Toute classe sociale à une dimension à la fois objective et subjective. Ce sont les rapports de production, aux stades successifs de leur évolution, qui déterminent la réalité objective de la classe en question.
À partir d’un certain moment de l’évolution d’un mode de production donné, les hommes partagent des conditions concrètes de production, d’habitat, d’alimentation et de dépendance. Cette expérience de la communauté objective des conditions matérielles de l’existence-entre des hommes qui se connaissent ou ne se connaissent pas, se parlent ou ne se parlent pas- aboutit à la création d’une intelligence commune de leur situation, autrement dit à une conscience de classe. La conscience de classe est la possibilité d’appréhender, à partir d’une situation de classe particulière, la totalité de la situation de la lutte de classe dans une société donnée.
Une conscience de classe peut-être juste ou fausse. Elle est fausse lorsque les analyses qu’elle produit entraînent la classe dans des actions qui sont contraires à ses intérêts concrets de classe.
Elle est juste lorsqu’elle permet aux hommes d’une classe d’entreprendre une action qui soit conforme à leurs véritables intérêts dans la phase concrète du processus historique. Georg Lukács, sociologue et philosophe hongrois, marxiste et hégélien, a créé un certain nombre de typologies utile à la saisie des problèmes que pose la notion de conscience de classe.
– Dans le premier cas, il affirme qu’une conscience de classe peut-être juste ou fausse. Elle est fausse lorsque les analyses qu’elle produit entraînent la classe dans des actions qui sont contraires à ses intérêts concrets de classe. Elle est juste lorsqu’elle permet aux hommes d’une classe d’entreprendre une action qui soit conforme à leurs véritables intérêts dans la phase concrète du processus historique.
– Dans le deuxième cas, il identifie une conscience psychologique et une conscience de classe adjugée.
La conscience de classe psychologique est la conscience de classe telle qu’elle est, telle qu’elle s’incarne dans la perception et les analyses que la classe fait de sa situation réelle. Cette conscience peut-être juste ou fausse.
La conscience adjugée, par contre, est la conscience collective que la classe en question aurait dû avoir si, à un moment précis de l’histoire, elle avait eu une réaction collective objectivement et subjectivement juste, c’est-à-dire conforme aux exigences des faits.
Lukas définit les limites objectives de la conscience de classe. Celles-ci affectent toutes les classes, sauf celle des travailleurs. Jean Ziegler, en exemple, s’est appuyé sur les économistes bourgeois qui ont cette culture impressionnante et une extrême intelligence d’analyser les contradictions et les crises actuelles du mode de production capitaliste et les misères croissantes que celui-ci impose aux peuples du tiers-monde. Ces économistes perçoivent analytiquement cette misère et ses causes, mais ils ne peuvent proposer, voir réellement de solutions à ces contradictions. Ils naturalisent donc le problème, parlent de « fatalité », de problème « insoluble ». La seule solution efficace serait d’abolir les mécanismes fondateurs du système capitaliste : l’exploitation de l’homme par l’homme, le salariat, l’accumulation de la plus-value, la monopolisation du Capital entre les mains d’un groupe de personnes de plus en plus réduit. Résoudre l’actuelle crise mondiale du système capitaliste reviendrait ainsi à reconnaître la nécessité d’abolir le système capitaliste.
Et cela, les intellectuels organiques du Capital ne peuvent pas. S’ils le faisaient, ils accepteraient du même coup leur propre suppression en tant que classe. Il existe donc, des limites objectives que la conscience de classe impose à l’intelligence individuelle bourgeoise, même à la plus brillante. Pour Lukas, la seule classe qui ne connaît pas de limites objectives à sa conscience est celle des travailleurs, c’est-à-dire de la classe prolétarienne.
Comment fonctionnent ces différentes consciences de classe dans les sociétés du tiers-monde ? Dans les pays du tiers-monde, la conscience de classe se manifeste sous trois (03) formes: La conscience de classe possible, la conscience de classe en soi, la conscience de classe pour soi.
– La conscience de classe possible ne se constitue que ponctuellement. Elle surgit au moment des conflits particuliers, isolés. Les hommes qui vivent ce conflit selon une appartenance de classe commune prennent conscience de leur commune situation. Plus précisément, ils se rendent compte que ce qui leur arrive en commun est le fait de certaines conditions matérielles partagées qui déterminent leur existence sociale et délimitent leur espace de liberté.
– La conscience de classe en soi par contre, est une subjectivité collective qui a un caractère permanent. Les hommes qui participent à ce surmoi collectif, qui en sont investis, qui en font leur structure motivationnelle propre, ont désormais une claire conscience d’appartenir, par leur insertion dans l’appareil de production des biens matériels et symboliques- à une même classe sociale. Ils ont conscience de partager les conditions matérielles objectives de cette double production. Le terme de classe recouvre ici une signification particulière : l’agression coloniale unifie le peuple dominé de l’extérieur, elle crée l’unité négative de toutes les forces qui composent ce peuple. La lutte de classe interne est en quelque sorte surdéterminée par la domination impérialiste étrangère qui s’impose à l’ensemble des classes du peuple asservi. Le peuple périphérique se confond en une classe unique dépendante face à l’oligarchie impérialiste du centre. La conscience de classe en soi est la conscience alternative, l’identité antinomique que le peuple dominé oppose au surmoi collectif, au système de violence symbolique du dominateur.
– La conscience de classe pour soi, enfin, est la conscience de classe-encore rarement présente sur notre planète- par laquelle une classe, celle des travailleurs, élimine en son sein toutes les appréciations conflictuelles latérales et oppose à la violence symbolique dominatrice une totalité alternative cohérente.
Selon Marx «Il découle de tout le développement historique, jusqu’à nos jours, que les rapports collectifs dans lesquels entrent les individus d’une classe, et qui étaient toujours conditionnés par leurs intérêts communs vis-à-vis d’un tiers, furent toujours une communauté qui englobait ces individus uniquement en tant qu’individus moyens, dans la mesure où ils vivaient dans les conditions d’existence de leur classe; c’était donc là, en somme, des rapports auxquels ils ne participaient pas en tant qu’individus, mais en tant que membres d’une classe. Par contre, dans la communauté des prolétaires révolutionnaires qui mettent sous leur contrôle toutes leurs propres conditions d’existence et celles de tous les membres de la société, c’est l’inverse qui se produit : les individus y participent en tant qu’individus».
La conscience de classe pour soi marque une étape nouvelle-et non encore advenue, sauf par quelques apparitions instantanées passagères-du développement de l’humanité: étape où les dernières barrières entre les hommes tombent, où la nation et l’État sont vaincus et où la libre fédération des producteurs décide à chaque instant de l’investissement des forces sociales et du travail de chacun.
Avec l’avènement de la conscience de classe pour soi, les relations de hiérarchie entre les hommes disparaîtront. Des relations de pure réciprocité, de réversibilité constante les remplaceront. L’homme se constituera librement à l’aide d’autres hommes. La subjectivité incomplète de chacun sera réconciliée, enfin, dans un projet humain partagé dont la satisfaction des besoins de chacun. L’épanouissement de tous et le bonheur de vivre seront les paramètres exclusifs.
La conscience de classe pour soi appartient à l’utopie positive, au rêve éveillé de l’humanité. Che Guevara est mort le 8 octobre 1967 à la Huguiera pour que naisse cette conscience de classe pour soi.
Nouhoum KEITA