J’ai eu l’immense privilège d’animer avec le Docteur Brehima Fomba, le vendredi dernier à l’hôtel Massaley, une conférence débat sur la légalité de la prolongation du mandat des députés. Si j’ai eu l’audace de prendre part à la rencontre comme conférencier c’était certainement à cause de l’intérêt national que la question soulève et avec l’espoir que mon collègue et constitutionnaliste Bréhima Fomba placerait la barre plus haut. Cet espoir ne fut vain et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai décidé de partager mes réflexions menées sur la question avec les lecteurs du journal ‘’Le Flambeau’’ et autres acteurs de la société civile. Aussi, je profite de cette tribune pour remercier le groupe APLEX pour m’avoir donné l’opportunité de me prononcer sur la question.
I- La légalité de la loi portant prorogation du mandat des députés jusqu’a la fin de la transition
L’article 7 de l’Accord-cadre est ainsi conçu : « Au regard des circonstances exceptionnelles que connaît le pays du fait de la guerre et afin de permettre l’organisation des élections dans de bonnes conditions sur l’ensemble du territoire national, de renforcer la cohésion sociale et l’unité nationale, un certain nombre de textes législatifs d’accompagnement de processus de transition seront votés par l’Assemblée Nationale : (…) c°) une loi portant prorogation du mandat des députés jusqu’à la fin de la transition ».
Plusieurs ordres de problèmes sont posés par cet article. 1er ordre de problème : A qui appartient la décision de la prorogation ? Aux membres composant l’Assemblée Nationale ? Ou au Premier ministre de transition ? 2ème ordre de problème : Quelle est la signification de l’objet de la prorogation ? Mais aussi le sens de la prorogation ? Pourtant la preuve est établie que les mesures essentielles prescrites dans l’accord-cadre ont été déjà votées ! 3ème ordre de problème : La légalité de l’intervention du Gouvernement ?
Je note dans l’Indépendant du 08 Juin 2012. Ceci : « Le conseil des Ministres s’est réuni le jeudi 07 Juin 2012 en session ordinaire (et) a adopté : 1) un projet de loi portant prorogation du mandat des Députés de la 4e législature de l’Assemblée Nationale. Le mandat des députés arrivé à expiration en Août 2012. Cependant les évènements survenus les 21 et 22 Mars 2012 ont contribué à rendre impossible l’organisation d’élections permettant de renouveler ce mandat avant expiration. Compte tenu de cette réalité, l’Accord-cadre du 06 Avril 2012 a prévu l’organisation d’une transition politique devant conduire à des élections sur l’ensemble du territoire et l’adoption de certaines mesures législatives pour accompagner le processus de transition. L’adoption du projet de loi portant prorogation du mandat des députés s’inscrit dans ce cadre et participe au retour de la normalité constitutionnelle »
C’est dans l’Essor du 29 Juin 2012 que je note qu’après les débats et à la reprise, les deux parties (Gouvernement et A.N) se sont entendus sur la formulation suivante « Le mandat des députés pour la législature 2007-2012 est prorogé jusqu’à la fin de la transition, notamment jusqu’à la mise en place de la nouvelle Assemblée Nationale élue ».
4ème ordre de problème : Cette loi portant dérogation transitoire aux dispositions de l’article 61 de la constitution de 1992 (qui fixe la durée du mandat à cinq ans) est-elle légale elle-même ? Le journaliste Youssouf DIALLO a écrit dans la Nation le 02 Juillet 2012 que « Nos honorables doivent saisir la Cour Constitutionnelle de sa validité par souci du respect du parallélisme des formes ». En ce qui me concerne, la question est de savoir si le projet étant d’origine gouvernementale, le Gouvernement avait-il le pouvoir constituant au regard de l’article 118 de la constitution de 1992 ?
5ème Ordre de problème : L’Assemblée Nationale avait-elle à elle seule le droit de voter la prorogation même sur la base de sa propre proposition ? Non. Parce que la prorogation ici est une fraude à la constitution de 1992 et elle s’apparente à une révision de celle-ci violant ainsi l’article 118 de la constitution de 1992.
II- Techniquement ce qui devrait être fait pour sauver la république et préparer la transition :
L’Assemblée Nationale est l’une des principales institutions en vigueur jusqu’au 09 Août 2012. Elle aurait dû à mon avis, voter après avis de la Cour Constitutionnelle des lois constitutionnelles, compte tenu des « circonstances exceptionnelles » qui prévoiraient :
– La transition, ses institutions ;
– Le Président de la transition ;
– Le Premier ministre et le Gouvernement d’Union Nationale Transitoire ;
– La Reconnaissance du suffrage universel ;
– La séparation des pouvoirs ;
– La Responsabilité du président de la transition, du Gouvernement et des membres du Gouvernement devant le conseil transitoire ;
– L’organisation des Rapports entre le Mali et les P.T.F (Partenaires Techniques et Financiers) ;
– La création d’un Comité constitutionnel pour rédiger une nouvelle constitution.
III- Normalité institutionnelle et émergences des mouvements de rupture et de transformations sociales
Il me plait d’aborder un autre sujet sous-jacent à la question de la légalité de la prorogation du mandat des députés. C’est celui de la normalité institutionnelle ou constitutionnelle qui revient presque à chaque tournant au Mali comme à l’échelle internationale ! Tout le monde est conscient aujourd’hui, intellectuels comme paysans et ouvriers si j’en juge par les différentes luttes engagées et dont j’ai eu personnellement la charge de la défense des intérêts. Donc nous sommes tous conscients que la vie institutionnelle nationale et même internationale ne répond pas aux intérêts de ceux ou celles qui subissent le plus gros fardeau de la société.
Par exemple à quoi correspond aujourd’hui le système représentatif ? Ceux qui en sont investis peuvent s’en écarter sans dommage ! Ceux qui veulent en faire un instrument de transformations sociales se heurtent à la normalité institutionnelle ! Aujourd’hui la normalité institutionnelle est une négation des mouvements populaires de rupture et de transformations (alternatives) de la société ! La normalité constitutionnelle est la négation du droit des luttes émergentes fondées sur des expériences propres et que le droit écrit normatif ignore !
Sur un autre plan sous-régional, régional et international si nous prenons les traités (UEMOA, CEDEAO, OHADA, etc) ils ont été pensés, après de mûres réflexions pour rendre impossible la réalisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ! A titre illustratif l’article 5 du traité révisé de la CEDEAO dispose que : « 1. Les Etats membres s’engagent à créer les conditions favorables à la réalisation des objectifs de la Communauté ; en particulier à prendre toutes mesures requises pour harmoniser leurs stratégies et politiques et à s’abstenir d’entreprendre toute action susceptible d’en compromettre la réalisation » et l’article 67 du même traité impose aux pays membres l’harmonisation et la coordination de leurs politiques respectives dans tous les autres domaines qui ne sont pas spécifiquement couverts par le présent traité !
Le traité révisé de l’UEMOA va plus loin dans son article 6 : « Les actes arrêtés par les organes de l’Union pour la réalisation des objectifs du présent Traité et conformément aux règles et procédures instituées par celui-ci, sont appliqués dans chaque Etat membre nonobstant toute législation nationale contraire, antérieure ou postérieure » et l’article 7 verrouille le système en ces termes « … les Etats membres s’abstiennent de toutes mesures susceptibles de faire obstacle à l’application du présent traité et des actes pris pour son application ».
En termes clairs, c’est la négation des mouvements sociaux et politiques comme acteurs de la vie démocratique et de toutes les innovations de luttes que ceux-ci peuvent être amenés à inventer en dehors de la normalité institutionnelle. A quoi servent les règles de droit si elles ne résolvent pas les problèmes de ceux ou celles au bénéfice desquels elles sont censées être prises ? C’est pourquoi à défaut de se conformer à cette normalité aberrante, ces mouvements sont qualifiés tantôt d’anarchistes, tantôt de faiseurs de désordres ou de chaos !
Me Amadou T. DIARRA, Avocat à la Cour,
Professeur. Histoire du droit et des Institutions
Cell : (00-223) 66 72 37 10 / 77 64 00 78
Émail : atdiarra@yahoo.fr
Tout mes homage maitre
A T Diarra est un vrai intelectuelle.
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