Situation au Nord du Mali : Enfants de la patrie, le jour de gloire est arrivé

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Quelques mois après l’irruption des salafistes et islamistes dans notre pays, le nord du Mali est sous occupation. Entre temps, le CNRDRE fit son entrée sur la scène politique d’un pays déjà exsangue de mal gouvernance, transformant le quotidien politique en une cacophonie lamentable: des institutions sont suspendues et réhabilitées dans la foulée; des accords avec la CEDEAO sont convenus et dénoncés aussitôt; le Président intérimaire est confirmé pour la transition, empêché aussitôt par la vindicte populaire; le Gouvernement fait une cour ostensible à la communauté internationale pour libérer le nord et peine à délivrer l’ordre de mission. Kidal, Gao et Tombouctou sont toujours sous la chape de plomb.

La justice s’emmêle les pinceaux à vouloir émerger d’une gluante mixture de silhouettes présumées propriétaires intellectuels du crime d’attentat à la vie du Président de la transition. L’enquête nous replonge dans des épisodes passés du piétinement de notre justice, avec une question aussi célèbre qu’irrésolue «Qui a donné l’ordre de tirer? Nous sommes dans une République et nul ne doit, ne peut, atteindre et attenter à l’intégrité physique du premier magistrat du pays, à moins que, d’abord sa garde, ensuite le corps d’appartenance de celle-ci, puis toute l’armée, et après tout le peuple n’ait échoué à s’y opposer.

Par ailleurs, la loi est universelle et le Président Traoré est fondé à réclamer pour lui ce qu’en dit Martin Luther King, à savoir qu’elle «ne pourra jamais obliger un homme à (l)’aimer, mais il est important qu’elle lui interdise de (le) lyncher». Qu’à cela ne tienne, des Maliens, jeunes pour la plupart, ont pu accéder au bureau du Président de la transition pour lui enfoncer le crâne au marteau, sous l’objectif des caméras, pendant qu’ils lui disaient  – comble de l’insolence et de la grossièreté – dans ses deux oreilles de sexagénaire ce qu’ils pensaient de la dame qui lui donna la vie. Qu’arrive-t-il à ce pays?

Il est arrivé que le Mali a rompu les amarres avec la civilité. L’instruction civique et morale a maigri comme peau de chagrin dans les programmes scolaires. La conduite pour le moins désinvolte de certains responsables politiques remet au goût du jour la sourde complainte d’une analyse qui a indexé l’implication des scolaires à la gestion de l’Etat comme le pêché originel de l’ère démocratique. Le pouvoir précédent, exhalant le consensus à dose miséricordieuse, est parvenu à distraire les scolaires de leurs devoirs, «les tout petits, (leurs) amis» de leurs jeux, pour en faire des collaborateurs précoces. La participation des jeunes aux événements de mars 1991 aurait pu être l’exploit tropical de mai 68 en France. Elle sonna finalement le glas de l’école. Au cours de ces vingt dernières années, on expérimenta tous les programmes, on éprouva toutes les pédagogies, on appliqua tous les quotients arithmétiques à la vacation, avant de reconnaître unanimement que le produit comportait un défaut … de fabrication.

L’euphorie de l’avènement de la démocratie, l’air pur de la liberté, au mépris des vies bafouées pour la cause, ont plongé la nation toute entière dans l’amnésie, oubliant cette fondamentale vérité que, jusqu’à ce qu’ils prouvent leur aptitude à comprendre qu’une pyramide repose sur sa base et non l’inverse, la place des enfants est à l’école, pas ailleurs. Mais il en allait autrement au Mali. Dans leur pointilleux élan à greffer le génie politique à des innocents corps frêles autrement que par l’éducation scolaire, des adultes en mal d’inspiration entreprirent de faire déglutir leurs propres devoirs aux enfants et les leur faire régurgiter dans des séances publiques miniatures, qui, pour mignonnes qu’elles soient, n’en restent pas moins désespérément ennuyeuses et greffées du défi de la preuve de leur plus value à la société. Pendant vingt ans, de 1991 à 2012, les enfants, les étudiants, les juges, les administrateurs, les associations de soutien, les griots, les soldats, même les étrangers de passage, tous furent les convives permanents d’hôtes apatrides, autour d’un banquet anthropophage, où l’on trinqua du sang de la mère patrie. En cela, l’action du CNRDRE est salutaire, mais l’ex-junte a vécu et il faut qu’il tire sa révérence.

La tentative d’assassinat sur la personne de Dioncounda Traoré restera une heure obscure de la vie du CNRDRE, en ce sens que son attitude révèle une scandaleuse antinomie de ses prises de position et ses devoirs. On se rappelle qu’il avait pris à partie Dioncounda Traoré, alliant les ressortissants du Nord du Mali à son indignation, au motif que la décision de l’envoi de forces communautaires de sécurisation des organes de la transition était une trahison du président de la transition.  A ce sujet, on attendait raisonnablement du CNRDRE plus que l’agitation de son innocence, la démonstration qu’il était une alternative crédible à la soldatesque ouest africaine. L’apathie contractée au nord ne pouvait justifier son manque de réactivité, parce que, entre temps, il déclarait avoir repoussé une agression étrangère le 30 avril et conjuré le complot des bérets rouges le 1er mai. Comment a-t-il  failli à la protection du président, qu’il avait contribué à installer quelques heures plus tôt à la faveur exclusive de son blanc-seing?

En attendant la mise en œuvre effective de l’Accord-cadre et l’autodissolution programmée du CNRDRE, le défi pour le Capitaine reste la maîtrise de sa troupe, le premier carré notamment. Le Mali est en pleine tentative de retour à l’ordre constitutionnel, il faut coller à la réalité des faits. Lorsque le Premier ministre fait expressément escale à Cotonou pour remercier Yayi Boni de l’accompagnement que l’UA apporte au Mali, il le fait au nom du Mali, le CNRDRE compris. D’abord, le Président en exercice de l’Union africaine n’a pas perdu son calme, et il faut convenir qu’il s’agit du chef d’Etat du Togo, aux propos duquel seule une voix officielle, incarnée par son homologue malien ou le Premier ministre de celui-ci, est fondée à répliquer officiellement.  Cet élémentaire échange de bons procédés fonde la civilité entre les Etats et anime le concert des nations.

Ce n’est pas tant l’Accord cadre qui pose problème que les élucubrations incompréhensibles des parties signataires du parchemin. La CEDEAO est manifestement empêtrée dans un complexe singulier: le mépris condescendant voué à la junte, une fois qu’elle lui a extorqué un accord, et sa conduite vis-à-vis de l’instance internationale suprême  (ONU), qui la somme d’indiquer la voie à l’ex-junte, via la caserne, de la trappe de la justice. Il va ainsi de sa décision unilatérale, le 18 mai 2012, de fixer les délais de la transition et de maintenir Dioncounda Traoré à sa tête. Que le Président de la transition soit ou non l’instigateur d’une telle décision, comme il en a fait les frais à son retour d’Abidjan, cette décision a été le signal de la rupture de la paix de braves entre lui et le CNRDRE. La visite du Chérif de Nioro, l’espace de quelques heures, à Kati, le jeudi 18 mai 2012, abrégea la bataille de chiffonniers ambiante sur les conditions de la transposition de la transition à l’intérim, dans la mesure où le problème était imputable au patron du CNRDRE. Il faut lui savoir gré de l’élégance de son geste.

Par ailleurs, l’annonce, le 6 juin 2012 à Lomé, de la non-reconnaissance du CNRDRE et de tout statut de chef d’Etat ou d’ancien chef d’Etat au Capitaine Amadou Aya Sanogo, relève du divertissement à outrance. Il ne revient pas à la CEDEAO de définir le statut de chef d’Etat ou d’ancien chef d’Etat au Mali. Ceci relève de la souveraineté du Mali et se décide à Bamako, nulle part ailleurs.  Au même chapitre de sortie de crise, l’on fait feu de tout bois sur Cheick Modibo Diarra, au motif qu’il n’adhérerait pas au projet d’intervention des soldats de la CEDEAO. Mais quel projet? Dans le cadre d’un appui pour assurer la sécurité des institutions et des dirigeants maliens, et, ensuite, de soutien à l’armée malienne dans sa reconquête du nord du pays, l’aval des Nations Unies était attendu. Or l’ONU , à l’issue des réunions d’examen de la requête par le Conseil de sécurité, le 13 puis le 15 juin, a estimé que la feuille de route soumise à cet effet n’était pas explicite sur «les intentions de la CEDEAO et de l’UA». En clair, les Nations Unies se demandent s’il s’agit d’un appui aux forces de sécurité malienne ou … d’une invasion militaire. C’est grave.

C’est vrai que le dossier malien à la CEDEAO est directement porté par nos voisins immédiats, influencés par d’autres, qui ont le souci commun de punir le genre d’ambition qui a entaché le tableau faussement idyllique de la démocratie malienne et de décapiter la menace islamiste, en profitant de la bêtise des fous de Dieu de s’être incurvés dans l’impasse de la vallée du Niger. Le Niger n’a pas totalement émergé du cauchemar des circonstances de sa transition militaire. En Côte d’Ivoire, l’épouvantail suspendu d’un retour forcé des opposants issus du camp des vaincus vient de s’agiter frénétiquement, provoquant une peur panique à Abidjan. Nul doute que, vu depuis les bords de la lagune Ebrié, le vent qui a agité l’épouvantail est parti de Kati.

Au Burkina Faso, tout le monde attend la réalisation de la prophétie du pacifisme chrétien «qui vit par l’épée périra par l’épée» et, en République islamique de Mauritanie, l’on est convaincu que le prochain pion avancé de l’opposition fera échec et mat. A moins que l’Algérie n’ait offert, pas son silence, aux fondamentalistes de vivre et prospérer en territoire – malien ou azawadien – de Tombouctou, la superpuissance régionale est soit tétanisée par la surprise ou alors envoutée par AQMI. Les pires ennemis de la nation algérienne prennent leur petit déjeuner à Tombouctou, se font photographier sur la place publique et l’Algérie fait semblant de ne rien voir, de ne rien comprendre. C’est quand même gros à avaler.

Les analystes politiques, tant bien locaux que la presse internationale, y sont allés de leurs commentaires sur la gestion des affaires par le Gouvernement de transition, investi des plus larges pouvoirs. Entre l’accointance avec l’ex-junte et l’opposition à peine voilée et la laborieuse mise en œuvre des termes de l’intervention militaire de la CEDEAO, le nord du Mali est oublié, et rien ne semble pas dégager les prémisses d’une prochaine libération.  Dans ce cas, c’est nous, populations du Nord, qui risquons de prendre un coup dans notre calme. Ce sont nos parents qui furent tués et exilés, nos sœurs et nos femmes violées, nos habitats cassés, nos sources de revenus anéanties.

Nous sommes sous la coupe d’une double occupation d’individus amoraux et d’islamistes kamikazes. Nous faisons preuve d’un patriotisme fort et indéfectible, sinon toute alternative à la gestion connue de l’Etat malien, «auréolée» de la cacophonie actuelle au sommet de l’Etat, emporterait notre adhésion. La précarité tant brandie au Nord n’est pas une exclusivité touareg, pas plus que le mal vivre, marque déposée des activistes du MNLA. Nous nous sommes démarqués parce que nous avons été convaincus que la foi inconstante de ces bandits et leur caractère pervers ne le prédisposaient pas à une vocation de bâtisseurs d’Etat.

Pendant ce temps, on se demande simplement si le gouvernement feuillette son bréviaire de mission. Son porte-parole peine à se rappeler, durant tout une édition du journal du soir de l’ORTM, simplement point le de l’article 7 de l’accord-cadre: la loi portant création du Comité Militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité.  Ce n’est pas tant les larmes du Premier ministre que son discours qui a entaché sa communication le 14 juin dernier à Paris. Pour nous, Africains, il est admis d’exprimer la vive émotion par des sanglots, ceux-ci faisant solde de tout autre commentaire. Mais «si seulement dans ce Mali on avait deux hommes comme (Dioncounda Traoré)» est un commentaire désobligeant et révoltant. Dioncounda Traoré inspire compassion et sympathie. Mais il est utile de respecter la mémoire des dizaines de combattants passés par les armes à Aguel Hoc, des centaines de personnes proprement sacrifiées, des dames en errance suite aux sévices infligés par les obsédés du MNLA, des braves soldats en embuscade hors de la patrie, attendant l’occasion de libérer le pays. Un Premier ministre ne doit pas l’oublier, même sous le coup d’une forte émotion.

Méditez ces paroles de la Marseillaise «Allons enfants de la Patrie, le jour de gloire est arrivé! … Ils viennent jusque dans nos bras, égorger nos fils et nos compagnes!  – De vils despotes deviendront les maîtres de nos destinées!». Dans l’attente de la raison retrouvée de chaque acteur du retour à l’ordre constitutionnel au Mali, rappelons-nous, populations de Tombouctou, de Gao et de Kidal, que l’on n’est mieux servi que par soi-même. Enfants de la Patrie, le jour de gloire est arrivé!

Abdel – Kader HAIDARA

Gestionnaire des Ressources Humaines

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