Révision constitutionnelle : Réinventons notre cadre étatique pour un nouveau pacte social

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A l’indépendance, le Mali, à l’instar des autres pays anciennement colonisés, a hérité de l’architecture institutionnelle mise en place par le système colonial. Cette construction institutionnelle, qui se caractérise par son centralisme, est une reproduction du modèle Etat-Nation en vigueur dans les pays occidentaux et notamment de l’Etat jacobin français. La question de l’adéquation entre cette forme institutionnelle et les réalités socio-anthropologiques des pays colonisés ne se posait pas puisqu’elle avait pour seul objectif de servir la cause de la colonisation. Cependant, après l’accession de notre pays à l’indépendance, aucune réflexion de fond ne fut menée pour envisager la construction d’un modèle étatique conforme aux réalités sociales, culturelles, politiques et économiques de notre société.

Le seul changement fut le remplacement des colons par des autochtones dans les structures administratives. C’est dans ce sens qu’on peut dire que le projet colonial, qui était de faire émerger une élite africaine familiarisée avec la langue, les institutions et les méthodes du colonisateur pour pérenniser l’entreprise coloniale, fut une réussite. En effet, cette élite qui nous a conduits à l’indépendance n’a pas pu inventer d’autres manières de faire, d’autres méthodes, d’autres institutions que celles du côlon.

Le nouvel Etat malien indépendant a donc été bâti à l’image de l’administration coloniale. Très centralisé, cet  Etat a exclu la grande majorité de Maliens par le simple fait qu’ils n’ont pas reçu l’éducation coloniale et qu’ils ne parlent pas la langue du colonisateur (rendue légitime et instrument d’exercice du pouvoir). Autrement dit, quand on n’est pas allé à l’école pour apprendre à lire et écrire le français, on n’a pas son mot à dire dans la gestion des affaires étatiques parce qu’on est considéré comme un « kunfi » (analphabète). Le choix du français comme seule langue officielle, donc langue de gestion des affaires de l’Etat favorise la mainmise de l’élite formée par le colon sur le pouvoir et acte l’exclusion de l’essentiel de la population.

Si cette posture était excusable aux premières heures des indépendances par le fait que l’on manquait de recul par rapport aux manipulations idéologiques dont on a été victime, il est inimaginable qu’après plus de 60 ans d’indépendance, nous soyons encore dans l’incapacité d’inventer un modèle étatique adapté à notre pays. En effet, les leçons tirées sur notre construction étatique depuis les indépendances et encore plus sur les trois décennies de notre prétendu régime démocratique sont assez claires, notre modèle étatique (donc de gouvernance) n’est pas conforme à nos réalités.

En dépit des notes positives des « baromètres de la démocratie » faisant du Mali l’un des pays les plus démocratiques en Afrique subsaharienne, l’incapacité de ce régime à apporter des réponses concrètes aux défis les plus élémentaires, notamment en matière d’éducation et de santé doit nous amener à reconnaître son obsolescence. D’ailleurs, notre démocratie, comme le note Aminata Dramane Traoré, se résume à l’organisation périodique d’échéances électorales au regard desquelles tout devient secondaire. Ce qui est demandé au pouvoir en place, c’est de consacrer son temps et son énergie à la tenue d’élections dont la transparence et la validité sont jugées par des partenaires occidentaux, ce qui est une manière de perpétuer la tradition paternaliste et l’infantilisation permanente de nos pays.

Peut-on imaginer, à l’inverse, des élections en Occident dont la validité serait jugée par des observateurs de l’Union Africaine ou de la Cedeao ? De telles pratiques doivent nous inciter à mener une réflexion de fond sur les orientations de notre version de la démocratie et nous questionner sur les causes réelles qu’elle sert. La notion même de la démocratie, telle qu’elle nous est imposée de l’extérieur mérite d’être questionnée et explicitée partant de nos réalités politiques et socio-anthropologiques. Il est d’ailleurs important de noter à cet effet qu’avec la mondialisation, un certain nombre de notions et de concepts (la démocratie, la liberté, les droits de l’Homme, le développement, l’économie…), sont véhiculés sous forme d’argument d’autorité, imposés selon une conception unique et hégémonique. C’est d’une certaine manière ce que l’on peut qualifier de mots flous, creux (qui veulent à la fois tout et rien dire) ou de mots d’ordre imposés à notre entendement sans que l’on s’interroge sur ce qu’ils recouvrent réellement. Or, ces notions et concepts, en fonction de chaque contexte, nécessitent un travail de déconstruction et de reconstruction sémantique.

A l’aune de la révision de la constitution de 1992, il est important de rappeler qu’un débat de fond intégrant toutes les couches sociales doit être mené au préalable et qu’il ne faudra pas se limiter à des petites réformes ou retouches. Cette constitution de 1992 est une reproduction de celle en vigueur dans d’autres pays occidentaux dont les réalités politiques, sociales, culturelles sont différentes des nôtres. Il est nécessaire de tenir compte de l’impossibilité de calquer notre modèle étatique sur ceux des Etat-nation qui ont été formés en faveur d’un long processus d’homogénéisation (parfois forcée) socioculturelle et linguistique, ce qui, dans le contexte malien où la diversité socioculturelle et linguistique est une fierté et une richesse, n’est ni envisageable ni souhaitable. Le Mali, contrairement à ce que l’on peut penser, n’est pas un Etat-nation, mais un Etat avec des nations. Notre défi consiste à imaginer un cadre étatique intégrant et promouvant cette diversité et qui n’exclut aucun citoyen, quel que soit ses compétences linguistiques et ses appartenances sociales.

Sans tomber dans un passéisme nostalgique ou faire preuve d’un anachronisme complaisant, on doit revisiter notre passé afin d’y puiser des méthodes, des outils et des idées. En effet, à force de singer les autres, nous oublions souvent que nous sommes héritiers d’une riche culture politique, de vastes entités étatiques qui ont fait leur preuve en leur temps. Nous sommes héritiers des grands empires (Ghana, Mali, Songhay) et des grands royaumes (Ségou, Kaarta, Macina…). Et comment se fait-il que nous soyons dans l’incapacité de doter le Mali contemporain d’un modèle étatique enraciné dans ses réalités historiques, sociales, politiques ? Si les réponses à cette question sont nombreuses, pour ma part, je pense que nous sommes victimes d’une telle manipulation intellectuelle et d’intoxications idéologiques que nous ne voyons d’autres réalités que celles que l’on nous impose. C’est également une responsabilité collective, celle des intellectuels et des politiques, dans la mesure où nous avons mis en stand bye notre faculté de penser et de raisonnement, pour nous complaire dans le suivisme et la reproduction de l’ailleurs. Nous payons en quelque sorte notre paresse intellectuelle. Il ne suffit pas de se taper la poitrine en arguant que la charte de “Kurukan Fuga“ est la plus vieille constitution au Monde mais de voir aussi ce qui dans cette charte peut être actualisé et mis à profit dans la construction du Mali contemporain.

Sans nier la nécessité d’une intégration sous-régionale et africaine (un Mali en harmonie avec ses voisins et le continent africain) et l’urgence de composer avec la mondialisation (un Mali ouvert au monde entier), le cadre étatique du Mali doit avant tout prendre ses racines dans nos réalités historiques, sociales, culturelles, économiques, géographiques et linguistiques.

Laurent Coulibaly

Doctorant Sciences du langage- PREFICS (Pôle de Recherche sur les Francophonies, l’interculturel, Communication, Information, Sociolinguistique)

 

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1 commentaire

  1. Coulibaly ke, merci pour cette analyse lumière! Nous espérons que les Maliennes et Maliens, les Africaines et Africains vont te lire et apprendre de ta leçon!

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