Sanctions CEDEAO-UEMOA : Ils ont franchi le Rubicon !

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Réunis en sommet extraordinaire à Accra le 9 janvier 2022 pour « évoquer » la situation politique au Mali (nombreux sont les africains qui diraient « réunis en sommet extraordinaire pour entériner un plan de liquidation contre le Mali), les dirigeants de la Communauté Economique Des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont plongé, à leurs dépens, l’Institution Ouest – africaine dans une impasse aux conséquences imprévisibles.

En adoptant des sanctions contre un pays membre déjà affaibli par une crise multidimensionnelle persistante aussi bien politique, économique, sociale que sécuritaire, les Etats Membres de l’espace sous – régional lui ont asséné un coup. La promptitude et la rigueur de ce dernier surprend par son inconsistance et son incohérence ; soulevant ainsi une multitude de questions sur les motivations d’une telle décision. Ces sanctions qui ressemblent à s’y méprendre à un coup de semonce sont à la fois iniques et cyniques vis-à-vis du Mali, de son peuple…mais aussi des populations de son espace.

Si elles choquent et soulèvent l’ire de l’opinion malienne et africaine, les sanctions contre le Mali fragilisent un peu plus une intégration qui peine à se matérialiser dans le quotidien des quelques trois-cent quatre-vingt-dix millions de citoyens de l’espace communautaire. Elles achèvent d’accréditer le sentiment d’inutilité et de nocivité de la CEDEAO aux yeux de l’opinion publique ouest-africaine et sonnent le glas d’une organisation dont la légitimité populaire est de plus en plus contestée par les africains.

Affranchie de toute logique rationnelle ou intégratrice, la dernière sortie des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO est sidérante. Elle révolte par son caractère brutal et jette un discrédit à la fois moral et légal sur un organisme de plus en plus décrié au sein d’une zone dont il est censé servir l’intérêt général.

 

Radiographie des contradictions des institutions sous – régionales : celles de l’UEMOA & de la CEDEAO !

Reprochant au Gouvernement militaire dirigé par le Colonel Assimi GOITA le nonrespect des engagements pris par le Gouvernement malien d’organiser des élections permettant le retour des civils au pouvoir, les Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO n’ont rien trouvé dans leur besace que d’infliger à un Etat membre de la Communauté des sanctions d’une rigueur inédite, inopportune et dangereuse.

Qu’on ne s’y méprenne, si ces sanctions d’ordre économique et diplomatique constituent une trahison au peuple malien et, par voie de conséquence, aux peuples ouest – africains, elles portent un coup à l’idéal d’unité africaine que les Etats africains et les organisations sous – régionales ont fait le serment de réaliser. Des contradictions institutionnelles… illustratives du décalage entre l’aspiration des peuples de l’espace communautaire et les tenants de ces organisations sous – régionales.

 

Chronologie de la crise !

Un rappel de l’histoire politique contemporaine permet de noter que le Mali est en situation de guerre depuis le 17 janvier 2012 contre des rebelles Touaregs du Mouvement national pour la libération de l’Azawad mais aussi contre les djihadistes du mouvement Ansar Dine. L’objectif supposé clairement décliné de ce dernier mouvement est de faire sécession et « d’instaurer un khalifat » dans le Nord du pays. C’est dans un tel contexte que le Président Amadou Toumani TOURE est renversé par un coup d’Etat dirigé par le capitaine Amadou Haya SANOGO ; ajoutant à la crise sécuritaire une crise politique et institutionnelle dont le pays continue de faire les frais.

En septembre 2013, l’avènement de l’élection du Président Ibrahim Boubacar KEYTA (son rappel à Dieu ce jour rallonge un peu plus la série noire avec deux autres anciens présidents Moussa TRAORE puis Amadou Toumani TOURE et Soumaila CISSE en dix-huit mois) avait un temps suscité l’espoir d’un renouveau. Un renouveau renforcé par la présence de l’opération Serval de janvier 2013 à juillet 2014 puis à partir de 2014 de l’opération Barkhane ; toutes deux menées par l’Armée française. Si la première opération avait pour but « d’arrêter l’avancée en direction de Bamako des forces djihadistes, sécuriser la capitale et permettre au pays de recouvrer son intégrité territoriale », la seconde opération, dotée de plusieurs milliers de soldats (environ 5000), « s’inscrivait dans le cadre d’une stratégie de forces européennes pré-positionnées dans la région, en partenariat avec les États de la zone » pour lutter contre des groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda ou à l’État islamique. Notons que ce dispositif devait dans le même temps constituer un verrou contre la contamination et la dissémination des velléités djihadistes dans les autres pays de la Sous- région.

Toutefois, malgré l’importance des moyens financiers, matériels et militaires déployés dans le Nord du pays pour venir à bout de ce terrorisme venu d’ailleurs, la situation sécuritaire et sociale marquée par une gouvernance défectueuse ainsi qu’une corruption tous azimuts n’a eu de cesse de se détériorer. Elle finira par générer une colère populaire audible dans les rues de Bamako mais aussi à travers les médias du monde entier qui aboutit au renversement par l’armée malienne du Président Ibrahim Boubacar KEYTA le 18 août 2020.

A la tête de ce putsch, le colonel Assimi GOITA met en place un Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP) et en assure la présidence pour une durée de trois ans. Une transition que la CEDEAO souhaite circonscrire dans un délai plus court (un an) afin, selon la version officielle, de permettre le retour rapide des civils au pouvoir.

Les sanctions infligées au Mali trouveraient donc leur justification dans le refus des nouvelles autorités maliennes de se conformer aux injonctions des principes et règles en matière de gouvernance démocratique auxquels tous les Etats membres ont souscrit. Une argutie pour le moins curieuse dans un espace sous – régional marqué par des décennies de dérives et manquements démocratiques en tous genres sous le silence approbateur de la CEDEAO.

Cette partie du continent détient un triste record de tripatouillages constitutionnels avec des Chefs d’Etat coutumiers de légèreté, voire de ludisme jouant allègrement avec les normes légales de leur pays au gré des envies et joutes électorales, qui confondent les règles démocratiques à une boulimie insatiable de pouvoir et qui ne reconnaissent aucun droit de regard ou de réponse à cette CEDEAO dont ils se prévalent aujourd’hui pour sanctionner un des Etats – Membres. Les exemples sont nombreux des Décisions rendues par la Cour de Justice de la CEDEAO ou des Délibérations du Parlement de cette Communauté qui sont ignorées par les Etats – Membres.

Où était la CEDEAO quand le peuple malien faisait appel à son aide ? Qu’est-ce qui se cache derrière ce réveil soudain de l’Institution ? Qu’a-t’elle fait pour aider à la résolution des problèmes multiformes auquel sa Communauté demeure confrontée sans qu’aucune réponse communautaire ne soit apportée ? Qu’en-est-il des nombreux manquements des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO à leurs obligations vis-à-vis des peuples ? Autant de manquements notés dans une indifférence totalement assourdissante des tenants de la CEDEAO ?

Dès lors, quelle lecture donner à ces sanctions dont le caractère soudain et sévère semblent la gageure d’une obligation ? Pourquoi le Mali ? Pourquoi jeter aux gémonies un membre de la Communauté avec un tel empressement ? Quelles conséquences pour le Mali et la sous – région ? Une analyse de la crise et de ses prolongements géopolitiques tentera de mettre la lumière sur les enjeux de ce qu’il convient désormais d’appeler le suicide régional et africain.

 

Retour sur la CEDEAO !

On rappellera que la CEDEAO a été créée en 1977 dans l’optique de « favoriser la croissance économique et le développement des quinze Etats de l’Afrique de l’Ouest qui en sont membres ». Très vite, l’Institution se dote de nouvelles prérogatives diplomatiques et fait adopter un pacte de non-agression pour soutenir les efforts de paix au sein de la zone. Dans le sillage de la réforme de l’organisation sous – régionale en 1990, un groupe est mis sur pied pour assurer le contrôle de l’application des cessez-le-feu appelé Economic Community of West African States Cease-fire Monitoring Group (ECOMOG). Dans un contexte alors de conflits multiformes et de guerres civiles au sein de l’espace communautaire, ce groupe va rapidement devenir le bras armé de la CEDEAO et sera déployé sur plusieurs théâtres d’opération militaires avec le concours notamment de contingents de plusieurs pays membres dont le Sénégal, le Nigeria, le Burkina, la Gambie, le Bénin, le Niger, la Sierra Leone, la Guinée et le Mali. Soutenue financièrement par plusieurs partenaires techniques et financiers (PTF) pour son fonctionnement, l’Institution est dirigée depuis le 17 octobre 2020 par le Président ghanéen Nana Akufo ADDO dans le cadre de la présidence tournante. A l’instar de la quasi-totalité des Institutions africaines dont l’existence tient à la « générosité » des PTF, la CEDEAO peine de plus en plus à faire la preuve de son utilité aux yeux des citoyens. Cette situation pose la question de son indépendance tout comme d’ailleurs celle des organisations africaines vis-à-vis des puissances étrangères. Dans le cas du Mali, ces puissances étrangères sont perçues à tort ou à raison comme les instigatrices des sanctions qui lui ont été infligées.

La CEDEAO dispose d’un organe exécutif dirigé par l’ancien ministre ivoirien de l’industrie et des mines Jean Claude Kassi BROU qui occupe les fonctions de Président de la Commission. Il serait intéressant de voir la position de cet organe sur le troisième mandat du Président Alassane OUATTARA pour se rendre compte du caractère partisan et biaisé des sanctions.

Une Cour de Justice basée à Abuja a également été instituée par un protocole en 1991 pour connaitre des différends dont elle est saisie au sein de l’espace Communautaire par les Etats dans l’interprétation des dispositions du Traité révisé. Puisqu’elle peut émettre des avis consultatifs sur des questions juridiques, lorsqu’elle en est saisie par le Conseil des Ministres de la CEDEAO, le Mali ferait fort de la saisir afin de mettre en relief l’illégalité de la décision de la CEDEAO.

Notons enfin que la Cour de Justice de la CEDEAO est également compétente pour se prononcer sur les violations des principes fondamentaux des droits de l’homme. Sa saisine par les juristes maliens et africains permettrait sans nul doute au peuple malien dont les droits à une libre circulation au sein de l’espace se trouvent enfreints par les sanctions de les recouvrer.

 

Pourquoi l’UEMOA ?

L’UEMOA est une organisation ouest – africaine créée le 10 janvier 1994. Elle a pour mission la réalisation de l’intégration économique des États membres, à travers le renforcement de la compétitivité des activités économiques dans le cadre d’un marché ouvert et concurrentiel et d’un environnement juridique rationalisé et harmonisé.

Dès lors, comment comprendre son implication dans les sanctions économiques et financières contre la troisième économie de la zone UEMOA ? Comment l’Union pourrait-elle exercer son mandat d’intégration économique dans le contexte d’une fragilisation d’un de ses pays membres clefs ? Avec quelle crédibilité pourrait-elle dorénavant défendre le Franc CFA décrié comme une monnaie de servitude, de domination, de manipulation dans un contexte où elle en donne la preuve manifeste ? Comment l’UEMOA pourrait-elle soutenir l’indépendance des huit pays de la zone dans un contexte où l’arme monétaire est utilisée pour mettre à genou l’économie d’un pays membre, créer les conditions d’une brouille entre son peuple et le CNSP pour se débarrasser enfin du Gouvernement militaire aux commandes du Mali ? Comment pourrait-elle rendre crédible l’idée de maintien du Franc CFA ou la création de l’ECO envisagée dans le cadre de ses négociations avec la France ? Autant de questions qui renseignent à suffisance sur cette maladie qui ronge l’Afrique que le chanteur ivoirien Alpha BLONDY résume dans un de ses célèbres titres : « Les ennemis de l’Afrique, ce sont les africains ».

 

Sanctions ou géopolitique des tubes ?

Avec une superficie de 1241 million Km² et 7420 Km de frontière vis-à-vis de sept pays, la géographie du Mali en fait un pays stratégique tant sur le plan géopolitique et sécuritaire que sur le plan économique. Ses richesses géologiques (grande variété de roches à l’ouest du pays, des sédiments en grande quantité et variété dans le nord et le centre, de l’or dans le sud-ouest, du thorium, de la bauxite, du phosphate, du granite etc.) et hydrographiques (pétrole, gaz de schiste etc.) dans le contexte d’une géographie humaine limitée et d’une lutte d’influence sans merci font du Mali un pays structurellement vulnérable exposé à des appétits stratégiques tous azimuts. La corrélation entre les richesses minières du Mali et l’enjeu des intérêts économiques comme source de destabilisation du pays est ainsi vite établie. Pour cause, sa proximité par rapport au Niger (4e producteur mondial d’uranium), son appartenance à la région du Sahel devenue un centre stratégique pour le transport des hydrocarbures » et plus globalement son positionnement dans un espace continental théâtre de luttes d’influence entre les puissances économiques mondiales, sont autant de facteurs pouvant expliquer l’intérêt porté à son territoire et les effets néfastes qui en résultent.

Les mêmes phénomènes de lutte d’influence sont également notés sur le théâtre soudanais pensé pour offrir des débouchés au pétrole du Sud-Soudan et celui du Tchad vers l’Asie à travers la mer rouge. L’intermédiaire tchadien n’est pas en reste, il a été conçu pour assurer l’évacuation du pétrole du bassin du lac Tchad, du bassin de Doba et celui du Termit au Niger vers les Etats – unis via les ports camerounais et nigérians. Enfin, la zone du Sahel occidental (Mali et Niger) non moins stratégique pour la sécurité du gazoduc de Lagos – Beni Saf a été pensée pour relier le Nigeria et l’Algérie et permettre le transport du gaz nigérian vers l’Europe.

Cette géopolitique des tubes dans la région du Sahel met en lumière une réalité qu’il sera de plus en plus difficile de dissimuler. Les problèmes de terrorisme, de conflits armés, d’insécurité ou de troubles socio-politiques ne concernent que très rarement des zones dépourvues de ressources minières ou stratégiques. Les innombrables richesses du Sahel auraient dû consacrer un développement économique et social de la zone sahélienne. En lieu et place, elles constituent souvent la raison des conflits principalement alimentés par des puissances étrangères aidées dans leur dessein par de multiples complicités.

 

Quelles opportunités pour le Mali et l’Afrique de l’Ouest ?

  • Sécuritaire

L’histoire du Mali post indépendance a toujours été marquée par une alternance entre les militaires et les civils. Toutefois, la crise sécuritaire qui dure depuis une décennie aura définitivement permis aux autorités maliennes de comprendre que la rationalité matérielle de leurs choix résistera toujours à la rationalité formelle de l’agenda des puissances étrangères. L’intervention de la France dans le nord du pays depuis 2012 en illustre parfaitement la réalité. En effet, malgré une décennie de guerre et des moyens colossaux (il faut savoir que l’opération Barkhane à elle seule aura couté 577 milliards de francs CFA en 2020), ils n’auront pas réussi à enrayer l’infernale situation d’insécurité qui prévaut dans le nord du pays.

La coopération russe envisagée pour venir à bout de cette guerre asymétrique contre le terrorisme ne devrait pas absoudre les autorités maliennes des enseignements tirés des coopérations militaires récentes et historiques (L’exemple du Maroc et de l’Angola pourrait inspirer le Mali dans sa stratégie militaire. L’accord de quelque partenaire militaire devrait exclusivement être envisagé du point de vue matériel ou financier. Toute autre forme d’appui sous forme de présence sur le sol malien risquerait de produire les effets analogues à ceux contre lesquels le pays se démène depuis plus d’une décennie.). Dès lors, quel que soit le partenaire que le Mali se sera choisi en matière de sécurité intérieure ou de défense de son intégrité territoriale, la sécurité de l’espace national ne devrait plus jamais être conçue en dehors de ses propres ressources matérielles et humaines.

Le contexte actuel offre au Mali une opportunité de bâtir une nouvelle stratégie militaire affranchie de tout paternalisme. Sous ce rapport, la dénonciation des Accords d’Alger ainsi que le repositionnement des forces armées maliennes (FAMA) dans le Nord du pays constituent un début de réponse et une occasion de rompre de façon définitive avec les injonctions extérieures. La crise actuelle offre ainsi au Mali l’occasion de semer dans l’esprit du peuple malien, de son imaginaire collectif et dans la longue marche de la Nation les germes d’une souveraineté recouvrée.

 

  • Économiques et financières

Le contexte socio-politico-sécuritaire actuel pourrait également être le point d’orgue de la crise et ouvrir la voie à des choix courageux pour, dans un premier temps, pallier les méfaits d’une décennie de chaos ; puis dans un second temps réparer les dégâts que ce chaos aura causé sur le plan économique, social et sécuritaire. Les sanctions économiques de l’UEMOA portant notamment sur l’accès des ressources monétaires de la BCEAO pourraient être une excellente opportunité pour le pays et la Sous – région. En effet, avec les sanctions économiques et financiers, le service de la dette du Mali pourrait très vite se trouver en situation de défaut de paiement. Une telle éventualité impliquerait la sortie du Mali de la zone Franc ; ce qui l’obligerait à battre sa propre monnaie pour disposer de la liquidité nécessaire au respect et règlement de ses obligations financières.

Troisième pays d’Afrique exportateur d’or avec une économie reposant en grande partie sur le précieux métal qui lui rapporte 70 % de ses recettes d’exportation, le pays pourrait tirer profit de cet avantage comparatif pour constituer les réserves d’or nécessaire à la création puis la garantie de sa propre monnaie.

 

  • Politique de recadrage institutionnel

Au plan politique, une refondation de l’Etat devra être pensée et mise en orbite pour le pilotage des options et stratégies d’une gouvernance salvatrice porteuse d’espoir, de renouveau, mais aussi de progrès social pour les maliens.

 

Le Sénégal : Grand perdant !

Dans son message de circonstance adressé ce jour au peuple malien suite au rappel à Dieu Ibrahim Boubacar KEYTA, le Président Macky SALL s’est fendu d’un tweet pour dire « sa peine d’apprendre le décès de l’ancien Président malien et présenter ses condoléances émues à sa famille et au peuple malien qu’il considère comme frère et ami ». Cela n’a pourtant pas empêché le gouvernement qu’il dirige d’avoir la main particulièrement rude contre le peuple malien… En appliquant les sanctions de la CEDEAO avec autant de zèles, le Sénégal déprécie la qualité de sa diplomatie, se met en situation de fragilité, devient le « dindon de la farce », et pour finir sort perdant de la crise.

 

  • Sur le plan économique

Lors d’une cérémonie d’inauguration des travaux de construction d’un nouveau port en eau profonde organisée en grandes pompes par les autorités sénégalaises, les sénégalais découvraient en images de synthèse ce qui est présenté comme le plus grand investissement privé de l’histoire du pays. Il s’agit du nouveau port de Ndayane pensé pour renforcer la position stratégique portuaire du Sénégal, en faire un levier de développement économique tout en consacrant la position de leadership du pays au sein de l’espace sous – régional.

Cet important projet fait suite à la construction (fin des travaux prévue en mars 2022) d’un autre ambitieux projet de construction du port minéralier et vraquier de Bargny – Sendou. Prévue pour être une référence en Afrique de l’Ouest, la nouvelle plateforme portuaire sera spécialisée dans le traitement des céréales, du phosphate, des hydrocarbures et du gaz. Dans un contexte de rude compétitivité et de modernisation des plateformes portuaires de la Sous – Région où plus de 80% des importations et près de 90% des exportations du Mali transitent par le port de Dakar, la réalisation de ces deux ouvrages constitue pour le Sénégal un viatique économique certain. Dès lors, comment comprendre l’attitude de Dakar à l’égard de Bamako avec la fermeture des frontières en application des sanctions ? Cette décision est à la fois ubuesque et incompréhensible. Pour cause, frontalier du Sénégal à l’ouest-sud-ouest, le Mali est un pays enclavé qui vit une situation d’interdépendance avec le Sénégal, une chance pour les deux pays dont la cordiale pratique du commerce social a marqué des générations depuis la nuit des temps. Les deux pays venaient d’ailleurs de procéder à la relecture du pacte de Saly scellé dans la perspective d’œuvrer à l’optimisation des opérations et au renforcement de la compétitivité de la place portuaire de Dakar. Ce pacte, qui constitue une formidable externalité positive pour le Sénégal, aurait pu constituer une raison suffisante pour les autorités sénégalaises de s’affranchir d’une décision que les manquements supposés aux règles démocratiques ne justifient d’une quelque manière que ce soit.

Il va sans dire que ce pacte sera remis en cause par la République du Mali puisque la République de Guinée, un autre pays portuaire frontalier au Sénégal et au Mali a eu la clairvoyance de se désolidariser de ce « club de chefs d’Etat et de Gouvernement » en laissant ses frontières ouvertes avec le Mali. Ainsi, l’éventualité d’une remise en cause de ce pacte de Saly pourrait être un facteur de ralentissement dans le positionnement du Port de Dakar comme hub logistique régional au service des économies ouest Africaines notamment sénégalaise et malienne. La suspension des vols de la compagnie nationale Air Sénégal en direction de Bamako est un des effets induits par cette crise diplomatique. Pour une compagnie naissante qui commençait à germer dans le cœur des africains, la décision de Dakar sonne comme une farce de mauvais goût. Air Sénégal se serait volontiers passé d’une décision qui ne manquera pas de produire l’effet d’un boomerang et les tenants de cette décision en ont parfaite conscience.

En appliquant les sanctions de la CEDEAO contre la République sœur du Mali, le Sénégal commet une erreur historique et se met à dos un partenaire de premier plan, pour ainsi dire, un partenaire de choix. En fermant ses frontières avec le Mali, le Gouvernement sénégalais manque à ses obligations vis-à-vis de ses contribuables en fragilisant un pan non-négligeable du secteur privé national ; par-delà, son économie (i.e. importantes recettes du port autonome de Dakar générées par le trafic entre les deux pays).

Dans un contexte économique encore timide marqué par un chômage de masse de la population sénégalaise, le dynamisme routier de l’axe Dakar – Bamako avait réussi la génération d’un véritable écosystème de petites et moyennes économies qui constituaient un véritable coussin de sécurité pour des dizaines de milliers de foyers sénégalais. Ils viennent d’être sacrifiés sur l’autel d’une aberration à la fois morale et juridique.

Quid des recettes importantes (253 milliards de francs CFA par an) versées dans l’économie sénégalaise par les transporteurs maliens (un millier de camions maliens de transport de marchandises écument quotidiennement les routes sénégalaises). En jetant le Mali aux gémonies, le Sénégal plonge dans les eaux d’une brouille diplomatique, emporte avec lui des relations pluriséculaires et noie l’idéal et les espoirs d’une intégration sous – régionale au service de l’intérêt du contribuable communautaire.

 

  • Sur le plan sécuritaire

D’autres conséquences néfastes de ces sanctions sont à prévoir. Celles-ci portent sur les efforts de lutte contre l’insécurité qui règne au sein de la Sous – région. Le Mali est un grand pays à la fois frontalier de la Mauritanie à l’ouest, de l’Algérie au nord-nord-est, du Niger à l’est, du Burkina et de la Côte d’Ivoire au sud-sud-ouest, de la Guinée au sud-ouest et du Sénégal à l’ouest-sud-ouest. Cette géographie du Mali qui fait et continuera de faire l’histoire de la Sous – région offre au Sénégal une zone tampon contre les risques et les menaces terroristes en tous genres provenant notamment d’Aqmi ou d’autres organisations terroristes.

Dans le contexte de porosité des frontières entre les différents pays de l’espace sous – régional, la fragilisation du Mali est erreur de lecture d’un point de vue géopolitique et sécuritaire. Comment ne pas comprendre qu’elle aboutira immanquablement à la fragilité de tout l’espace communautaire ?

Le destin sécuritaire de la zone sahélienne est intimement lié à celui du Mali et ne pas tenir compte de ce truisme compris par les populations ouest – africaines témoigne du niveau de décalage entre les attentes de ce dernier et les objectifs des Chefs d’Etat et de Gouvernement. En effet, à l’instar du Tchad pour l’Afrique Centrale, le Mali est un verrou stratégique dans la sécurisation de l’Afrique de l’Ouest.

L’application des sanctions contre le Mali risque par ailleurs d’exacerber les activités de contrebande dans les localités frontalières connues pour leur capacité de nuisance et leur génération d’insécurité.

La cristallisation des ressentiments du peuple malien à l’égard des autres pays parties prenantes aux sanctions de la CEDEAO n’est pas en reste. Ces ressentiments qui ne sont pas à écarter pourraient davantage renforcer la fragilité des rapports entre le Mali et les autres Etats membres.

 

Fragilisation des deux organisations sous régionales ?

La crise socio-politique qui prévaut au Mali arrivera un jour ou l’autre à son terme. Nous espérons que ce règlement sera diligent. Cependant, quelle que soit l’issue de celui-ci, les deux organisations sous – régionales en sortiront affaiblies avec un ressentiment de la partie malienne qui mettra du temps à s’estomper. La virulence des commentaires, analyses et appréciations des africains dans la presse et sur les réseaux sociaux vis-à-vis de la CEDEAO et de l’UEMOA en est l’illustration. La mauvaise perception des africains sur ces deux organisations sous – régionales risque de creuser davantage un fossé déjà profond de maintes incompréhensions.

 

Rôle des sociétés civiles !

Si les africains ont été particulièrement marqués par les sanctions infligées au Mali, les organisations de la société civile (OSC) du continent disposent d’une chance historique pour parler d’une voix qu’elles ont par ailleurs l’unique occasion de faire entendre. L’obligation leur est donc faite de se saisir des enjeux de la crise malienne et porter les errements et maladresses de la CEDEAO et de l’UEMOA au pinacle de l’opinion africaine et internationale.

Les enjeux de ce qui se passe au Mali sont à ce point cruciaux que la société civile africaine doit considérer la crise malienne dans une perspective essentiellement africaine. Il n’est plus question de considérer que c’est du Mali qu’il s’agit et qu’il faut lui apporter ainsi qu’à son peuple le soutien dont ils ont besoin. Ce serait une erreur pour les africains d’appréhender la crise malienne sous l’angle de la solidarité à l’égard de ceux que nous considérons comme nos frères et sœurs du Mali. Mais plutôt de comprendre que les problèmes du Mali sont en réalité une concentration des problèmes de l’Afrique de l’Ouest et du continent africain dans son ensemble. Il est dès lors important de recentrer notre appréhension de la crise malienne du point de vue de la survie de l’idéal d’unité africaine et de l’épanouissement de son peuple pour pouvoir apporter les réponses susceptibles de juguler la dynamique des agissements de la CEDEAO.

L’institution est aujourd’hui frappée de discrédit et perçue comme un instrument à la solde de puissances étrangères. Elle est au banc des accusés des dirigeants maliens et d’une partie importante de l’opinion africaine. La mise en accusation de la CEDEAO révèle une véritable défiance vis-à-vis de ces institutions régionales. Les maliens et les africains ont raison de dénoncer des sanctions dont le fondement illégal et illégitime est établi. Dès lors, ces sanctions accréditent la thèse d’un agenda et d’un dessein inavoués ourdis par des forces extérieures et leurs suppôts intérieurs pour tarir la marche d’une Afrique progressiste, libre et prospère.

Aussi que l’on imagine quelque changement de paradigme dans le fonctionnement des organisations sous – régionales ouest africaines (CEDEAO ; UEMOA) ou leur position vis-à-vis des citoyens dont elles sont tenues de défendre l’intérêt général, l’engagement et le combat de tous doivent être envisagés afin de contenir leur folie et toucher enfin du doigt ce changement tant souhaité ; mais ce rapport d’altérité suppose une perception renouvelée de notre dignité, celui de notre identité d’africains, enfin celui de l’idéal d’unité africaine.

 

Implications légales par rapport à la ZLECAF, l’OMC etc. !

En application des sanctions contre le Mali, la CEDEAO a officiellement procédé au blocage des frontières de l’espace communautaire. Ce faisant, les chefs d’Etat et de Gouvernement ont ouvert une boite de pandores aux dangereuses incertitudes à géométrie variable. Celles-ci portent sur des différents niveaux de contradictions juridiques.

D’abord, rappelons qu’en droit la notion de frontières entre pays n’existe pas dans le cadre d’un espace communautaire. Quand la question est envisagée d’un point de vue logique, les frontières de la CEDEAO se trouvent à la lisière de l’espace sous – régional ; ce qui signifie précisément entre l’espace sous régional et les pays qui ne sont pas membres de cet espace. Parler de fermeture de frontière à l’égard de quelque pays de l’espace communautaire est donc un contre-sens juridique. Comment envisager des fermetures de frontières à l’intérieur de la CEDEAO alors que celles-ci ont été abolies d’un point de vue juridique et institutionnel par la création de la Communauté ? Les frontières de la Communauté telles qu’elles existent ont été définies comme espace de la CEDEAO. Par conséquent, la fermeture d’une frontière de l’espace ne saurait s’appliquer que contre un pays en dehors de la CEDEAO.

Ensuite, il faut noter que le Mali entretient de nombreux accords bilatéraux et multilatéraux avec les agences des Nations – unies à l’instar de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), ou les organisations africaines telles que la Zone de Libre Echange Continentale Africaine (ZLECAF) pour ne citer que ces deux. Dès lors que les sanctions contre le Mali empêchent l’exercice de ces accords qui ne relèvent aucunement de la compétence de la CEDEAO, elles posent un problème de légalité et de légitimité en plus du problème moral auquel elles renvoient. Enfin, l’on ne manquera pas de noter que les sanctions de la CEDEAO contreviennent à des principes acquis qui ne peuvent être remis en cause. Elles contredisent le principe même de libre circulation des biens et des personnes qui est le fondement et justifie l’existence de la CEDEAO en tant qu’espace. Quand des sanctions constituent une entrave à l’exercice d’un droit ou l’observation d’un accord bilatéral ou multilatéral, leur application confère en droit une primauté qu’en l’espèce aucune législation de la CEDEAO ou d’un autre organisme continental ou international ne prévoit. Dès lors, à moins d’invoquer le principe d’extraterritorialité qui échappe à la compétence de l’institution Communautaire, la CEDEAO ne peut se prévaloir de son corpus pour imposer au Mali de telles iniquités. Les fondements de l’organisation Sous-régionale tout comme l’idéal de sa Communauté sont aujourd’hui plus que jamais en cause.

Il faut donc que les juristes africains, restés inaudibles sur la question des sanctions, se saisissent des enjeux de la crise pour aider au dénouement de cet imbroglio juridique. En attendant, nous comptons sur le Mali pour introduire une saisine auprès de la Cour de Justice de la CEDEAO et lui demander d’assurer le respect du droit et des principes d’équité dans l’interprétation et l’application des dispositions du Traité révisé de l’Institution ainsi que des autres instruments juridiques subsidiaires adoptés par la Communauté.

 

Perspectives !

Les deux institutions sous-régionales dont l’image est déjà ternie pour les raisons évoquées plus haut sortiront diminuées par la crise malienne. Elles ont montré qu’elles demeurent les pales miroirs des Etats et des Gouvernements ainsi que de leurs politiques internes assises sur des pratiques révolues. Elles pourraient toutefois renouer avec la confiance des citoyens de l’espace communautaire si elles parviennent à faire les réformes nécessaires à leur utilité.

Par exemple, dans le contexte des crises de l’espace Communautaire mais aussi des différentes expériences que l’ECOMOG a menées, les Chefs d’Etat et de Gouvernement pourraient se servir de ce substrat pour envisager la fusion des armées des pays de la CEDEAO en une seule armée communautaire. En effet, rappelant avec éloquence l’interdépendance entre la sécurité du Mali qui est structurellement et intégralement liée à celle de la sous-région, a crise malienne aura au moins permis à la CEDEAO de fonder la sécurité de son espace d’un point de vue communautaire.

Les imbroglios et les manquements juridiques, mis à nu par les sanctions infligées au Malis constituent également des pistes intéressantes de réforme institutionnelle. En créant la Communauté, les frontières de cette dernière ont de fait et en Droit été délimitées à la périphérie de l’espace communautaire, c’est-à-dire entre la CEDEAO et tout ce qui n’est pas de la CEDEAO. La fermeture des frontières avec le Mali constitue donc une monstrueuse absurdité juridique que cette crise aura eu le mérite de mettre en relief.

Une réflexion profonde sur cette question, suivie d’une réforme courageuse, permettra par ailleurs de régler les pratiques courantes de certains pays qui consistent à fermer leurs frontières au gré des humeurs politiques de l’heure ; et ce au mépris et au détriment des peuples au du corpus juridique de la CEDEAO.

Enfin, le corpus ayant fondé la création des deux organisations sous – régionales qui sont essentiellement d’inspiration européenne, doit être revu et adapté à la lumière des réalités et des aspirations africaines. Au-delà du fonctionnement de ces deux institutions, qui ont été mises en place avec le concours technique et financier de la France et des PTF, la CEDEAO et l’UEMOA doivent impérativement revoir leur rapport au peuple, remettre à plat le projet communautaire, le reformuler et s’assurer que le dispositif organisationnel, administratif et financier garantisse de façon exclusive la sauvegarde des intérêts de l’espace ouest-africain. C’est à ce prix que ces institutions joueront un rôle de développement pour l’Afrique.

S’agissant de l’UEMOA, l’indépendance financière de l’espace économique et monétaire doit être érigée en super priorité. Les velléités maliennes de contourner le trésor français pour affirmer leur souveraineté financière sont applaudies par tous les africains qui souhaitent en finir avec la servitude monétaire. Cette aspiration doit être entendue et réalisée non seulement pour toutes les raisons qui en sous-tendent le fondement, mais pour éviter que naisse et vive dans l’esprit des populations la perception d’une UEMOA des Chefs d’Etat et de Gouvernement et une UEMOA des peuples.

Pour ce qui est de la CECEAO, où cette perception des populations est tenace, la mise en œuvre des réformes indiquées plus haut permettra de concilier les attentes communautaires aux nouvelles pratiques institutionnelles.

Al Hassane NIANG,

Spécialiste en réforme institutionnelle et en gouvernance démocratique Président de Jiitël Wareef

Le Devoir En Mouvement ! Sénégal

 

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