Réformes institutionnelles / Conséquences d’une mauvaise analyse de l’arrêt 96-003 du 25 /10/1996

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1. Introduction

Cette contribution se recommande de la nécessité de lever un certain nombre d’ambigüités qui, à force de prospérer, ne sont pas pour permettre une appréhension globalisante des enjeux induits par le mode de scrutin des élections législatives à venir, proposé par le Comité d’Appui aux Réformes Institutionnelles (CARI), inclusivement des techniques à imaginer pour inciter, à défaut d’obliger à une représentation conséquente de la frange féminine de notre pays.

2. Des conséquences d’une mauvaise analyse de l’arrêt 96-003 du 25/10/1996

C’est avec un certain amusement que j’ai parcouru le paragraphe 1.3.1.2 du rapport du CARI, relatif aux préconisations se rapportant aux modalités d’élection des députés à l’Assemblée Nationale.                          

Comme cela arrive bien souvent, à force de se perdre dans des conjectures inappropriées et surtout excessives, l’on s’expose inutilement. Or, comme le dit si bien Beaumarchais, tout ce qui est excessif est dérisoire.

Encore que le qualificatif « insuffisance juridique » aurait dû être assis sur des explications d’un juridisme éprouvé, au lieu que d’être confiné dans cette formule purement cosmétique. Il est au demeurant inhabituel de retrouver ce genre de dérapage dans des productions d’experts caractérisées à tout le moins par le sens de la mesure, surtout que dans le cas d’espèce il est question de juger la position prise par un Gouvernement de notre pays et qu’à l’époque rien n’interdisait de porter la contradiction, dans un esprit d’enrichissement.            Evidemment, la défroque d’expert autorise quelque hardiesse, s’agissant au demeurant d’enfoncer une porte largement ouverte par les termes de l’arrêt CC 96-003 qui sont on ne peut plus clairs !                   

Pour les besoins de l’analyse, la reprise littérale dudit paragraphe n’est pas sans intérêt, ne serait-ce que dans l’optique d’une réplique objective :                            «  1.3.1.2. Tous ont souligné l’importance capitale de la question de l’élection des députés, pour la consolidation de la démocratie au Mali et la majorité a souhaité l’institution d’un système susceptible d’assurer une meilleure représentation des courants d’opinion et d’instaurer une meilleure crédibilité du politique aux yeux des citoyens maliens. Pour elle, ce devrait être un système mixte combinant le scrutin majoritaire et la représentation proportionnelle ; et la voie doit en être ouverte directement par la Constitution pour éviter la censure de la Cour constitutionnelle, comme en 1996. Cette année là, en effet, le gouvernement a proposé, dans le projet de loi électorale, un type de scrutin mixte qui a été déclaré contraire à la Constitution par la Cour Constitutionnelle. Le Comité, après un examen attentif dudit arrêt, n’y a pas vu une interdiction générale et absolue de la combinaison du scrutin majoritaire et de la représentation proportionnelle, mais plutôt le rejet, à bon droit, de « l’institution de trois modes de scrutin (majoritaire uninominal, majoritaire de liste et proportionnel) selon les localités, pour la même élection, à la même chambre et pour la même législature. » Ce que l’arrêt N°CC 96-003 du 25 octobre 1996 a déclaré contraire au principe constitutionnel d’égalité du suffrage. Le Comité, tirant les conclusions de ses analyses et des points de vues exprimés recommande l’adoption d’un autre système mixte qui n’aurait pas les insuffisances juridiques de celui de 1996. Pour donner des bases juridiques autrement plus solides à cette proposition, le Comité propose d’en inscrire le principe dans la Constitution (proposition N° 24). ………………            « 1.3.1.3. Le système combinerait le scrutin uninominal majoritaire à deux tours appliqué à l’ensemble du territoire national divisé en des circonscriptions élisant, chacune, un (1) député et l’élection à la représentation proportionnelle, sur la base des suffrages obtenus sur l’ensemble du territoire par les candidats du même parti ou groupement, d’un certain nombre de députés sur la base de listes nationales établies par les partis, groupements de partis et groupements politiques (proposition N° 25). »                                                   

Point besoin d’être grand clerc à la lecture de l’arrêt CC 96-003 pour se rendre compte de ce que la position des sages est aux antipodes des arguties développées dans le paragraphe 1.3.1.2.                                                    

Le juge constitutionnel malien a tout simplement jugé non conforme à la constitution le scrutin mixte, indépendamment de la combinaison de mixité choisie, position demeurée constante aussi bien dans l’Arrêt CC 000-121 du 6 octobre 2001 que dans l’avis 2001-A-002 du 4 octobre 2001, qu’il me semble de bonne démonstration de reprendre, citation :               

«…………. Considérant en outre que la Cour Constitutionnelle dans son arrêt n° 96-003 en date du 25 octobre 1996 a clairement déclaré le caractère inconstitutionnel du scrutin mixte pour l’élection des députés à l’Assemblée Nationale ; Que la Cour dans cet arrêt a nettement précisé que le principe de valeur constitutionnelle de l’égalité entre les électeurs et les candidats tient en échec le scrutin mixte sous toutes ses formes » (Arrêt CC 000-121)     « ………L’Article 61 nouveau (de la loi n° 00-54/ AN-RM portant révision de la constitution) , en prévoyant l’élection des députés selon un système combinant le scrutin majoritaire et la représentation proportionnelle est en contradiction avec l’article 2 de la constitution et les dispositions de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, en son article 21 et la Charte Africaine des Droits de l’Homme, en son article 13, qui font partie du bloc de constitutionnalité au Mali du fait que le Peuple Malien y a souscrit. Le mode de scrutin rompt le principe de l’égalité des maliens à l’exercice de la fonction de député »    (Avis 2001-A-002) Fin de citation

 3. Moralité :                                                   

 

Savoir analyser une décision d’une  Haute Juridiction constitue un pré requis indispensable à un commentaire juridique qui tienne la route, d’où la nécessité par moments de recourir à la confection de « fiches d’arrêt ».

Il peut effectivement arriver de penser les premières fois que l’on est confronté à un arrêt, que la cour se contredit. C’est ce qui est arrivé, ce me semble, à l’expert du CARI préposé aux questions électorales qui a confondu dans l’analyse de l’Arrêt CC 96-003 du 25/10/ 1996 les arguments d’une des parties avec une position juridique de la Cour Constitutionnelle, alors même qu’il n’en était rien.                                           

Ainsi, dans le 4è considérant, le juge constitutionnel a bien précisé que la loi incriminée « prévoit non trois modes de scrutin, mais deux modes de scrutin pour l’élection des députés à la même chambre »                                               

Comme de bien entendu, l’erreur est humaine, d’où la nécessité pour l’expert de faire preuve d’humilité. Dommage tout simplement qu’en l’espèce, l’on ait diffusé sur la toile mondiale des indications qui ne donnent point le gage du sérieux de nos sages.            

Il s’impose en conséquence la nécessité, je ne sais par quelle contorsion juridique ou quelle circonlocution, de restituer la crédibilité de notre cour constitutionnelle au sein de la communauté des praticiens du droit constitutionnel. C’est une question de simple honnêteté intellectuelle.                                                        

Il n’est pas de trop à cet égard, ne serait-ce que dans un but de simple pédagogie, d’œuvrer à maintenir la dignité de notre cour constitutionnelle, dans la mesure où, qu’on le veuille ou non, le dernier mot lui reviendra toujours.                                     

Que l’on ne s’y trompe point ! Affaiblir cette institution confinera inexorablement à enlaidir notre démocratie qui a besoin d’institutions toutes plus vigoureuses les unes que les autres.                                                

 4. De la pertinence du mode de scrutin proposé par la Commission d’Appui aux Réformes Institutionnelles                             

 

Comme rappelé plus haut, la position du juge constitutionnel malien est on ne peut plus claire, qui rejette au nom de principes de valeur constitutionnelle, le scrutin mixte sous toutes ses formes. Peut-on raisonnablement méconnaître cette position ?

Evidemment, l’avis de la cour constitutionnelle dans le domaine du référendum, n’a qu’un caractère juridique, comme elle a tenu à le préciser elle-même, mais n’oublions pas que le choix du mode de scrutin est un acte éminemment juridique.

L’injusticiabilité de la loi référendaire, expression de la volonté du peuple souverain étant constante, doit-on se permettre en son nom de tout faire passer, jusques-et y compris des dispositions déjà déclarées non conformes à la constitution ?                

Pour notre part, nous nous sommes toujours interdits de porter quelque jugement que ce soit sur des décisions de la cour, quelque légitimes que fussent notre incompréhension et notre frustration, dès lors que les dites décisions étaient insusceptibles de recours.                 

Pour revenir au débat sur le mode de scrutin, nous pouvons nous reporter sur un extrait de l’étude n° 250/2003, du 5 août 1983,de la Commission Européenne pour la Démocratie et le Droit (Commission de Venise) qui présente un réel intérêt, car cette instance concentre les sommités les plus éminentes en matière de doctrine et de pratique constitutionnelles de l’espace européen, notamment en matière de droit comparé, Commission qu’au demeurant l’on ne saurait suspecter de partialité, ni « d’insuffisance juridique »

« Les systèmes électoraux : Tableau de l’offre et critères de choix                           

« Les systèmes mixtes ou intermédiaires sont le résultat de combinaisons entre les systèmes majoritaires et proportionnels. Leur objectif est de rassembler les avantages des deux systèmes………..                                   

« 18. Les principales combinaisons envisagées par les législateurs sont les suivantes :                        

L’application du scrutin majoritaire dans certaines circonscriptions et de la proportionnelle dans les autres circonscriptions.                                          

L’utilisation du système majoritaire pour les candidats ou les listes ayant obtenu la majorité absolue (ou qualifiée) et la répartition des sièges restants à la proportionnelle.             

Dans une même circonscription, l’application du système majoritaire pour un nombre prédéfini de sièges et le recours à la proportionnelle pour les autres.

 L’application soit du système majoritaire, soit de la proportionnelle en fonction de la taille de la circonscription.                                                                    

L’utilisation de la proportionnelle pour compenser les effets induits par le scrutin majoritaire.  

Parmi ces systèmes, on peut citer la « représentation proportionnelle personnalisée » en Allemagne ou encore la loi électorale de 1944 en Italie. »        

Le système mixte proposé par le CARI est l’un des moins usités et se rapproche du système allemand, sauf que le scrutin proportionnel y est déployé à l’échelon des länder.      

Autre différence – de taille ! –car elle procède d’un souci de transparence et de justice par l’institution en Allemagne d’un double vote.       

Il est attribué en effet à chaque électeur deux bulletins de vote : un bulletin pour l’élection au scrutin uninominal majoritaire à un tour et un bulletin pour le scrutin de liste à la représentation proportionnelle.                   

Par ce biais, l’on exclut tout reproche d’inégalité et tout soupçon de déformation de la volonté des électeurs.      

C’est ce système que proposa en février 1993 la commission de réforme du mode de scrutin pour l’élection des députés présidée par le doyen Georges Vedel.           

C’est le même système du double vote qui est jusqu’à plus ample informé en vigueur en Guinée et je sais pour avoir été observateur électoral dans ce pays qu’il a été parfaitement assimilé par le corps électoral dans son ensemble.                                                      

Cette réalité permet d’écarter d’emblée les cris d’orfraie qui ne manqueront pas, pour souligner la complexité du double vote.           

Il est permis au demeurant, et ce pour reprendre la position de plusieurs membres éminents de la doctrine, de se demander si l’on peut être élu sans qu’une voix ne soit portée sur son nom ?M. Jean- Claude Colliard, Président de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, membre des commissions Vedel et de Venise précitées, a pour sa part évoqué la possible existence d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République au nom duquel nul ne saurait être élu s’il n’a recueilli des voix sur son nom, soit seul, soit sur des listes où il figure.                

Il me semble somme toute logique, dans un système de représentation politique, qu’un électeur sache dans le secret de l’isoloir la personnalité ou la liste à même de représenter valablement ses intérêts.                                                            

C’est tout le sens de l’obligation pour un parti politique de confectionner des listes comportant des personnalités crédibles et les plus proches des populations, sauf à être sanctionné par ses propres militants qui éprouveraient une légitime frustration de voir figurer sur lesdites listes et en position d’éligibilité d’illustres inconnus au bataillon et ne pouvant se prévaloir que de leur amitié avec le chef de parti.                                 

Il faut en tout état de cause que le respect de l’électeur s’impose et qu’il soit en situation de déporter son vote sur une liste qui comporte des personnalités desquels il se sent le plus proche, quand bien même elles seraient d’une autre chapelle politique.   

C’est la même logique qui obligera les formations politiques à faire figurer sur leurs listes et en position d’éligibilité des candidats de sexe féminin, au risque de voir les électrices privilégier les listes les plus respectueuses de l’équité –genre.                      

Il ya lieu de donner à nos sœurs les moyens les plus à même d’imposer le respect qui leur est dû et ne pas croire que la seule bonne volonté des responsables des partis politiques suffira pour ce faire. Le sort qu’a connu en France la loi sur la parité est là pour nous rappeler que la revendication concernant plus de justice dans la direction des affaires publiques constitue un combat de tous les instants et que les incitations financières ne sauraient à elles seules constituer qu’un pis-aller !                                    

Le dernier argument qui écarte la fiction du bulletin unique est la survenue de possibles frictions entre députés légitimés par le vote et ceux qui le seraient dépendamment des résultats de leurs camarades des circonscriptions électorales, par défaut ou par portage en quelque sorte.                   

Imaginez dans ces conditions un Président de l’Assemblée Nationale ne pouvant justifier d’aucune base électorale.                                           

Il y a fort à parier qu’avec un tel système, les électeurs s’écarteront définitivement des urnes, persuadés qu’ils sont de simples faire valoir d’une farce dont les ressorts ne leur appartiennent pas.                                                

Il est urgent de réhabiliter aux yeux de nos compatriotes la chose politique et ne pas donner l’impression de la part des pouvoirs publics d’user de ruse et de malice alors qu’il est simplement question de vouloir caser des fonctionnaires à la retraite ne disposant d’aucun « capital social » personnel, ne serait-ce qu’au niveau de leur circonscription d’origine. 

Mamadou Mallé Cissé

Fonctionnaire à la retraite

Ancien Conseiller Technique à la Présidence,

Ancien Secrétaire Général MATCL

 

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