Le projet de la nouvelle constitution de la République du Mali a été officiellement soumis au Président de la Transition, Chef de l’Etat, le Colonel Assimi GOÏTA qui, au cours du conseil des Ministres du 15 mars 2023, l’a validé et l’a présenté le 20 mars 2023 aux autorités traditionnelles et religieuses puis aux forces vives de la nation auxquelles il a demandé de s’en approprier et de le vulgariser auprès des populations maliennes, pour une large diffusion et compréhension des grandes innovations.
Par cet acte de validation, le chef d’Etat a remercié les deux commissions, qu’il a mandatées pour la rédaction et la finalisation du travail scientifique à elles confiées de la rédaction d’un nouveau projet de la constitution du Mali.
Après cette première étape qui ne signifie pas l’entrée en vigueur du projet, il reste pour le cheminement du projet deux autres étapes.
Celle du vote pour un « Oui » majoritaire et celle de la promulgation par le président pour une entrée en vigueur définitive de la nouvelle loi fondamentale.
Désormais, rien ne semble arrêter la consultation référendaire des Maliens et Maliennes, qui seront appelés aux urnes dans les prochains jours voire dans les mois à venir au cours desquels ils seront conviés à un scrutin référendaire.
Aussi, pour les avis à émettre ou à donner sur le texte proposé, la saisine de l’Assemblée Nationale ne parait plus nécessaire puisqu’en ces lieux et places, les commissions de rédaction et de finalisation, qu’on peut qualifier de constituante, se sont donnés plus de prérogatives et de souveraineté que l’Assemblée pour quelques avis ou observations que ce soient sur le projet de la nouvelle constitution.
Je suis d’avis que la constitution du 27 février 1992, à l’épreuve de la démocratie et de la modernisation de l’administration présente des insuffisances politiques et juridiques majeures auxquelles il faut nécessairement apporter des solutions pour un meilleur fonctionnement des pouvoirs publics et une garantie pour la stabilité et la continuité de l’Etat.
Et d’un avis général, nous en convenons tous que la constitution du 27 février 1992 doit être améliorée.
Mais la seule question qui divise les opinions face à la nécessité d’améliorer la constitution est de savoir par quel procédé nous devrons nous mettre d’accord pour y arriver et aussi dans quel contexte ?
Sur cette question, ma réponse et je suis resté la dessus avec constance est de procéder à une révision de la constitution qui suscite moins de polémiques et qui permet à la constitution du Mali de se doter de nouvelles institutions à l’instar de tous les Etats de la sous-région de l’UEMOA.
Mais devant cette division de la classe politique et des Maliens sur cette question de forme de la révision ou de la rédaction d’une nouvelle constitution, le cénacle de la commission semble avoir décidé et opté pour la rédaction d’une nouvelle constitution dont le projet a appelé à mes observations.
Celles-ci ne porteront plus sur la forme par laquelle la validation du projet par le chef d’Etat et sa présentation aux autorités coutumières, religieuses et aux forces vives de la nation semble clore et mettre fin au débat sur la forme et le procédé d’amélioration de la constitution du 27 février 1992.
Maintenant, on semble se diriger tout droit vers une convocation du collège électoral et une consultation référendaire si toutes les conditions sont réunies. Parmi ces conditions, j’entends citer premièrement le consensus des Maliens et Maliennes autour du projet, pour le porter massivement dans l’unité et l’inclusivité avec les autorités de la transition.
Secundo réunir toutes les conditions sécuritaires pour que le scrutin puisse se tenir sur l’ensemble du territoire national avec un recouvrement total et intégral du territoire national ne laissant aucun doute à l’exception de défense de l’intégrité territoriale pour la non tenue du scrutin dans certains endroits du territoire national.
Donc pour moi et à défaut de l’avis de la cour constitutionnelle sur le projet de la nouvelle constitution, mon devoir de citoyen et d’observateur politique m’oblige à livrer mes observations de fond sur le contenu du projet de texte que j’ai lu et que je soumets à son Excellence le Président Assimi GOÏTA, Chef de l’Etat pour qu’avant la fin du processus de la vulgarisation de la nouvelle constitution que certaines observations qui sont d’ordres juridiques ou politiques puissent être prises en compte et intégrer le projet de texte.
1ère OBSERVATION
D’abord du Droit Civique des Militaires qui ne sont pas garantis par la Nouvelle Constitution
L’article 38 nouveau du projet de la nouvelle constitution du chapitre II de la souveraineté est libellé en ces termes : « Le suffrage est universel, égal et secret. Il peut être direct ou indirect.
Sont électeurs dans les conditions déterminées par la loi, les citoyens maliens des deux sexes en âge de voter et jouissant de leurs droits civils et politiques. »
Cette formulation de l’alinéa 2 prive forcement les militaires de leurs qualités d’électeurs par la définition des citoyens des deux sexes en âge de voter et jouissant de leurs droits civils et politiques.
L’expression droits civils n’est pas appropriée.
Par définition, les droits civils visent l’ensemble des règles régissant les rapports entre des particuliers et les relations juridiques entre l’administration et les particuliers.
Les droits civils sont opposés aux droits militaires tout comme le civil et le militaire sont différents.
C’est pourquoi, le législateur en raison de cette spécificité du corps militaire qui est différent des civils a élaboré des textes militaires et des tribunaux militaires qui régissent la vie des militaires et qui sanctionnent les actes commis par les militaires en cas de faute. La loi martiale est toujours différente des lois civiles et des codes de procédure civiles.
Les capacités juridiques civiles ou les incapacités juridiques civiles qui sont relatives à l’âge, à la majorité, à l’altération dela faculté mentale ou psychique ne peuvent pas remplacer les droits civiques qui sont des droits liés à la citoyenneté sans distinction du civil ou du militaire.
Aussi, la seconde expression de cet article 38 des « Droits politiques » ne sont pas suffisants pour garantir aux militaires ses droits d’électeurs.
Dans notre tradition démocratique acquise depuis la constitution du 27 février 1992 les droits d’électeurs des militaires sont garantis par les droits civiques et non des droits civils.
L’article 27 de la constitution du 27 février 1992 dispose que : « Le suffrage est universel, égal et secret. Sont électeurs dans les conditions déterminées par la loi, tous les citoyens en âge de voter, jouissant de leurs droits civiques et politiques ».
Et la nouvelle loi électorale N°2022-019 du 24 juin 2022 nouvellement votée qui détermine les conditions d’être électeurs conformément à la constitution dispose en son article 40 en ces termes : « Sont électeurs, les citoyens maliens des deux sexes âgés de dix-huit (18) ans au moins, jouissant de leurs droits civiques et politiques ne tombant pas sous le coup des interdictions prévues par la loi ou prononcées par le juge et inscrits sur la liste électorale. »
Cette même loi dans ces dispositions a prévu des droits politiques pour les militaires d’être candidats à l’élection du Président de la République dans les conditions qu’elle a définies à l’article 155 al1 et 2.
C’est par l’affirmation des droits civiques dans la constitution que les militaires ont toujours constitué un corps électoral à part différent des civils et dont la participation aux élections générales (Présidentielle et législative) et référendaires était garantie par des droits civiques et non civils et ces droits s’exerçaient à travers des listes électorales propres à eux, des cartes d’électeurs propres à eux, des bureaux de votes et des votes par anticipation propres à eux, des décomptes des voix et des publications des résultats propres à eux.
L’article 40 de la nouvelle loi électorale soulèvera une question d’exception d’inconstitutionnalité si l’article 38 al2 du projet de la nouvelle constitution reste maintenue.
Parce qu’il y aura une interprétation à faire entre les deux dispositions.
Cet article qui détermine les conditions de la loi prévues par l’article 38 al2 du projet de la nouvelle constitution a retenu les droits civiques et non droits civils
C’est pourquoi, avant de soumettre le nouveau texte à la consultation référendaire, l’article 38 doit être modifié pour maintenir « Droits civiques et politiques au lieu de droits civils et politiques.», il s’agit des termes et des notions qui doivent figurer dans une loi fondamentale qui est une norme au-dessus des personnes, des Etats, des textes de lois particulières et des règlements etc.
Les droits civils ne peuvent pas substituer les droits civiques dans une constitution.
Ces mêmes observations valent pour l’article 46 du titre III du pouvoir exécutif chapitre I du Président de la République qui est libellé en son alinéa 2 en ces termes s’agissant de la candidature : « Il doit jouir de tous ses droits civils et politiques, être de bonne moralité et de grande probité »
Dans la constitution du 27 février 1992 relative au Président de la République et à sa candidature, l’article 31 dispose : « Tout candidat aux fonctions de Président de la République doit être de nationalité malienne d’origine et jouir de tous ses droits civiques et politiques. »
Pour être candidat aux fonctions de Président de la République, les droits civils sont réducteurs et restrictifs, il faut plutôt jouir des droits civiques qui sont plus étendus et plus larges à la citoyenneté et aux droits citoyens.
2ème Observation porte sur les Rapports entre le Gouvernement et l’Assemblée Nationale
Dans ce chapitre, je note de passage certains progrès dans les pouvoirs du Président de la République et notamment l’article 44 qui dispose : « Le Président de la République détermine la politique de la Nation »
Cette avancée dans l’écriture est nettement meilleure à l’article 53 de la constitution du 27 février 1992 dans laquelle, il est dit en ces termes : « Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation et dispose de l’administration et de la force armée »
C’est au Président qu’il appartient de déterminer la politique de la nation parce que sur un plan légitime, c’est le Président qui a été élu à la suite des suffrages majoritairement exprimés par les électeurs qui sont des citoyens maliens et sur la base d’un projet de société et d‘un programme Présidentiel soumis à eux pour lesquels ils ont voté et accorder leur confiance au président élu par une adhésion massive.
Cependant pour l’exercice de la souveraineté nationale, le Président n’est pas le seul à détenir tous les pouvoirs.
« La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants élus au suffrage universel direct ou indirect ou par voie de référendum.
Aucune fraction du peuple, ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. » Article 37.
A ce titre, les députés à l’Assemblée Nationale représentants du peuple et élus au suffrage universel direct à la majorité absolue ou des deux tours exercent collectivement à l’Assemblée Nationale une mission au nom du peuple auquel ils ont une redevabilité de restitution et de rendre compte.
Tout comme l’élection du Président de la République, les députés sont élus au suffrage universel direct à la majorité des deux tours et sont des représentants du peuple dès qu’ils sont élus.
Dans la nouvelle constitution, le Premier Ministre est responsable devant le Président de la République et conduit la politique de la nation déterminée par le Président de la République. (art.76 et 78).
Devant le parlement, le Premier Ministre présente le plan d’action du gouvernement. La présentation à lieu devant chacune des deux chambres trente jours au plus après le discours sur l’état de la nation du Président de la République.
Elle est suivie, le cas échéant des débats assortis de recommandation sans vote (Art.80).
Cette nouvelle proposition qui renforce les pouvoirs du Président de la République met en cause l’exercice démocratique que les députés du parlement exercent sur l’action gouvernementale en tant que des élus du peuple.
Le premier Ministre n’est plus engagé sur sa responsabilité devant le parlement sur son programme ou sur sa déclaration de politique générale qui sont remplacés par un plan d’action sans vote.
La traditionnelle présentation de la déclaration de politique générale devant le parlement par le premier Ministre qui est un exercice démocratique entre le parlement et l’exécutif et qui consacre et incarne la séparation et l’équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif à travers le contrôle de l’action gouvernementale n’a plus de sens parce que le plan d’action proposé par la nouvelle constitution n’est pas soumis à un vote ou de confiance ou de défiance.
La motion de censure qui est une redoutable arme que le parlement détient et brandit contre le Premier Ministre et son gouvernement a été supprimée et retirée des pouvoirs du parlement.
Elle constituait et mettait en avant le charme de la démocratie par la beauté de l’exercice de ce pouvoir.
Cependant, le principe du contrôle de l’action du gouvernement par le parlement est affirmé par l’article 127 de la nouvelle constitution à travers des questions écrites, orales ou d’actualités mais qui ne sont suivies d’aucun vote.
Alors quel est le sens du contrôle de l’action du gouvernement par le parlement si le parlement n’a aucun pouvoir de censurer le gouvernement et son premier Ministre en cas de mauvaise conduite de la politique de la nation déterminée par le Président de la République ou du rejet duplan d’action présenté et débattu devant les députés.
Les députés sont des élus nationaux. C’est la raison pour laquelle il leur est interdit tout mandat impératif qui est nul (Art. 105). Les députés siègent au parlement au nom de la nation et pas pour aller réaliser des promesses électoralistes faites aux électeurs des circonscriptions qui les ont élues et auxquels ils se considèrent redevables durant leur mandat.
La nouvelle constitution à travers ces nouvelles formulations et propositions dans ces nouveaux articles sur les rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif a rompu aux équilibres qui garantissaient la séparation des pouvoirs tels que Montesquieu l’a prônée : « Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».
Le cénacle de la commission dans sa messe a muri uniquement à un renforcement des pouvoirs du Président qui dévient une institution forte cumulant les pouvoirs de :
- Dissolution du Parlement ;
- Nomination du premier Ministre ;
- Mettre fin aux fonctions du PM ;
- Déterminer la politique de la nation ;
- Premier Ministre responsable devant le Président ;
- Parlement ne peut plus démettre le Premier Ministre du Président ;
- Pas de déclaration de politique générale ou de programme du PM ;
- Plan d’action présenté par le PM au parlement n’est pas soumis au vote ni de confiance ni de défiance ;
- Suppression de la motion de censure et retrait des pouvoirs du parlement de sanctionner le PM par un vote de défiance.
Par ces mesures fortes de bétonnage des pouvoirs du Président, le cénacle de la commission a voulu plaire au Président qui les a nommés et pour lequel elle a conçu un tel texte qui ne reconnait pas aux autres institutions leurs pouvoirs et qui les méprises.
Il ne s’agit pas dans le cadre de la rédaction d’une loi fondamentale qui est censée garantir un bon fonctionnement entre les pouvoirs publics et une stabilité des institutions pour la continuité de l’Etat de casser les rapports entre les différentes institutions, de rompre les équilibres, d’affaiblir les unes au profit des autres.
Il s’agit plutôt de penser et de réfléchir sur un texte qui maintient la bonne séparation des pouvoirs, qui respecte les équilibres et qui consacre la bonne marche et le renforcement de la démocratie.
3ème Observation porte sur des omissions.
Article 100 nouveau : une loi organique fixe pour chacune des deux chambres les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités. Il a été omis « Le nombre des députés et des sénateurs pour chacune des deux chambres » qui est du ressort de la loi organique.
Article 180 : la République du mali peut conclure avec tout Etat Africain des accords d’association ou d’intégration comprenant abandon partiel ou total de souveraineté en vue de réaliser l’unité Africaine.
« Il a été omis sa souveraineté »
Si ces omissions ont été prises en compte on peut les ignorer.
En conclusions au-delà de ces observations politico-juridiques sur le projet de la nouvelle constitution, j’encourage le Président de la Transition à persévérer sur la voie qu’il a empruntée pour la recherche de l’inclusivité et d’un consensus très large pour faire voter et passer la constitution auprès des populations maliennes.
J’apprécie les arguments très forts qu’il a développés et qu’il a tenu lors de la rencontre avec les forces vives de la nation et les autorités religieuses et traditionnelles pour justifier de la rédaction de la nouvelle constitution rendue obligatoire et nécessaire aux constats de la série des instabilités que l’Etat du mali a connu depuis l’avènement de la démocratie en 1991 par trois présidents élus démocratiquement dont deux ont été renversés par un coup d’Etat, le Président ATT et le président IBK. Seul un seul, le Président Alpha Oumar KONARE a pu finir son mandat.
Aussi, par la force des arguments qu’il a tenu, le rappel historique des tentatives échouées de révision de la constitution par les présidents Alpha, ATT et IBK lui donne raison que la constitution du 27 février 1992 à besoin de retouche.
Ces arguments doivent être consolidés auprès des populations pour gagner leur adhésion massive au projet de la nouvelle constitution dont la vulgarisation a commencé auprès d’elles.
Pour un referendum d’une nouvelle constitution, les autorités de la transition doivent gagner la bataille d’une grande légitimité pour la loi fondamentale à travers une large mobilisation de la classe politique, de toutes les forces vives de la nation par un vote massif pour un taux de suffrage d’un plafond minimum de 75% des voix à se fixer comme objectif c’est-à-dire 50 absolue plus 25 à défaut d’un plébiscite.
C’est pourquoi le président et les autorités de la transition doivent travailler beaucoup plus à convaincre les maliens et maliennes que la nouvelle loi fondamentale n’est pas une affaire de Assimi, ni taillée à sa mesure.
Qu’elle vise à sortir notre pays des instabilités récurrentes des pouvoirs d’Etat que le Mali traverse depuis 30 ans de démocratie.
Mais la paternité du texte qui revient au président de la transition est déjà un franc succès pour lui, pour la refondation du Mali à travers des réformes politiques et institutionnelles souhaitées et acceptées pour tous.
Je voudrais pour terminer avec ces analyses, féliciter et saluer l’excellent travail scientifique qu’ont réalisé le Président et coordinateur des deux commissions de rédaction et de finalisation le professeur Fousseyni SAMAKE et toutes les équipes qui l’ont accompagnées pour l’accomplissement de cette haute mission pour la nation par devoir patriotique.
Par Me Baber Gano, Avocat et responsable politique
Il faut avoir le courage de la vérité, et reconnaître que la récurrence des putschs au Mali depuis la promulgation de la constitution de 1992 n’est nullement liée ou due à une quelconque défaillance de cette constitution, mais plutôt à une triviale culture de l’impunité au sein de l’establishment militaire. Ce qui d’ailleurs, est un héritage de la dictature militaire qui précéda justement l’avènement de ladite constitution aujourd’hui vilipendée.
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Pensées rebelles.
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