Malheureusement, il faut oser l’affirmer avec force que la maladie infantile et meurtrière de la gauche sénégalaise, c’est bien sa division ou son émiettement. Véritablement, ceci a fortement affecté l’existence la gauche sénégalaise voire africaine, au point de la scléroser ou la miner. Cette division empêche cette gauche depuis des décennies, d’asseoir les fortes et généreuses idées progressistes qu’elle prône et propage à travers le pays dans le but de pénétrer les masses. Elle l’empêche également d’occuper la vraie place qui est sienne sur l’échiquier politique national, en tant force politique d’un nouvel ordre politique et social. Une place qui devait lui revenir, si elle disposait d’une organisation forte de type nouveau, crédible et représentative au sein du peuple sénégalais et se mettait au service des préoccupations des masses populaires.
Son émiettement est véritablement son plus redoutable adversaire, plus même, que les différents régimes qui se sont succédé au pouvoir. Certes, sans en être réellement conscient, c’est bien cependant, ce phénomène qui constitue son autodestruction ou non progression dynamique, unitaire et consensuelle, autour de l’essentiel, à savoir la raison d’être d’une force politique armée des idées de progrès économique, social et culturel.
Il est certes vrai, que notre pays regorge des militants de gauche dispersés, et comprenant de fortes personnalités individuelles, même si actuellement leur nombre tend vers la baisse. Ces militants de gauche, toujours fidèles et attachés aux idées progressistes, ne sont pas organisés dans des structures organiques. Ils sont cependant convaincus, que nos pays ne pourront sortir de leur pauvreté endémique, que par l’application d’une politique de gauche, socialement juste, progressiste, et qui prend en compte prioritairement, les préoccupations majeures des masses populaires et laborieuses, créatrices de richesses. Et, une telle politique nationale doit mettre impérativement en priorité, les intérêts supérieurs de la nation avant ceux particuliers et de l’Etranger, etc.
La naissance du Parti Africain de l’Indépendance (P A I) avait donné à notre pays une génération d’hommes et femmes dignes, des militants convaincus pour la cause de l’indépendance nationale et du progrès social. Une cause qu’ils ont défendue vaillamment bec et ongles. Ces derniers ont supporté sans désemparer ni rechigner le poids de la répression féroce du colonialisme et du néocolonialisme, et fait face aussi aux affres de la prison arbitraire. Le tout, avec courage, abnégation et dignité, grâce à leur forte conviction, aux idées progressistes et au marxisme-léninisme pur dont ils étaient armés. Ils avaient lutté de manière résolue à l’époque, pour l’indépendance immédiate, combattu ensuite le régime néocolonial du couple Senghor-Dia, avant que le dernier nommé ne soit liquidé par le premier. A cette époque, ces vaillants militants convaincus, engagés et disciplinés étaient vaccinés contre la corruption, l’influence de l’argent et les délices du Pouvoir. Ce qui, malheureusement, n’est plus le cas de nos jours, au regard des nombreux cas de défections d’hommes et de femmes qui se réclamaient ou se proclamaient pourtant des militants de gauche, des révolutionnaires, des marxistes-léninistes ou que-sais-je ?
Mais beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Nous assistons maintenant à la disparition un par un, de cette race d’hommes et de femmes de cette génération qui faisait notre fierté et faisait la politique autrement, c’est-à-dire par conviction, patriotisme et comme un sacerdoce. Ils étaient prêts à faire l’ultime sacrifice pour défendre leur cause, sans contrepartie aucune, sinon le triomphe de leurs idées. L’exemple, de cette génération d’hommes et de femmes de gauche, doit être médité et pris en compte par la gauche sénégalaise actuelle dans son ensemble, si elle veut faire renaître l’espoir au sein des masses laborieuses et jeunes générations.
La maladie de la division qui s’est emparée de la gauche traditionnelle ou ancienne, comme celle contemporaine, provient essentiellement du virus de l’argent et des ambitions politiques personnelles de certains « dirigeants » de cette gauche, pour le pouvoir et ses délices.
Senghor s’était attelé durant tout son règne, à faire disparaître toute idée de marxisme-léninisme et de gauche en général, ou à défaut, les déstabiliser alors. Mais le vent des idées de progrès était plus tenace que la volonté diabolique de Senghor, car il a fini par renoncer à cette folle et saugrenue idée de s’opposer aux idées progressistes. Mais, il entreprit de combattre la gauche autrement, en procédant par la dissolution du Parti Africain de l’Indépendance (P A I). Mais, malgré la dissolution du P A I, plus ses propres contradictions internes que connait tout parti politique, le PAI avait tout de même tenu tête à Senghor pendant longtemps, dans les dures conditions liées à la vie de la clandestinité. Ces conditions ont eu naturellement des répercussions graves au sein du PAI et de la direction nationale. Elles ont impacté négativement dans la marche du parti. Mais Senghor n’avait pas pu au début atteindre et paralyser le P A I, au point de l’empêcher de fonctionner tout de même. Ce n’est qu’après plusieurs échecs, qu’il est parvenu à pécher Majhmout Diop dans ses filets, à cause d’une offre alléchante au parfum de corruption. Bref, la suite était sans appel. C’était le début du libéralisme politique et du renoncement de la manière forte et la de répression contre l’opposition, car cela n’avait pas prospéré avec les braves et courageux militants du PAI.
C’est ainsi que, Diouf arrivé au Pouvoir par l’article 35, avait suivi aussi les traces de son maître à penser, en prônant plutôt le dialogue avec l’opposition, que d’user de la manière forte. Il réussit à ton tour, à pêcher quelques dirigeants de partis de gauche, dans le cadre du Gouvernement de Majorité Présidentielle Elargie (GMPE). C’était le coup de massue sur la gauche sénégalaise, qui marquait le début de son déclin ou sa chute dans l’estime de certaines populations, qui portaient encore leur espoir sur elle. C’est ainsi que Diouf convia les chefs de parti eux-mêmes à être membres de son Gouvernement et personne d’autre des partis. Par cette obligation, il leur coupait l’herbe sous le pied. Ainsi ces dirigeants avaient délaissé progressivement les tâches essentielles de la direction de leurs partis respectifs, au profit de celles du gouvernement et de leur appui effectif, inconsciemment, à la politique de Diouf, pour sa réussite totale. Il en était de même pour certains syndicalistes de gauche ou proches de celle-ci. Et par l’entremise de la participation responsable, certains syndicalistes, dirigeants de centrales syndicales et militants dans les partis de gauche, faisaient aussi leur entrée dans le gouvernement, abandonnant ainsi, la lutte conséquente et la défense de la cause des intérêts matériels et moraux des travailleurs. Là également, les syndicats se multipliaient, par le fait de syndicalistes frustrés, d’être dépourvus d’une direction syndicale. Ils provoquaient alors une scission ou excroissance, pour disposer d’une opportunité d’aller au gouvernement ou de se faire caser dans un poste de sinécure.
Cette situation a provoqué une rupture nette et profonde dans la formation politique et idéologique des militants et cadres, dans les partis de gauche. C’est un véritable frein en soi, pour la préparation d’une bonne relève des cadres politiques compétents. La formation de cadres syndicaux subissait le même coup dur dans les syndicats progressistes. Tout cela est l’aboutissement des effets néfastes et pervers de l’emprise de l’argent et l’ambition immodérée pour le pouvoir de certains dirigeants de la gauche sénégalaise actuelle.
A partir de cet instant, les partis de gauche perdaient progressivement leur propre identité remarquable, de formateurs de cadres politiques aguerris et prêts à l’emploi. Contrairement au passé de la gauche traditionnelle, les partis de gauche recrutent dorénavant, sur la même base que la droite et les libéraux et dans le même vivier. Les partis de gauche cherchent à massifier ou remplir leurs partis d’adhérents tout court, en lieu et place de militants convaincus d’une idéologie, d’une doctrine et d’une juste cause. Par conséquent, sans pour autant le proclamer, le changement d’objectif ou de nature en partis électoralistes et le sabordage des principes et exigences d’un véritable parti de gauche sont évidents à 100%. Dans le même ordre et comme confirmation, certains partis ont poussé le ridicule voire l’opportunisme, jusqu’à devoir lors d’élections, de placer à la tête de leurs listes électorales, des candidats totalement étrangers au parti, des hommes d’affaires, des supposés porteurs de voix, etc. , au détriment de militants fidèles, dévoués pour la cause de leur parti depuis des lustres, compétents, politiquement armés de l’idéologie et la doctrine de leur parti, et prêts à défendre corps et âmes les intérêts de leur parti, quoi qu’il advienne. Il est inadmissible d’échanger de tels militants contre des chasseurs de pouvoir, en bandoulière.
Ces phénomènes cités plus haut ont impacté négativement sur les partis de gauche, les ont dégarnis, essaimés ou fait déserter de certains militants de qualité et aguerris dans l’activité politique. Ces derniers, ne quittaient pas leur parti de gaieté de cœur et non plus, pour rejoindre l’adversaire. Mais, c’est plutôt la mort dans l’âme, et pour demeurer fidèles à leur option idéologique, qu’ils se plaçaient hors des partis de gauche, qui ne répondaient plus à leurs yeux, à la vision originelle du parti qu’ils ont connus. En effet, ils ne se reconnaissent plus tout simplement, dans le fonctionnement ou la conduite de leur ex-parti qui, de surcroit, se réclame du marxiste-léniniste ou de gauche tout court.
L’alternance survenue en 2000, Me Wade a davantage appuyé sur l’accélérateur, en incorporant presque l’ensemble des dirigeants des partis dits de gauche. Et, même ceux qui avaient boudé Diouf en son temps, sont entrés dans le cadre du FAL dans les rangs de Wade, en intégrant son gouvernement. Il est connu de tous, que pour Me Wade, l’argent est un « Dieu » qui a un pouvoir magique, surnaturel et infaillible. Pour lui, l’argent est capable d’ouvrir toutes les portes, voire par indécence. Sachant également la faiblesse et l’amour effréné que certains Sénégalais vouent à l’argent, Wade en a fait son cheval de bataille et un appât fort efficace. Il en fait goûter un peu à quelques uns, et ensuite, il en met plein la vue à d’autres pour en attirer et capter davantage, avec en plus, une parcelle de pouvoir. C’était vraiment suffisant pour faire exploser certains partis de gauche en plusieurs groupuscules de partis insignifiants, mais portant tout de même, toujours l’étiquette de gauche. Ces deux vices, que sont l’argent et le pouvoir, ont fait tourner la tête à certains dirigeants de la gauche, qui trainaient le diable par la queue. Car, pour certains d’entre eux, c’est sûr que, c’était pour la première fois qu’ils tenaient entre leurs mains un million de francs, à plus forte raison plusieurs en même temps. Me Wade entretenait ses partis alliés par l’attribution d’une allocation mensuelle substantielle. Ce qui a d’ailleurs fait dire à l’un d’entre eux : « qu’on peut bien vivre parmi des voleurs, sans en être un.
En vérité, Abdoulaye Wade a sciemment et objectivement contribué à accentuer la descente en enfer, de quelques partis de gauche, en procédant à leur dislocation par son jeu favori de diviser pour mieux régner. Au point que certains partis se sont vidé d’une bonne partie de leurs militants, et parmi les meilleurs. Il a réussi aussi, à les phagocyter et les multiplier en minuscule partis –de gauche- insignifiants sur l’échiquier politique national, à cause d’offre d’argent et de pouvoir. Chemin faisant, ces partis s’affaiblissaient ainsi, pour ne devenir que l’ombre d’eux-mêmes et sans aucune envergure aux yeux des populations sénégalaises. Celles-ci d’ailleurs, ont fini par ne plus leur accorder ni égard ni importance, à cause de leur subdivision infernale dont ils sont l’objet. En vérité, les partis de gauche sont en train de perdre leur âme et ne s’identifient plus, que par le nom de leurs principaux dirigeants, plus connus que le cigle du parti lui-même. Par conséquent, exactement, à l’image des partis libéraux et de droite. Ainsi, l’idéologie et la doctrine de parti, cèdent parfois la place au culte de la personnalité.
La 2° alternance ne fait que renforcer cette tendance de caporalisation de la gauche sénégalaise par les libéraux. En ce sens que, tous les partis de gauche, par défaut de candidat en leur sein, avaient soutenu l’une des coalitions au 1er tour et au 2° tour, ils étaient tous pour Macky. C’est un aveu d’échec ou d’impuissance qui devait pousser toute la gauche sénégalaise à une prise de conscience plus nette et affirmée de son état. Si après tant d’années d’existence, cette gauche n’est pas encore capable de se trouver un candidat à la présidentielle crédible en son sein, c’est qu’il y a un sérieux problème dans cette gauche. Mais pourquoi cela? Parce que les dirigeants ne sont pas prêts à renoncer à leurs ambitions politiques personnelles, pour le triomphe de l’idéal de gauche, qui prône par essence, la mise en avant de l’intérêt général bien compris du peuple, avant tout. Parce qu’ils n’arrivent pas à s’unir dans un cadre unitaire large et consensuel, faute de confiance réciproque, pour aller ensemble vers la conquête du pouvoir par la gauche, prise globalement. Si l’unité de la gauche est tant proclamée dans le discours des chapelles, la réalité sur le terrain reste à prouver pour le moment. Il est certain que, le jour où les dirigeants de ces partis renonceront à leurs égoïsmes et ambitions politiques personnelles, ils trouveront un consensus fort et les voies et moyens de créer un large cadre adéquat et approprié pour porter l’idéal et les ambitions légitimes de la gauche sénégalaise, et défendre les intérêts et préoccupations majeurs des populations. Le prix pour que la gauche puisse peser d’un poids significatif, exige de tous, des sacrifices, l’oubli de soi, pour que la gauche sénégalaise trouve enfin son chemin et puisse bénéficier de l’appui et la confiance des Sénégalais, qui portent leur espoir sur elle. Ceux-là qui pensent que la solution de nos difficultés actuelles, ne trouvera réponse que dans un régime politique et social fortement marqué par les idées progressistes et révolutionnaires de gauche. Aujourd’hui, toutes les obédiences politiques, même les libéraux qui ont pillé le pays pendant 12 longues et pénibles années, appellent à des retrouvailles, et osent même prétendre revenir au Pouvoir. Mais pourquoi alors, la gauche serait-elle en reste ?
La balle est maintenant dans le camp de ceux-là qui sont censés représentés la gauche, soit en tant qu’organisation politique ou en tant qu’individualité se réclamant de cette obédience, toutes générations confondues. C’est une responsabilité collective qui incombe à toute la gauche dans son ensemble intrinsèque. Il est temps maintenant pour la gauche sénégalaise, d’oser avec courage et objectivité, regarder la réalité en face et faire le sacrifice nécessaire qu’exige la solution de son épineux problème, en commençant par taire ses querelles intestines. La gauche sénégalaise doit surtout, se rappeler et retenir ce que disait Frantz Fanon : « Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, l’accomplir ou la trahir » et également : « Nous ne sommes rien sur terre si nous ne sommes d’abord esclaves d’une cause : celle des peuples, celle de la justice et celle de la liberté. » A bon entendeur salut !
Mandiaye Gaye
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