Serge Daniel : «Aqmi, Al Qaida au Maghreb Islamique. L’industrie de l’enlèvement»

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” Par les actes qu’il vient de commettre dans deux localités maliennes du Nord, Al-Qaïda au Maghreb  Islamique vient de rompre le pacte de non-agression tacite avec le Mali. A partir d’aujourd’hui tout peut arriver. Le Mali a eu tort de penser que les intégristes sont des hommes de parole. La conséquence immédiate saute aux yeux. Aqmi a également une ambition au Mali : imposer sa loi, étendre son dogme religieux et pourquoi pas, arriver à instaurer un Etat islamique dans cette terre d’islam tolérant. Le mois passé, Aqmi avait déjà interrompu les travaux de construction d’une caserne militaire dans la région de Kidal.

Me Mamadou Gakou

Les islamistes gagnent du terrain. L’argument du manque de moyens pour éradiquer les nids de terroristes sur le territoire malien a fait son chemin. L’attitude malienne a permis à Aqmi de s’implanter de manière durable sur un vaste territoire. Pour le bouter hors du Mali, il faudra du temps et des moyens.

Dans la situation actuelle, le Président de la République du Mali met tout en œuvre pour terminer en beauté son mandat. Si les élections ont lieu aux dates indiquées, il est utile d’attirer l’attention sur les deux principaux dangers qui peuvent gâcher la fête électorale : le terrorisme et les combattants Touareg de retour de Lybie.

Pour notre part, nous avons rappelé aux autorités maliennes le sincère désir de notre pays de mener ensemble une lutte totale et sans concessions contre les terroristes. (Propos d’un diplomate, page 52 du livre, édité avant mars 2012). Avec un art et une maîtrise accomplis, Serge Daniel, journaliste Malien d’origine Béninoise, raconte l’histoire d’Aqmi sans que jamais l’œuvre prenne des allures de roman-fleuve, ni ne tombe dans la pédanterie artificielle d’un faux livre d’histoire. Dense, serré, le récit en trois parties suivies de conclusion et d’annexes maintient en haleine, fascine le lecteur par la rigueur de l’investigation et l’honnêteté dans l’analyse.

Descriptions et personnages concourent à l’établissement de cette atmosphère empoisonnée, de ces horizons troubles particuliers de fanatiques plus ou moins incultes, en rupture profonde avec leur entourage, leurs familles, leurs pays, leur propre existence.

Serge Daniel nous rend sans cesse et sans fard perceptible la présence obsédante,  envahissante, terrifiante d’otages aux confins de la déraison, des enlèvements crapuleux, des rançons faramineuses, des stratégies d’infiltration, des médiateurs sans scrupule, des chasseurs de primes d’un type nouveau,” plutôt paumés “, dans un style intensément tendu. En effet, la puissance du journaliste politique  (avec son ton si familier à tous les Maliens et aux auditeurs et téléspectateurs de RFI et de France 24, et ses dépêches de l’AFP) vient justement de n’être pas maître d’une allégorie, mais d’une suite ininterrompue de voyages, d’entretiens, d’observations et  d’analyses au cours et au long  desquels la pensée se greffe naturellement sur la vision, pour signifier sans expliquer, et traduire simplement ce qui nous tire de nous-mêmes. C’est-à-dire de méditer sur le sens que peut, que pourrait avoir la vie de ces violeurs de corps et d’âmes, de brigands, de trafiquants d’armes, de drogues, de cigarettes, de faussaires en religion, résolus de ne vivre que  pour faire tuer des innocents par des illuminés innocents et d’ignorer tout le reste.

Le malheur devient dégoût quand  il se prolonge au nom d’un faux et stupide idéal orgueilleux d’accomplissement personnel dans la mort d’autrui, du plus grand nombre, sous prétexte de se regagner soi-même éternellement. Les chapitres variés, dans une langue tour à tour solennelle et naturelle, emphatique et humoristique, sont unifiés pas une aisance dans la mémorisation précise des noms, des lieux, des dates, des événements, qui atteint souvent la perfection.

L’Amérique et la France, puis les autres occidentaux doivent être anéantis. Ce n’est ni facile ni difficile, c’est obligatoire.  Tel est le message que les ” émirs ” tirent du condensé de la doctrine d’un certain ”Cheick Abdullah Azzam, djihadiste Egyptien installé en Afghanistan dès 1973, où il a crée une structure chargée du financement, du recrutement et de la formation des Moudjahidin pour combattre les Soviétiques en Afghanistan, structure qui s’appelle Maktab Al-Kahdamât (Bureau des Services) et qui avait pour adjoint un certain Oussama Ben Laden “. Ben Laden, son successeur est soupçonné d’avoir commandité l’attentat qui sera fatal à son chef et à ses deux fils, pour être calife à la place du calife. Iznogood. Une fois entrés dans cet univers où se confondent le quotidien de ces “spartiates ” et leur mythe, nous sommes emportés par l’élément criminel des thèmes du livre.

Deux jeunes Français, Vincent et Antoine, deux amis d’enfance depuis l’école maternelle, enlevés dans un restaurant à Niamey, seront tués la veille du mariage d’Antoine avec ”KIKI’‘, fille d’un entrepreneur Nigérien ; Michel Germaneau, humanitaire Français, lui ”semble avoir été l’agneau sacrifié pour la libération d’un autre Français, Pierre Camatte, 61 ans, Kidnappé le 26 novembre 2009 à Ménaka, en terre malienne“. Pierre Camatte bien intégré dans la cité, vit dans l’exaltation sa passion pour la recherche d’une plante contre le paludisme, et son enlèvement puis sa vente par des intermédiaires ouvre son être pour la première fois à la souffrance vraie et à l’attente inexorable de la mort, tandis que  sa libération le plongera dans une solitudeirrémédiable de retour en France. Des accompagnateurs engagent des courses poursuites contre les ravisseurs, qui ont une stratégie bien mûrie et réfléchie pour la commission préméditée de leurs infractions; Sept enlèvements à Arlit-Areva, réussis en trente minutes.

Sept enlèvements, pour venger les sept islamistes tués lors du raidFranco-Mauritanien du 22 juillet 2010. (Œil pour œil, pourrait dire Mokhtar Belmokhtar, Alias Khaled Abou El Abbass, alias Belaâouar (le Borgne). Puis l’écriture devient sobre jusqu’à la parcimonie, et tout en restant pleine d’éclats, souveraine, a la magie de la simplicité, en même temps que celle, sécrète et prenante, de l’inquiétude devant le fanatisme, l’inconnaissable. ” Arlit ?La ville semble exténuée, comme si elle jouait un rôle trop important pour elle et se sentait à peine concernée par ce qui s’y décide, sans elle, bien sûr”. Quant au Médiateur, sa grande ombre couvre tout le livre. ” Nuitamment, le Président Malien reçoit un homme influent dans le Nord. Ancien chef rebelle, il est un allié du pouvoir malien. C’est lui qui est désigné pour aller à la rencontre des ravisseurs. Afin de brouiller les pistes, il prend un avion qui le dépose dans la ville malienne de Gao,  à 1200 km au Nord – Est de Bamako. De Gao, il s’engouffre dans un véhicule tout terrain. Et revient discrètement quelques jours plus tard à Bamako “. “Le médiateur est au courant de tout ce qui se passe, parce que les ravisseurs l’informent en temps réel de l’état d’avancement des négociations du côté du Burkina Faso”. Et puis ”  il y a d’une manière ou d’une autre toujours renvoi d’ascenseur au profit du pays qui a facilité la libération de l’otage ou des otages, et il est à inscrire au chapitre des rançons et retombées”. “Après la libération de deux autrichiens, le Président Malien a été reçu avec faste à Vienne. On a remarqué qu’un des négociateurs de sa délégation était revenu seul à vienne ” peu après.

De là à ce que le Médiateur devienne ” émir ” et profiteur de rançon ” entre dix et Quinze millions d’euros, pour libérer les otages (dix (10) milliards de francs CFA) ” ; “que peut-on faire avec une somme aussi extravagante ?Acheter plusieurs hélicoptères et parcourir en bonne compagnie toutes les mers du Sud? Ou bien ces milliards pourraient servir à acquérir des armements destinés à éliminer trois mécréants ?Bref, de l’argent versé pour libérer trois personnes, mais qui servira à tuer des milliers d’autres “. Mais  l’auteur suit son idée : ” la principale source de revenus d’Aqmi est donc la rançon perçue de la prise d’otages “.

Ce médiateur, ex-chef rebelle, puis émir, adepte contesté de la Shari’a à Kidal, rusé plus qu’intelligent, manipulateur et manipulé, séduisant de façons enfantines, voire animales, c’est lui qui anime l’immense fresque que déroule Serge Daniel aux yeux du lecteur. Iyad, auquel Serge Daniel semble s’attacher comme le symbole même de celui qui aurait pu, aurait dû incarner l’intégration républicaine. Les intérêts divergents entre Etats, ravisseurs, otages, apparaissent comme pris sur le vif, véritables instantanés photographiques multipliés au travers des différents chapitres.Les événements sont vécus de l’intérieur par l’un de leurs protagonistes et non des moindres: le Président de la République, d’une rare habileté.

Les grandes batailles d’Aqmi, les prises d’otages, les comparses, les commanditaires, les méthodes laissent à Serge le champ libre pour une magnifique et spectaculaire évocation des assauts, attaques et conciliabules qui ne perd rien pour autant de son exactitude historique. Son style est d’une souplesse qui laisse supposer une technique très sure. Grâce à une stylisation, à une composition calculées, il rend à merveille la psychologie des principales figures d’Al Qaïda au Sahel : “Abou Zeid(le plus teigneux, même s’il faut retenir qu’au sein d’Al Qaïda tous les chefs (émirs) sont sans pitié “, ” Yahia Abou el Hammam, excellent conducteur qui a organisé l’enlèvement du couple Italien en Mauritanie en 2009 “, ” Mockhtar Bel Mockhtar la vedette de la bande, le borgne, trafiquant de cigarettes et de voitures depuis son jeune âge, fondateur du GSPC, criminel Schizophrène, féru de nouvelles technologies (téléphone thuraya, ordinateurs, GPS, terroriste cruel accompli, ”émir” sanguinaire qui appelle ses troupes à devenir une épine dans la gorge des croisés américains, français et de leurs alliés ”  et puis Nabil Makloufi, bras droit de l’émir général DROUKDEL, patron d’Aqmi tapi en Algérie et qui  a fait allégeance à Ben Laden and CO.

Leur base se trouve dans les confins du désert Malien dans une zone qui est adossée à l’Algérie, une ceinture de montagnes  situées dans le Nord Est du Mali, communément appelée Teghaghar, avec des abris forteresses extrêmement protégés, preuve de la volonté d’Aqmi de s’installer durablement dans le Sahara etle Sahel, avec pour manuel de formation”  l’Encyclopédie du djihad Afghan. Aqmi communique et forme beaucoup : après l’endoctrinement dans les mosquées, le premier volet de la formation consiste à inculquer la culture de la haine “. Ouvrage complet et bien documenté -et où la réalité dépasse de loin la fiction imaginable – le livre “Aqmi, l’industrie de l’enlèvement“, criminelle aventure haute en couleurs et en grandes gueules compte déjà et restera parmi les plus grandes réalisations littéraires relatives à cette période et aux funestes desseins de ravisseurs sans scrupule, de ” rebelles anti-gouvernementaux, de contrebandiers et de hors-la loi pour qui la notion d’Etat est réduite à sa plus insignifiante expression ” et qui maitrisent mal les préceptes du Livre. L’imagination débridée, l’appareil photo et les carnets en bandoulière, les multiples voyages, souvent très durs et pénibles, les lectures nombreuses et diverses, les rencontres et relations multiples de Serge Daniel avec les chefs d’Etat et les populations, l’ont aidé à renouveler ce genre de journalisme d’investigation au Mali et à en rejeter les poncifs.  Mais avec ” l’affaire d’air Cocaïne “, (que l’auteur de cette note a connue sur son registre professionnel) notre Rouletabille n’égale ni Balla Traoré ni JosephDoumbia. Kou de frein, Sergio, il n’est pas toujours facile d’affronter les policiers à armes égales.Tenez : en 2009, un avion s’écrase à SINKREKABA, et sur place, le premier à avoir pris les photos de l’épave pour le monde entier, Serge Sherlock Holmes relève sur place des indices, et les commente :” Je regarde de près. Il n’y avait pas de sièges passagers à bord. C’est donc un cargo (tiens !) ; Ce modèle est fait pour transporter  essentiellement du matériel, beaucoup de matériels. Et pour gagner de la place, on enlève les sièges (Ah bon ?) ; dans le cockpit, des boutons calcinés, donc la carlingue n’a plus aucune valeur marchande (de mieux en mieux) ; à l’intérieur de son aile gauche, le fer est plus rouillé que celui de l’aile droite. Donc, un côté a brûlé plus que l’autre (mais comment a-t-il trouvé ça tout seul ?) ; l’avion ne semblait pas destiné à redécoller de ce désert, j’ai trouvé la réponse : le désert était donc le cimetière de l’appareil (on ne peut rien lui cacher, à Tintin Serge).

Trêve ! L’espèce humaine est encore jeune, mais hélas pas innocente (cf son livre à paraitre très prochainement sur l’affaire d’air cocaïne) . Plus Claude Angeli et Pierre Péant que commissaire Maigret, Serge a l’art de raconter, de rechercher et de mettre les choses en place, de les “situer” simplement dans leur vie, l’art surtout d’ouvrir des mondes étranges, de les décrire souvent sèchement en une phrase (comme on tire un rideau d’un seul coup), avec le don de trouver l’insolite, le surnaturel “ l’invulnérabilité du borgne ou de Nabil ” dans les événements et qui ont assuré le très grand succès de son livre.” Aqmi,l’industrie de l’enlèvement” est l’illustration des thèmes liés à la nébuleuse internationale : celui de la vengeance qu’exercent des êtres frustrés et fanatisés, celui de l’innocente meurtrière que peut incarner une adolescente de trois (3) ans récitant des fadaises ou d’un gamin qui n’aspire qu’au martyr ;celui de monstres assassins à la fois réels et mythologiques obéissant aux ordres d’obscurs personnages ou forces ; celui du réveil de l’identité religieuse, de l’entité” pure “, de la présence réelle de l’enfer sur terre ; le thème des mondes voisins et tangents à celui qui nous est familier.

Par instants, ils s’interpénètrent, rendant leur accès possible à des êtres monstrueux. Si Abou Zeid et Mokhtar Bel Mokhtar alias le borgne sont des personnages vivants, ceux qui les entourent et qu’ils doivent identifier et planifier tous les jours – assassins, drogués, voleurs, violeurs, espions, Afghans errants, Sénégalais joueur et jouet, monstres, esclaves, grandes personnalités perdues dans le labyrinthe de l’avidité et de la géopolitique, ombres, présences agissantes, sont ensursis permanent et ont accès à un univers mouvant situé dans l’en-dehors ou peut être dans l’en-dedans, et qui semble défini par la dislocation de l’espace et du temps.

L’élégance de l’écriture voile l’amertume de l’auteur ; le style est vivant, la trame convaincante et bien menée, l’arrière plan politique peint avec relief et couleur. Cet ouvrage place Serge Daniel non seulement au rang des grands journalistes, mais aussi des  démystificateurs de la diplomatie informelle.

Me Mamadou GAKOU

 

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9 COMMENTAIRES

  1. Ce gakou est tout simplement un escrot patenté, comme beaucoup d’avoctas. Les**** et autres, ils sont tous pareils.

  2. Tout ceci montre combien le régime défunt a exposé le Mali à ce cancer. Et dire que le Mali était un modèle. Je dirai non, le Mali était un tumeur endormie qui n’attendait qu’un petit remous pour devenir cancéreux. Le résultat du laisser aller est là et on paye cash. La connivence au plus haut sommet de l’État. Le pire est que tout ceux qui crient today savaient tout ça, mais n’ont dit mot. Comment voulez vous confier notre destin à de pareilles espèces de maliens? Je me rappelle quand un candidat à la présidentielle de 2007 (Tiébilé Dramé, même s’il a changé de bord) a dit que le régime ATT est une mafia organisée dans toutes les sphères de l’État, on a crier au scandale et a essayé de lui créer toutes sortes d’ennuis. Mais l’histoire vient de lui donner raison.

  3. Il est temps de donner le goût de la lecture ànos enfants depuis à bas âge, ça fait occuper no seulement mais c’ est la voie obligée pour se cultiver et voler moins .Moi je pense qu’ il est temps de changer la mentalité en Afrique si non nous seront toujours malheurs.

  4. Lui au moins il l’ art d’ écrire et d’ analyser des situations complexes.il a la qualité Maitre , je pense qu’il a écrit beaucoup de livres.S’i l ne l’ a pas fait il est temps qu’ il écrive.Nous, notre gros probléme est que nos dirigeants n’ écrivent même pas , même leur programme de campagnes , voilà la preuve de leur carrence.

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