La très grande majorité des Constitutions contemporaines met au centre des préoccupations premières la protection des libertés individuelles jugées inhérentes à la qualité d’Humain. Les Hommes ayant été reconnus égaux en droit et libres dès la naissance, les restrictions à la liberté et les inégalités de traitement doivent être fondées sur des intérêts légitimes et avoir une base légale prédéfinie.
Dans la perspective de consacrer ce dernier principe, la première déclaration de droits de l’homme a été faite en France en 1789. Mais le texte n’était qu’une sorte de préambule et l’embryon de ce qui allait suivre. Il fût repris et amélioré a maintes reprises dans les conventions internationales et communautaires. Et tous les textes (notamment les articles 1er et 5 de la Constitution malienne) qui s’en sont inspirés ont également reproduit avec une insistance particulière le droit, pour chaque être humain, de n’être privé de sa liberté que conformément aux prescriptions de la loi. Ainsi, le crime ou le délit n’est susceptible d’être cause de privation de liberté que si un texte de droit pénal (principe de la légalité des délits et peines, lire notre article dans la revue ERSUMA numéro 15 année 2021 sur « l’évolution du droit pénal spécial face la complexification croissante de la criminalité ») en fixe les modalités et en détermine la durée.
A cet égard, le droit pénal et la procédure pénale vont faire office d’exception dans une certaine mesure en prenant soin de ne pas s’écarter des prescriptions de la Constitution garantissant les droits fondamentaux. En ce sens qu’ils viennent limiter les droits fondamentaux reconnus dans les lois fondamentales. Afin d’assurer l’égalité de tous devant ces lois, les tribunaux furent chargés d’appliquer le droit pénal et la procédure en toute indépendance et impartialité. Pourtant, certains situations conflictuelles amènent à douter de l’impartialité du juge. Si elles se présentent, le magistrat est tenu de se récuser. Il pourra y être contraint au besoin. En dehors de ces cas de conflit d’intérêts ou de risque de partialité, un dérapage du magistrat peut se produire, soit par méconnaissance des textes soit par abus de sa position. Cela pourrait avoir pour conséquence fâcheuse, une atteinte aux libertés individuelles. Le magistrat non avisé est donc un liberticide en puissance.
Eu égard à la complexité du thème, il convient, dans une optique pédagogique, de ne pas s’attarder sur les grandes théories en droit pénal. Tentons donc d’illustrer les situations les plus emblématiques de dérapages susceptibles de porter atteinte aux libertés individuelles. Les atteintes aux libertés individuelles se manifesteront ainsi lorsque le magistrat ignore le principe de la présomption d’innocence, comme cela peut arriver en matière de détention provisoire. En cette dernière matière, la présomption d’innocence devant profiter à tous inculpés jusqu’à ce que le juge reconnaisse la culpabilité, la privation de liberté doit demeurer une mesure exceptionnelle. Et pour qu’il en soit ainsi, la loi a pris le soin d’en déterminer les conditions et la durée.
S’agissant du droit malien, pour rappel, les bases textuelles de la détention provisoire se trouvent aux articles 123 et suivants du Code de procédure pénale. Nous retiendrons, pour l’essentiel, que lorsque la peine encourue est un emprisonnement et qu’il y a un risque que l’inculpé se soustrait de la justice au cours des enquêtes, la détention provisoire peut être ordonnée par le juge. Les données factuelles sont donc soumises à l’appréciation d’un magistrat. C’est ainsi que certains hommes politiques se sont retrouvés derrière les barreaux parce que le risque de fuite, en dépit de la présomption d’innocence, a incité une privatisation de liberté.
Toutefois cette mesure, dont le caractère exceptionnel a été souligné par la loi, ne manque pas de défrayer la chronique car son application en pratique a pu être abusive. En effet, la durée maximum de la détention provisoire en matière criminelle est de 3 ans selon l’article 135 du Code des procédures pénales. Le délai initial de 1 an peut en effet être prorogé sur décision motivé du juge sans pouvoir dépasser les 3 ans. Les récentes affaires (l’affaire SBM et Amadou Haya) ont suscité beaucoup d’interrogations et ce d’autant plus que le juge malien est toujours suspecté de partialité. Il a du mal à se défaire de cette réputation, de corrompu et même d’incompétent, qui lui colle à la peau. La libération de Amadou Haya sept ans plus tard, sans qu’aucun jugement n’ait été rendu, a laissé en suspens la question de la régularité de cette pratique de détention provisoire.
Cette affaire a soulevé des interrogations. On s’est tout d’abord demandé si le juge pouvait faire fi de la présomption d’innocence et détenir indéfiniment un individu sans jugement au fond. Ce serait contraire aux dispositions du Code de procédure pénale mais en pratique, rien ne semble garantir la sauvegarde des libertés individuelles face une justice zélée par moment. Par ailleurs, la question s’est posée de savoir s’il existait un organe indépendant de contrôle, hors hypothèse recours juridictionnel, qui pourrait sanctionner l’excès de zèle du magistrat ordonnant une détention ordinaire. Cet organe serait, s’il en existait, le garant de l’indépendance et de l’impartialité du magistrat mais également le rempart contre tout dérapage. L’article 82 de la Constitution met en place un Conseil Supérieur de la Magistrature. Chargée de la gestion de carrière et de la discipline au sein de la profession, l’institution est peu active en matière de respect de droits de l’homme. On ne l’a d’ailleurs jamais entendu s’intéresser à une telle problématique. L’affaire Haya était pourtant une belle occasion de témoigner son attachement au respect des procédures instituées pour la sauvegarde des libertés individuelles.
Avec l’arrestation, extra-judiciaire de Boubou et consorts, le débat a été relancé. Des individus furent privés, provisoirement, de leur liberté pour avoir tenté de déstabiliser l’État. Le cas avait interpellé l’AMDH, soucieuse de la méthode utilisée et des éventuelles violations des droits de l’homme. La détention provisoire n’a duré que quelques mois mais elle aurait pu s’avérer hautement préjudiciable aux libertés individuelles si les considérations d’ordre politique, qui avaient motivé l’inculpation des intéressés, n’avaient pas été écartées par des magistrats avisés. A l’évidence, tout le problème réside dans la capacité ou la volonté du magistrat à apprécier objectivement et sincèrement les motifs qui justifient la privation de liberté. Si celui-ci, sous l’influence d’un régime caractérisé par une confusion de pouvoirs apparemment séparés, n’a pas la clairvoyance nécessaire pour faire respecter le droit à un procès équitable dans un délai raisonnable alors nous pouvons craindre pour nos droits fondamentaux.
La dernière affaire en date, celle de feu SBM, relance le débat avec plus de pertinence, l’inculpé étant décédé en détention provisoire. L’intéressé n’ayant passé que moins d’une année en détention provisoire, on ne saurait conclure à l’illégalité de la procédure suivie. Les magistrats n’ont donc pas méconnu les prescriptions légales. Mais l’affaire demeure intrigante eu égard à l’état de santé de l’inculpé. S’il n’existait pas d’éléments suffisants établissant la culpabilité, pourquoi mettre en prison un individu à la santé fragile ? Si les preuves tangibles existaient, le jugement aurait dû intervenir sans une longue attente, compte tenu de la santé fragile. Si des éléments de preuve manquaient, il fallait permettre l’évacuation sollicitée sur conseil médical. Le risque de fuite allégué était moins évident et moins conséquent que celui d’une détention sur fond de doute d’une personne âgée et condamnée. Mais il convient de reconnaître que la question n’aurait pas été soulevée si un malien lambda était concerné. Ce qui nous amène à reconnaître qu’aucune autre considération ne devait prévaloir mis à part les arguments juridiques et cela parce que seul le droit permet d’assurer l’égalité entre tous. Dès lors que la détention n’était ni arbitraire ni disproportionnée au risque, l’évacuation n’était pas un droit l’individu ayant reçu les soins convenables dans une clinique réputée.
A ce jour, le droit et les libertés des justiciables sont entre les mains d’un corps noble. Ses membres doivent s’illustrer en tant que défenseurs des droits fondamentaux et gardiens de la cohésion sociale en instaurant un équilibre entre les raisons d’État et la sauvegarde des droits de l’homme. Fort heureusement, les magistrats maliens, en grande majorité, ne sont pas des liberticides. Salutations et respects pour leur intégrité.
Dr DOUGOUNÉ Moussa
Professeur d’enseignement Supérieur
Consultant Formateur auprès des entreprises et des banques