Réélu au mois de février 2019, le président sénégalais, Macky Sall, a entamé son deuxième mandat à la présidence en promettant un dialogue “constructif“ avec l’opposition. Cela faisait suite à des élections tendues au cours desquelles Sall était accusé d’empêcher certains de ses principaux rivaux de se présenter. En principe, le dialogue politique est une composante du dialogue national annoncé par le président. Mais au Sénégal, il est souvent utilisé comme moyen de manipuler l’opinion publique et de donner un répit à un gouvernement critiqué pour ses tactiques autoritaires.
Tout au long de son mandat, M. Sall a porté de multiples atteintes à la démocratie sénégalaise. Cela inclut la violation des règles du système électoral, des promesses de dialogue sans lendemain, et des violations des droits et libertés de l’opposition et des opposants au pouvoir. Ces tactiques menacent la cohésion nationale, le progrès et la stabilité du pays.
Des promesses non tenues
À son entrée en fonction en 2012, le président Sall a écarté une charte de réformes structurelles de la gouvernance nationale, la charte des assises nationales qu’il avait lui-même signée. Il est également revenu sur son engagement répété de réduire son mandat de sept à cinq ans. Puis, malgré l’opposition et dans un délai très bref, il organisa en mars 2016 un référendum constitutionnel. Cependant, les réformes proposées, qui auraient conduit à une répartition plus équilibrée du rapport de forces rationalisant ainsi le système politique extrêmement lourd du pays, étaient une occasion ratée afin de dégager un consensus national fort. En fin de compte, aucune réforme sérieuse n’a jamais été mise en œuvre qui permettrait de tempérer la suprématie politique, juridique et institutionnelle du président sur le pouvoir législatif et judiciaire.
Persécution de l’opposition
Afin de démontrer son engagement en faveur d’un gouvernement inclusif, Sall a ensuite lancé un dialogue national le 28 mai, au lendemain du référendum, rassemblant des représentants de la classe politique, de la société civile, du secteur privé, des syndicats et des chefs religieux et traditionnels. Certains membres de l’opposition y ont pris part de bonne foi.
Les pourparlers ont abouti à la libération rapide, par grâce présidentielle, de Karim Wade, fils et ancien ministre de l’ex-président Abdoulaye Wade. La libération de Wade ne doit pas être interprétée comme un signe de l’efficacité de l’initiative de dialogue. Un an auparavant, Wade avait été condamné à six ans de prison pour enrichissement illicite par un tribunal spécial de lutte contre la corruption (la Cour de répression de l’enrichissement illicite, CREI). Fondé en 1981 et relancé par Sall en 2012 après une longue période de léthargie, la CREI a été vivement critiquée. L’ONU a déclaré que l’emprisonnement de Wade était arbitraire et la Cour de justice communautaire des États d’Afrique de l’Ouest avait estimé qu’en vertu de la Constitution, en tant qu’ancien ministre, il aurait dû être traduit devant la Haute Cour de justice du Sénégal. Sall n’avait donc d’autre choix que de libérer Wade. Mais il a aussi clairement instrumentalisé cette opportunité de dialogue politique afin de forcer Wade, un puissant candidat, à la présidentielle, à aller s’exiler au Qatar.
Quant à Khalifa Sall, alors maire de Dakar et autre principal candidat de l’opposition, il a été arrêté en 2017 pour avoir détourné 3 millions de dollars de fonds publics. Les critiques ont accusé Macky Sall d’avoir inventé de fomenter des accusations en vue d’écarter son rival. Khalifa a été libéré en octobre dernier par une grâce présidentielle. Le gouvernement de Sall a également poursuivi sa tactique autoritaire en interdisant systématiquement les manifestations de l’opposition. En outre, la promesse de Sall d’institutionnaliser le dialogue politique n’a pas été concrétisée: il n’y a eu qu’un round de discussions au cours de son premier mandat.
Crise de confiance
Les élections parlementaires, tenues en juillet 2017, auraient contribué à la crise que traverse le pays. Il y avait des accusations d’irrégularités majeures. Et après les élections chaotiques, Sall a rejeté la demande de l’opposition de nommer un ministre de l’Intérieur non partisan. Le poste est censé être exempt de toute affiliation à un parti, comme c’était le cas depuis environ 20 ans.
Sall s’est ensuite tourné vers une réforme introduisant le parrainage électoral sans concertation. Celui-ci nécessite que tous les candidats aux élections présidentielles recueillent les signatures d’au moins 1 % des électeurs inscrits pour que leur candidature soit validée. Cela a durci les conditions pour que les candidats puissent concourir aux différentes élections.
Les manifestations de l’opposition ont fait l’objet de mesures de répression systématique et leurs dirigeants ont été arrêtés. Cette nouvelle loi sur les parrainages s’est avérée être une aubaine pour le gouvernement lors des élections présidentielles de 2019, car elle limitait le nombre de candidats. Les candidats n’ont pas eu accès au fichier électoral pour vérifier la validité de la signature de leurs parrainages, et des milliers de parrainages de citoyens ont été invalidées au motif fallacieux qu’ils n’étaient pas inscrits sur le fichier électoral pour pouvoir voter. Ainsi, pas moins de 19 candidats à l’élection ont vu leur candidature rejetée par le Conseil constitutionnel. Au final, seuls cinq candidats ont pu se présenter.
Aujourd’hui, le dialogue national est au point mort et ce n’est pas surprenant compte tenu des manœuvres politiques qui l’affaiblissent. Cela présente un scénario futur préoccupant pour la démocratie au Sénégal.
Maurice Soudieck Dione
Enseignant-chercheur en sciences politiques, Université Gaston Berger
Article publié en collaboration avec Libre Afrique