Mali. Il répond à nos confrères du journal Le Pays, un quotidien indépendant du Burkina Faso, sur le 15 octobre 1987, jour de la mort du Président Thomas Sankara et ses conséquences pour le Burkina et l’Afrique. Interview
Chérif Sy, directeur du journal ” Bendré “, n’est peut-être plus à présenter. C’est l’un des fils du grand chancelier, le Général Baba Sy. La rédaction a voulu partager le regard de cet homme de média, sankariste à sa façon, 25 ans après le drame du 15 octobre. L’homme retient du passé des valeurs indispensables pour bâtir l’avenir du Burkina Faso. Et il nous révèle sa dernière rencontre avec feu le capitaine Thomas Sankara, le 13 octobre 1987.
” Le Pays ” : Le 15 octobre 1987, où étiez-vous ? Que faisiez-vous aux alentours de 16h ?
Chérif Sy, journaliste et directeur de publication du journal ” Bendré ” : (Rires). Bon, ça fait beaucoup de questions à la fois. Le 15 octobre, si ma mémoire est toujours bonne, je crois que j’étais à Ouahigouya aux environs 16h, (petit temps d’hésitation) ; oui, j’étais bel et bien à Ouahigouya. On y a appris l’information de ce qui se passait à savoir des coups de feu qu’il y avait à Ouagadougou. Je savais bien ce qui se passait, on l’a appris par téléphone et après, aux environs de 18h, la radio a dû revenir là-dessus. Mais nous, nous avions déjà été informés.
Quand on sait qu’un de vos géniteurs a été actif dans le processus révolutionnaire à l’époque, comment vous avez accueilli cette nouvelle ? Il n’était pas actif dans le processus révolutionnaire, il assumait tout simplement une fonction publique de grand chancelier et la révolution est venue le trouver grand chancelier. Donc, cela n’a rien à voir ni avec la fonction qu’il occupait, ni avec moi-même de toute façon.
Comment avez-vous vécu cet évènement ? Comme la plupart des Burkinabè. Mais il faut le dire en toute honnêteté que le clash en lui-même ne nous a pas étonné parce qu’au niveau d’information où nous étions, nous savions forcément qu’il y aurait un clash. Peut-être pas le 15 octobre mais en tout cas, nous savions que dans la période, il y aurait une grande turbulence politique. Donc on s’y attendait d’une manière ou d’une autre, même si personne ne pouvait dire a priori qu’il devinerait le dénouement en tant que tel. Et quand nous avions appris la nouvelle, immédiatement, certains amis et moi, nous nous doutions bien que Sankara soit toujours vivant. Au delà du ressentiment humain qui est normal chez chacun de nous, bien sûr, cela ouvrait une blessure profonde du fait que l’on perde quelqu’un qu’on connaît personnellement, mais aussi qu’on perde quelqu’un avec qui on partageait un idéal pour son pays, un idéal pour l’Afrique.
Aviez-vous des relations particulières avec Sankara ou avec un des membres de ” la bande des quatre ” comme on dit ?
Non, je ne peux pas dire que j’avais des relations particulières avec un de ” la bande des quatre “. C’est vous qui avez dit ” la bande des quatre “. Mais j’ai eu l’occasion de connaître Sankara quand il était jeune officier, simplement parce qu’il a fait le lycée Ouezzin Coulibaly avec un de mes grands frères. Donc, ils avaient toujours des rapports et ils se fréquentaient toujours. Par ce biais, j’ai connu l’homme. Là, c’était sur le terrain simplement du relationnel, du familial. Et après, j’ai retrouvé Sankara sur le terrain de la lutte politique, de la lutte pour la transformation progressiste et progressive de notre pays. Mais, peut-être que tout n’est pas disible pour le moment. Mais en tout cas, je ne peux pas dire que je ne connais pas Sankara. Et si ma mémoire est bonne, je crois que la dernière fois que j’ai dû voir le président Sankara, c’était le 13 octobre 1987. Et c’était pour parler de la situation qui prévalait à l’époque.
De quoi vous avez parlé le 13 octobre 1987 avec Thomas Sankara ?
Bon, ça, je ne peux pas tout vous dire pour des raisons que vous comprendrez. Mais ce que je peux dire déjà, c’est que nous avons eu à parler de la situation qui prévalait parce qu’il était manifeste qu’il y aurait un clash et nous vous disions qu’il y avait quand même un certain nombre de mesures à prendre par rapport à cela. Le camarade Thomas Sankara rétorquait en disant : ” Qu’est- ce que vous voulez que je fasse ? Vous ne voulez pas que je prenne un tel pour le mettre dans une bouteille ? Vous ne voulez pas que j’envoie un tel comme ambassadeur ? Et s’il refuse ? Ou bien vous voulez que je tue un tel ? Parce que si vous me dites qu’il faut tuer quelqu’un ou embastiller quelqu’un, je ne le ferrai pas. “. Ce n’est qu’un pan, il y a d’autres aspects que je pense que, pour des considérations historiques, ce n’est pas le moment d’en parler. Mais je pense que, le 13 octobre 1987, les dés étaient déjà pipés. Nous, à notre petit niveau, on le savait déjà. Donc, les forces s’organisaient et tout le monde savait. Bon, ce qui serait intéressant, peut-être à l’occasion des 25 ans, de discuter peut-être et de faire ressortir un certain nombre de personnalités ou de forces qui ont contribué scientifiquement à l’avènement du 15 octobre et je suis même surpris que certains d’entre elles se retrouvent dans l’opposition. Mais, enfin ! L’homme est multiple et ondoyant, dit-on, surtout dans le milieu politique. Mais je pense que Sankara n’a pas été beaucoup aidé. Cet homme a cru beaucoup à son pays, il a cru en l’Afrique, il allait peut-être dans un rythme auquel il croyait et que certains de ses camarades et compagnons ne partageaient pas. Ils dormaient sur la natte mais ne faisaient pas les mêmes rêves. Son détachement de toute considération matérielle n’était pas forcément partagé par beaucoup de camarades qui estimaient qu’eux, ils ont joué leur vie et ils sont arrivés au pouvoir. Donc, ils doivent jouir des plaisirs du pouvoir alors que Sankara, lui, voulait jouir des plaisirs et des satisfactions de son peuple. Donc, à la limite, le clash était évident.
Aujourd’hui, vous considérez-vous comme un Sankariste ?
Je me méfie beaucoup de cette terminologie, étant entendu que, finalement, beaucoup de gens y mettent un contenu qui est le leur mais que je ne partage pas forcément. Mais, je me reconnais comme quelqu’un, avec d’autres camarades ayant été des militants, qui, à une époque donnée de l’évolution de notre pays, a partagé un idéal commun et cet idéal était porté par Thomas Sankara.
Quel type de Sankariste êtes-vous si vous deviez définir votre position, ce que vous entendez par Sankarisme aujourd’hui ?
Non, ce n’est pas ce que j’entends par Sankarisme. C’est-à-dire que dans l’évolution politique, économique et sociale de notre pays, à un moment donné, notre peuple avait des aspirations fondamentales qui portaient sur un certain nombre de valeurs : l’intégrité, l’honnêteté, la bonne gouvernance et la transformation des conditions d’existence de la population. En ce moment, il y a des individualités, il y a des forces que l’on peut considérer comme patriotiques, des forces que l’on peut considérer comme progressistes qui ont accédé à la gestion du pouvoir d’Etat avec, à leur tête, le capitaine Thomas Sankara, qui, en quatre ans, tant bien que mal, ont essayé d’imprimer une certaine marche. Qu’on le veuille ou non, cette marque a transformé radicalement ce pays. Ne serait-ce que l’ouverture de l’esprit des uns et des autres par rapport à la gestion de la chose publique, les barrages qui ont été faits, les écoles qui ont été construites, c’est une grande plus-value. Donc, il y a un certain nombre de valeurs sur lesquelles ce processus s’est reposé et qui font qu’aujourd’hui, le Burkina, quel qu’il soit aujourd’hui, doit à cette période-là. Maintenant, Je pourrai donner ma conceptualisation de cette période-là, mais là, il faudrait des pages et des pages et je ne pense pas que le propos sied pour le moment. Mais je veux dire que l’essentiel, c’est de retenir que c’est une expérience révolutionnaire qui a transformé véritablement les conditions d’existence de nos populations.
25 ans après la mort de Sankara, pensez-vous qu’on a su capitaliser toutes ces actions et tous ces mouvements qui ont été déclenchés ? Est-ce qu’on peut regretter un certain nombre de points aujourd’hui ?
Vous dites bien 25 ans après ? Vous savez, quand vous me quitterez, rencontrez n’importe quel jeune qui n’a pas 25 ans dans la rue, donc qui n’a pas connu Sankara, et demandez lui ce qu’il pense de Sankara ? Voilà, c’est ça qui est simple. Vous quittez le Burkina, vous allez un peu partout en Afrique, vous, abordez des jeunes, dès que vous dites Sankara, vous avez des gens qui se regroupent autour de vous pour en parler. Même les enfants à l’école primaire ont toujours quelque chose à dire sur Sankara. Cela veut dire qu’il y a beaucoup de choses à dire et au-delà du processus, l’homme lui-même a représenté quelque chose dans la conscience historique de son peuple, à telle enseigne qu’on ne peut pas l’effacer. Je ne pense pas qu’il aurait représenté quelque chose dans la conscience de son peuple s’il n’avait pas posé d’actes positifs. S’il n’avait posé que des actes négatifs, je pense que personne ne parlerait aujourd’hui de Sankara. Donc, si on en parle aujourd’hui, et d’ailleurs, beaucoup, quand ils veulent critiquer la gouvernance d’aujourd’hui, notamment par rapport à la corruption, etc. font référence à cette période révolutionnaire. Pourquoi ? C’est parce que, d’une certaine manière, cette période a représenté une certaine excellence dans la gouvernance malgré tous les défauts. Moi, je ne suis pas de ceux-là qui chantent que tout a été bien. Non, il y a eu des manquements graves, très graves même, mais je dis et j’affirme que ce pays a avancé grâce à cette période. Donc, aujourd’hui, par rapport au libéralisme dans lequel nous vivons et qui, de mon point de vue, est loin de pouvoir apporter le bien-être auquel notre peuple a droit, je pense qu’on est obligé, chaque fois, de se remémorer cette époque. Mais on ne s’en remémore pas pour se figer dans le passé comme certains le font. C’est pour cela, quand vous avez dit Sankarisme, tout de suite, je vous ai dit que je me méfie des contenus que les uns et les autres y mettent. Parce que je ne pense pas que même si le processus avait continué, aujourd’hui, ce serait comme si c’était le 4 août. Le monde évolue, la société évolue. Donc, il y a forcément des visions nouvelles qui ne viennent pas ex-nihilo, qui reposent sur ce passé-là, donc nous ne pouvons pas rester figés. Il faut que nous avancions, il faut que nous creusions plus la réflexion pour voir ce que nous pouvons faire de mieux par rapport à ce qui a été fait. Et c’est cela pour moi, une vision qu’on pourrait qualifier de Sankariste. C’est cette dynamique, partir de ce qui a été fait, le contextualiser et par rapport à cette contextualisation, développer de nouvelles approches pour un développement endogène de nos pays.
Qu’est-ce que cela vous a apporté d’avoir connu cette période et d’avoir tiré leçon de toutes les vertus de cette période aujourd’hui, en tant que journaliste, militant engagé, Sankariste ?
L’homme est fait de tout. Tout homme est fait de tout. Nous naissons, nous sommes éduqués d’une certaine manière, nous évoluons dans un certain environnement, il y a d’autres choses qui nous impactent positivement comme négativement. Je dois dire, en toute modestie, que même si je ne dirai pas que c’est cette période des quatre années glorieuses qui m’ont donné cela ; elles ont aguerri cela en moi. Vous êtes là en face de moi, Tao, vous êtes mon frère. Mais si j’ai envie de vous dire merde, je vous dis merde. Si j’ai quelque chose à dire, au moins, je le dis. Le problème n’est même pas de savoir si ce que je dis est vrai ou pas, mais je le dis au moins. C’est-à-dire que je n’attendrai pas que vous tourniez le dos pour commencer à vous poignarder. Je vous dirai ce que j’ai envie de dire en face, c’est-à-dire appeler un chat un chat. Ensuite, malgré les difficultés de la vie que chacun de nous peut rencontrer, je pense que nous faisons dans notre quotidien, aussi bien vis-à-vis de notre famille, de nos enfants, de nos collaborateurs, que vis-à-vis de la société, montre d’une certaine intégrité. Voilà, c’est déjà cela. Nous essayons de rester intègres, de ne pas aller nager dans des eaux troubles. De ne pas avoir des attitudes de mendiant larmoyant, parce que nous aurions envie de circuler dans une 4X4 ou quoi. Non, nous restons nous-même et ce que la vie nous donne, ce que nos propres efforts par le travail nous donnent, nous nous contentons de cela. Je pense que cette période aussi a aguerri cela en nous. Enfin, le respect, le respect de soi-même et le respect des autres ; nous pensons que nous sommes à la tête d’un organe de presse aujourd’hui qui ne plaît pas forcément, qui plaît peut-être à d’autres mais qui ne plaît pas forcément du fait de sa ligne éditoriale. Mais malgré cela, les gens sont justement obligés de nous respecter parce qu’ils savent que nous restons conséquents avec nous-mêmes et que nous ne ” labéliserons ” jamais. Nous ne jouons pas, comme je vous l’ai dit tout à l’heure, au mendiant larmoyant. Nous restons nous-mêmes et cela force le respect, le regard des autres sur vous. Vous méritez le respect parce qu’ils sont obligés, parce qu’ils savent qu’ils ont affaire à quelqu’un qui est lui-même. Voilà quelques éléments, sans trop réfléchir, que je peux dire que nous avons tirés de cette période. Mais plus que tous ces éléments, c’est la conviction qu’en tant que Burkinabè, en tant qu’Africain, nous avons un devoir, celui de contribuer à ce que nos pays ne soient pas dépendants, de contribuer à ce que nos pays se développent, de contribuer à ce que notre jeunesse, nos enfants puissent évoluer dans une Afrique autre que celle que nous, nous avons connue ou celle que nos pères ont connue. Une Afrique libre et prospère.
Dans quelle posture vous vous sentez le plus à l’aise ? Journaliste engagé d’obédience Sankariste ou militant Sankariste ?
Voilà, vous m’apportez encore un nouveau concept parce que moi , je n’ai jamais su ce que c’est qu’un journaliste engagé, je ne sais pas en quoi ils sont engagés, je ne sais pas où ils sont engagés. Donc vraiment, je vous laisse la propriété et la paternité de ce concept. Je dis, je me sens comme moi-même. Un de mes confrères me demandait à une conférence un jour, ou plutôt il était en train de théoriser pour me démontrer qu’un journaliste doit être indépendant, etc. Je lui ai demandé tout simplement indépendant de quoi ? Vous êtes indépendant de quoi ? Moi, je dis que je suis journaliste, mais je ne suis pas indépendant parce que je dépends des aspirations de mon peuple. Je vis au sein d’un peuple qui a des problèmes pour accéder à l’eau, pour être scolarisés, pour accéder aux soins primaires. Je ne peux pas être indépendant de cela. J’en suis dépendant et c’est cette dépendance qui détermine ma conscience et qui détermine la mission de ma plume. Donc, moi je ne suis pas indépendant. Et ma posture est simplement celle- là. Si c’est cela qui est être engagé, vous pouvez me considérer comme engagé. Si c’est cela que vous appelez ” Sankariste “, vous pouvez m’appeler ainsi mais moi, je ne suis pas indépendant des aspirations de la société dans laquelle je vis et je pense que l’aspiration fondamentale de cette société, c’est de vivre mieux. Et si telle est ma mission et je dois me battre pour cela, je me battrai jusqu’à ma mort.
En parlant d’engagement, on pense aux journaux d’opinion qui ont des chapelles. Au Burkina, on a tendance à les traiter soit proches du parti au pouvoir, soit de l’opposition. Est-ce que vous vous considérez comme un journal de l’opposition ? C’est juste une petite caricature quand on dit ” journaliste engagé “.
Je me considère comme un journal burkinabè qui a un lectorat dans tous les pans de la société. Que ce soit parmi ceux qui gèrent le pouvoir, que ce soit dans ceux qui s’opposent au pouvoir, j’ai un lectorat pour qui j’ai du respect et, je pense aussi, qui a du respect pour ma ligne éditoriale. Voilà simplement. Vous, vous êtes gentils. On ne dit même pas seulement que nous sommes de l’opposition, on dit que nous sommes des radicaux, des ceci, cela, etc. Moi, je pense que, vous comme moi, si nous dénonçons des pratiques de mal gouvernance, nous faisons avancer notre pays. Mais il est évident que ceux-là que nous allons dénoncer parce qu’ils auraient détourné des deniers publics, il est clair que cela ne va pas leur plaire. Ils n’ont qu’à nous caractériser de tout ce qu’ils veulent, mais au moins, ce qu’ils ne peuvent pas enlever à vous ou à moi, c’est que nous aimons notre pays. Voilà, ils ne peuvent pas vous arracher ça de la tête, ni du cœur. C’est parce que nous aimons notre pays, sinon, ce n’est pas par plaisir que nous allons refuser de nous asseoir pour aller investiguer, prendre tout notre temps au risque de nos vies, souvent pour dire qu’il y a eu tel acte qui est posé et qui est mauvais. C’est simplement parce que nous aimons notre pays, nous aimons la société dans laquelle nous vivons et nous voulons la faire avancer. Maintenant, les caractérisations, franchement, on a qu’à nous les balancer, nous, on les assume toutes. Cela ne m’empêche pas de dormir, ça ne m’empêche pas de prendre mon café le matin, Inch Allah, j’avance.
Il y a eu des procédures judiciaires engagées pour savoir ce qui s’est exactement passé et situer les responsabilités. Est-ce que vous avez espoir qu’un jour, judiciairement, il y aurait la lumière sur ce dossier ?
Oui. Un jour, il y aura la lumière sur le dossier. Pour ça, c’est clair. Peut-être que ma différence d’approche avec les autres sur cette question, de la même manière que sur la question de Norbert Zongo, est le fait que je dise qu’il ne faut pas que les gens rêvent. Vous ne pouvez pas, si effectivement ceux qui ont assassiné Sankara, sont ceux qui gouvernent le pays, leur dire de se juger eux-mêmes. Donc, il ne faut pas rêver. Cela veut dire que tant qu’ils ont la gestion du pouvoir, sur le plan juridique au Burkina en tout cas, vous pouvez estimer que ce dossier était clos même avant d’être ouvert. Ce n’est pas plus compliqué que ça. Ils ne vont pas se juger eux-mêmes parce qu’il est évident que ce sont ceux qui gouvernent qui ont assassiné Sankara. Cela veut dire que la vérité se ferra peut-être après eux, peut-être au niveau des juridictions internationales, mais la vérité ne se ferra pas au plan national tant que ce sont eux qui ont la gestion du pouvoir. Là, il ne faut pas rêver. Même sur des dossiers moins importants que celui de Sankara, on voit comment certains dossiers au plan judiciaire sont traités ici. Donc, ne parlez pas d’un gros dossier comme celui Sankara. Ce ne sont pas eux qui le jugeront.
Avez-vous toujours des contacts avec la veuve ?
Oui. J’ai des contacts avec tous les membres de la famille Sankara. Ce qui n’a rien à voir avec l’opinion ou les opinions ou l’idéal politique que je peux partager avec X ou Y. Voilà ! C’est un peu ça. Je souhaite qu’on fasse cette distinction parce que c’est vraiment important.
On a l’impression que madame Sankara protège beaucoup ses enfants et on a très peu d’informations sur eux. Que deviennent-ils ?
Je ne sais pas pourquoi vous dites qu’elle protège un peu trop ses enfants. Mais c’est un peu compréhensible, vu la manière dont ils ont eu à quitter ce pays et vu ce qu’ils ont subi avant de quitter ce pays, n’eut été l’intervention du président Bongo (Bongo père) qui a permis à cette famille de pouvoir s’en sortir. Je comprends qu’ayant subi ce que nous avons connu à l’époque, la famille veuille se protéger elle-même de tous les risques ou de tous les comportements qui pourraient être interprétés autrement. Vous et moi, nous pouvons facilement sortir dans la rue faire tout de suite ce qu’on veut, jouer au ballon. Mais peut-être qu’eux, immédiatement, on va dire, s’ils posent un acte positif, on n’en parlerait pas. Mais dès qu’ils poseront un acte qui est insignifiant et qui n’est pas bon, on dira que ce sont les enfants de Sankara. Donc, je peux comprendre que la famille a voulu protéger ces enfants. Mais aujourd’hui, je me dis qu’ils sont suffisamment grands, ils commencent à apprendre aussi la vie, à devenir des hommes, donc à se forger eux-mêmes. Je pense de ce fait qu’à un moment donné, on entendra forcément parler d’eux parce qu’ils reviendront ou ils évolueront ailleurs comme travailleurs dans telle entreprise, etc.
Le 15 octobre 2012, comment vous allez commémorer cet anniversaire ?
Comme toujours, je suis croyant, je pense qu’il y a une force quelque part qui harmonise nos vies et à qui on rend grâce. Et comme toutes les années depuis 1987, j’ai une pensée pieuse pour Sankara mais aussi pour tous ceux-là qui ont perdu la vie ce jour-là et les jours suivants. Je prie pour eux en espérant que Dieu leur permettra, où qu’ils soient, de vivre en paix. J’ai une pensée pour ceux-là qui ont souffert de ce jour-là. C’est l’intimité de mon cœur, c’est l’intimité de ma spiritualité et je me rends toujours au cimetière des martyrs à Dagnoin pour me recueillir sur cette douzaine de tombes, la tombe de ces hommes qui ont donné leurs vies pour notre pays. C’est malheureux, mais cela aussi fait partie de la dynamique de la vie. C’est sûr que je n’irai pas festoyer mais en tout cas, je m’y rends pratiquement, depuis 25 ans, chaque fois que je suis au Burkina pour me recueillir auprès de ces tombes.
On a réussi à faire cet entretien sans parler de Blaise Compaoré qui a succédé au président Sankara dans les conditions que l’on sait. Vous pensez que 25 ans après, il a réussi à se faire pardonner ou à faire oublier celui à qui il a succédé ?
Pardonner ? Ce n’est pas moi petit Chérif qui pardonne, ce n’est pas moi l’individu. Je pense que s’il y a à pardonner, ce n’est même pas à la famille Sankara non plus. S’il y a pardon et s’il doit de se faire pardonner, c’est vis-à-vis de son peuple et c’est aux Burkinabè d’en décider. Ensuite, je pense que qui dit Blaise dit forcément Sankara. C’est comme quand, étant étudiants, nous disions : c’est la thèse et l’antithèse. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, il est difficile d’apprécier, pour nombre d’analystes, les actions de Blaise sans tenir compte de ce fait du 15 octobre et de ce qui a pu lier deux êtres humains pour que cela puisse se terminer comme ça un 15 octobre. Car, ce qui est grave ou important, ce n’est pas cet évènement du 15 octobre mais ce qui a été avant cette date. Ceci dit, quand bien même je ne partage pas du tout la gouvernance de Blaise, même si cela ne constitue pas une information pour quelqu’un, il n’en demeure pas moins que le Burkina est là, qu’il y a eu des transformations au Burkina. Je ne négativise pas tout. Il y a eu des actes qui ont été posés qui sont positifs. Il y a eu d’autres actes, même si j’estime que ce sont les plus nombreux, qui sont négatifs, il y a beaucoup de choses sur cette gouvernance qui sont remises en cause : la non- indépendance de la justice, le nombre de crimes de sang ou de crimes économiques, etc. Mais dans le principe, si Dieu nous donne longue vie, quelle que soit la manière dont le président Compaoré quittera le pouvoir, qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, comme ceux qui les ont précédés que ce soit lui ou Sankara, chacun, d’une manière ou d’une autre, aura apporté sa pierre dans la construction du Burkina Faso. Maintenant, je peux estimer qu’au lieu d’une brique, tu avais la possibilité de poser cent briques, ça, c’est autre chose. Chacun apporte sa petite pierre à l’évolution du Burkina, même si j’estime que ce qu’ils sont en train de faire n’est pas la meilleure manière, parce que nous avons d’autres possibilités. Mais en tout cas, je ne partage pas leur gouvernance.
Toujours dans la même lancée, est-ce que vous pensez que la journée nationale du pardon a été un succès ?
Si j’ai fait quelque chose à Tao qui est là, en face de moi, si je veux vraiment lui demander pardon, je lui dis Tao, tel jour, je t’ai fait telle chose, vraiment je suis désolé, ça me peine, je te présente mes excuses. On ne demande pas pardon sur de l’abstraction. C’est quoi la journée du pardon ? On a dit de pardonner quoi ? Pour dire de pardonner quelque chose, il faut dire ce qu’on a fait et on veut demander le pardon. Jusqu’à présent, moi, je n’ai pas encore vu en cette journée nationale du pardon où on dit, voilà ce que nous avons posé comme acte et que nous regrettons vis-à-vis de notre pays, nous demandons pardon. On ne nous a pas dit ça. Donc moi, je pense que c’est de la fumigation ; c’est du n’importe quoi. Vous savez, nos sociétés sont formidables parce que nous avons plusieurs mécanismes et des ressorts non seulement pour nous pardonner et avancer, mais reconstruire ensemble. Mais aucun de ces mécanismes n’a été utilisé. On nous a fait assister à une foire où on a jeté des pigeons, etc. et puis ça s’arrête là. Donc, moi je ne pense pas que c’est ça le pardon. Et justement, beaucoup de problèmes de gouvernance et d’impunités dans notre pays sont dus justement à ce fait-là. Que nous ne voulons pas reconnaître des actes que nous avons posés et à partir de là, voir ce que nous pouvons faire ensemble. Et tant que nous ne reconnaîtrons pas ça, tant que nous voudrions fonctionner sur des non-dits, évidemment, vous aurez toujours des frustrations par ci par là ; vous aurez toujours des envies de règlements de compte par ci par là, etc. et ce n’est peut-être pas le lieu et peut-être que le propos ne sied pas forcément, mais quand je me remémore ce que nous avons vu ici, l’explosion militaro-sociale que nous avons vue en 2011, préfigure ce qui pourrait nous arriver parce que nous sommes dans une société très hypocrite, nous fonctionnons sur des non-dits, nous fonctionnons sur des mépris et des arrogances qui font que, que Dieu nous pardonne, si ça doit exploser, ce ne sera pas beau à voir.
Journal LePays du 15 octobre 1987
RIP, brave son of mama Africa. Donc a tous et toutes les camarades et a la famille Sankara. Un jour la lumiere de la verite jaillera pour etre a nue l’ombre du mensonge, du complot et de la trahison supporter par des pays X et Y. Les hommages a la famille Sankara, T.K ne sera jamais oublie.
Bravo SY et, courage ! Tout tes mots sont pertinents
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