Regain de tension au Nord du Mali : Faut-il se méfier du GATIA ?

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Des membres d'une milice d'auto-défense appelée le Front de Libération du Nord (FLN). © AFP (photo archives)
Des membres d’une milice d’auto-défense (archives)

Ces entités sont traversées, dès leur création, par des clivages inhérents aux sociétés Touarègues actuelles, depuis au moins cinq siècles. La création de ces Ettebel, à partir du XVIème siècle, s’est recentrée autour des différentes régions, historiquement occupées par les Touaregs. Entendons par « Ettebel » des souverainetés politiques traditionnelles autonomes et indépendantes politiquement, socialement et géographiquement les unes des autres. Ces entités sont subdivisées en plusieurs tribus et fractions, avec à leur base des vassaux, des artisans, des anciens esclaves, etc… Cette pyramide sociale est structurée autour de l’Amenokal, qui est alors le Souverain, “le Chef suprême”. La tribu  dont l’Amenokal est issu, occupe traditionnellement le sommet de cette pyramide.

 

D’un point de vue géographique, on pourrait parler d’un “rétrécissement” de l’espace Touareg, au fil des temps : du VIIIème au XXème siècle, avec des époques marquées chacune par des caractéristiques propres. Cette restructuration est d’abord advenue après l’époque de la prédominance des Sînhaja (VIIIè – XIè siècle) sur tout le Sahara central : de l’Atlantique au Sud Libyen actuel, ensuite, après l’empire Al-Moravide (XI-XIIème siècle), – issu des Sinhaja dont une majorité des Touaregs actuels sont les descendants -, dont l’influence s’étendait sur l’espace jadis occupé par ces ancêtres Touaregs, de la partie ouest saharienne (Nord-Mali actuel) à l’Espagne actuel. La conquête de Tombouctou en fin du XVIème siècle, par le Maroc, marquera une nouvelle étape dans cette reconfiguration de l’espace géopolitique Touareg. Enfin, la période allant de la pénétration coloniale au Sahara, à la fin du XIXème siècle jusqu’à la décolonisation vers la moitié du XXème siècle, verra “ce rétrécissement” de l’espace Touareg se recentrer davantage, passant des pôles régionaux, qui dépassaient le cadre établi par les frontières actuelles, vers une forme “de principautés locales” incorporées aux nouveaux états africains.

 

On parle de l’Ettebel des Kel Ansar, à Tombouctou (à partir de la moitié du XVIème siècle); de celui des Imouchar-Iwillimiden sur Gao-Ménaka (à partir du XVIIème siècle); et enfin, on parle de la confédération des Kel Adagh à partir du XXème siècle (au tour des années 1920-1923, plus exactement).

Ces trois entités (Kel Ansar, Imouchar-Iwillimiden et Kel Adagh) sont, historiquement, composées d’ensembles tribaux, d’origines diverses, traversés par des catégories ou classes sociales, très fortes, c’est ce qui expliquent parfois les clivages et dissensions au sein de chaque Ettebel.

Les Imghad, figures de proue du GATIA, faisant partie de ces différentes entités, avec une présence majoritaire, tout de même, chez les Kel Adagh, entendent “désormais exister par eux-mêmes”, c’est à dire en tant qu’entité à part entière, dans cette recomposition des entités citées. Tous les différents Ettebel Touaregs sont ainsi, traversés par une reconfiguration identique de Tombouctou à Kidal, passant par Gao-Ménaka. On pourrait parler “d’émancipation” du cadre de l’Ettebel, promue par les dynamiques des différentes rebellions, avec un point culminant  qui sera atteint avec la rébellion en cours depuis 2012. Dans cette dernière, certaines tribus ou fractions Touarègues se sont structurées autour d’un chef militaire issu de cette tribu (parfois épaulé par un groupe politique – issu de la même tribu – impliqué dans la direction des mouvements) dans le but de se positionner, “pour” ou “contre” le régime malien. Cette implication structurelle, au sein des rebellions, n’est rien d’autre qu’un positionnement socio-politique, dans la visée des réformes qui adviendront suite à la résolution du conflit. C’est toute la complexité qui traverse les différents groupes rebelles. Cette complexité atteint son paroxysme au sein de la Coordination des mouvements de l’Azawad, ce qui explique ses attitudes et ses propos contradictoires et le non consensus autour des décisions, comme c’est le cas en ce moment au sujet de la signature ou non de l’Accord de Ouagadougou. La CMA n’est pas traversée par des courants idéologiques et politiques, mais plutôt par des positionnements socio-éthniques ou tribaux divers.

 

C’est dans ce cadre que les Imghad du GATIA se sont placés “du côté” gouvernemental, avec un objectif précis : créer une force incontournable sur le terrain capable de s’imposer, d’exister, dans le dessein, éventuellement, (si le GATIA, toutefois) de supplanter le leadership Ifoghas, la tribu dominante qui se trouve à la tête de la pyramide des Kel Adagh à Kidal. Les Imghad se trouvent dans une position intermédiaire dans cette dernière pyramide. C’est avec ce principe de base et analytique de la cartographie des Touaregs, en général, qu’on pourrait analyser la dynamique prônée par le GATIA. Cette dynamique est avant tout un positionnement, un enjeu politique de terrain. L’argument “Républicain” véhiculé par le GATIA est un prétexte stimulé par l’Etat qui n’est peut-être pas dupe, car il se base sur ces clivages pour affaiblir l’un (Ifoghas et “Alliés Rebelles”), en promouvant, de fait, l’Autre (Imghad et “Alliés Républicains”).

 

Intagrist El Ansari*

Journaliste, écrivain

Intagrist El Ansari est un journaliste malien, correspondant en Afrique du Nord-Ouest (Sahel-Sahara) pour des journaux internationaux. Réalisateur de magazines TV, il a aussi travaillé sur des films qui s’intéressent aux cultures sahariennes. Son dernier livre paru est  « Echo saharien, l’inconsolable nostalgie »

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