Monsieur le directeur,
Le retour au bercail, après une longue pérégrination de presque trois ans, et la crispation obsessionnelle de l’actualité politique m’offrent l’opportunité de reprendre ma toge de patriote et de démocrate engagé. Vous me direz, comme par le passé, que c’est IBK KANU (la passion pour IBK) qui m’oblige à réagir. A cela, vous savez déjà ma réponse… Mais permettez-moi de partager avec vos lecteurs mes réverbérations sur l’actualité politique brûlante de notre pays.
Le 3 août dernier, l’Assemblée nationale du Mali a voté, par 141 voix pour, 1 abstention et 3 contre, le projet gouvernemental de révision constitutionnelle. Un texte d’importance majeure devant régir le devenir démocratique et institutionnel de notre cher pays. Si le peuple souverain du Mali l’approuve au terme d’un processus référendaire qui devrait avoir lieu fin 2011- début 2012…
Les élus de la Nation ont-ils trahi le Peuple qui les a mandés en ses lieu et nom et pour ses intérêts? Le Président du Rassemblement Pour le Mali (RPM), El Hadj Ibrahim Boubacar Keïta, a-t-il eu tort de voter en faveur du Projet soumis par le Président ATT?
Dans le fond, malgré les nuances, il y a une quasi-unanimité au sein de la classe politique, de la société civile et des principaux aspirants à la succession d’ATT, qu’au regard des insuffisances constatées au cours des 19 dernières années, il y a besoin, mieux une nécessité, de relire le cadre démocratique et institutionnel de notre pays. Un besoin et une nécessité qui s’étaient imposés et traduits par le dépôt d’un Projet de révision constitutionnelle en 2001 sur le bureau de l’Assemblée nationale. A l’époque, quel ne fut le tollé général: Alpha veut bloquer l’Alternance, Alpha veut modifier la Constitution pour se maintenir, Alpha n’a pas l’intention de quitter Koulouba… parce qu’il s’y «sentait à l’air»! L’Assemblée nationale de l’époque, dominée par l’Adéma, avait adopté le Projet, mais le président Alpha, homme de dialogue et de consensus, avait jugé utile et sage de renoncer à poursuivre le processus pour se consacrer à l’organisation des élections générales et transmettre le dossier à son successeur.
Pourquoi donc le successeur du président Konaré a-t-il laissé le projet dans les tiroirs pendant 9 ans et tout mis en œuvre pour le faire passer à un an de la fin de son mandat? Le Général ATT ne dira pas comme son ex-frère et ami Gbagbo qu’il n’a pu le conduire en priorité parce qu’il avait la guerre au Nord et la vie chère au Sud… Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas un admirateur contemplatif du Général de la colline, mais l’honnêteté morale et la rigueur intellectuelle voudraient qu’on lui accorde cette intelligence et cette sagesse de tirer les leçons du passé en allant plus loin que son prédécesseur. Laissons à la flirt analytique d’assumer qu’un Général, apolitique, a réussi en politique ce qu’un politique n’a pas réussi, que ATT a triomphé là où Alpha a échoué. De cette veine populiste de personnalisation du débat politique, je ne suis pas et je n’y serais jamais.
Alpha et ATT: deux hommes d’État dont les destins concomitants ont croisé celui de leur peuple, qui ont eu le devoir républicain d’être, au terme de leur mandat, porteurs de projet de réformes politiques pour le Mali. Là s’arrête la comparaison. Mais on me rétorquera: il n’y a rien au-delà… Et pourtant, et pourtant! Entre le président Konaré de 2001 et le président ATT de 2011, quelle sacré différence! Le premier, malgré sa majorité écrasante à l’Assemblée nationale, n’a jamais pu obtenir ce second a toujours bénéficier en dépit de maigreur de sa base parlementaire.
Alpha a toujours prêché dans le consensus, le dialogue et le partage mais c’est ATT qui a obtenu la ralliement presque gratuit de l’ensemble de la classe politique. Le régime du président Konaré a cherché vainement le compromis et le consensus durant 10 ans, il n’a récolté que l’agitation souvent politicienne; alors ATT n’a demandé à personne de le soutenir, tout le monde l’a accompagné… ATT est-il meilleur rassembleur, plus stratège politique ou plus aimé des Maliens qu’Alpha? Rien n’est moins sûr.
A la différence d’Alpha, ATT n’est pas un homme politique classique, un partisan issu du sérail politique, adossé à un parti. Aussi, il n’a jamais eu comme Alpha une opposition forte, déterminée, résolue, radicale, une expression qui semble avoir disparu du vocabulaire politique malien. Donc, il est plus facile pour ATT, un apolitique derrière lequel toute la classe politique s’est alignée, de tordre la main et de faire avaler un projet de révision constitutionnelle à celle-ci qu’un politique pur et dur comme Alpha qui n’a jamais renié ses convictions et ses engagements de militant. De cela, le Général ATT, malgré son impopularité, a eu 9 ans à méditer et à intégrer dans son modus operandi. Et le stratège militaire sait que les plus belles victoires sont celles qu’on remporte sans combattre… ou devrais-je dire comme Sun Tzu que «l’art de la guerre, c’est soumettre l’ennemi sans combat».
Et justement, en bon officier et homme d’Etat, le président ATT a certainement beaucoup lu «l’art de la guerre» du philosophe chinois pour savoir que «le bon général (gagne) la bataille avant de l’engager» et que «c’est lorsqu’on est environné de tous les dangers qu’il n’en faut redouter aucun».
Qu’est-ce qu’un président en fin de mandat, sans aucune possibilité de se reconduire, et dont les soutiens se montrent timorés et pusillanimes de jour en jour face à l’héritage et à l’alternance, peut-il espérer dans une épreuve de nerf ou de force avec la classe politique et l’opinion publique?
Mais en retournant la perspective, on peut aussi poser la question: qu’est-ce ATT a gagné au terme du processus parce que ce ne sera pas lui qui bénéficiera des supers pouvoirs présidentiels?
Alors, pourquoi maintenant?
Serait-ce défendre le président ATT de dire que c’est justement maintenant où, malgré leurs peurs et leurs angoisses, leurs psychoses et leurs paranoïas face à l’avenir, à l’alternance, à dire vrai à leur sort, l’ensemble de la classe politique ne formule aucun doute quant à la volonté d’ATT de partir en 2012 qu’il fallait mettre le projet sur la tapis… pour que nul ne le soupçonne de vouloir tailler la Constitution à sa mesure et de vouloir aménager des super pouvoirs pour lui-même.
Pourquoi maintenant? Parce que, si le Général de la colline avait fait des réformes constitutionnelles sa priorité en 2002, on aurait dit qu’il agissait sous la dictée d’Alpha et en 2007, on l’aurait soupçonné de penchant dictatorial ?
Mais, en 2011, si on le soupçonne de dictature, il pourrait paraphraser l’illustre Général De Gaulle et dire : mais «Croit-on (que c’est à la retraite et sur ma longue chaise dans la Venise malienne, entouré de mes petits-enfants) que je vais commencer une carrière de dictateur?»
Qu’à cela ne tienne, le Général ATT ne pouvait-il pas, suivant le principe de la continuité de l’État, léguer le dossier à son successeur, tout comme lui-même l’a hérité du président Alpha?
Beaucoup d’argumentaires vont dans ce sens, tirant leur pertinence dans la priorisation des choix au regard du temps et des moyens dont disposent le président ATT à tenir ses engagements (respect des délias constitutionnels) et le gouvernement à organiser des élections fiables, crédibles et transparentes.
Mais les balayer d’un revers de main, le président ATT peut opposer à cette psychose obsessionnelle que gouverner n’est point une permanente fuite en avant et que l’État ne saurait chaque fois reculer face à de véhémentes oppositions à ses projets. Quel serait le crédit et l’autorité de l’État si chaque jour, il se rétractait, se débinait et différait toutes ses actions si une poignée de politiciens apeurés ou d’intellectuels insatisfaits se mettaient à ruer dans les brancards? Un État ne peut satisfaire tout le monde, son devoir est d’agir en conformité avec le plus grand nombre, la majorité. Et c’est cette majorité qui est appelée à se prononcer par référendum.
Nous sommes des intellectuels, il nous appartient d’éclairer notre peuple, de l’amener à faire des choix conscients en fonction de ses intérêts et non nous substituer à lui pour décider à sa place. J’ai lu le texte de la réforme constitutionnelle. Si par honnêteté intellectuelle, je ne puis dire que je suis d’accord en tous points (par exemple cette aberrante question de double nationalité qui élimine tant de valeureux filles et fils du Mali), je suis d’avis qu’elle va dans le sens de l’évolution constitutionnelle logique de l’héritage de la Vè République française et du contexte institutionnel international.
Sous ces auspices, on comprend pourquoi et comment, le président du Rassemblement Pour le Mali, El Hadj Ibrahim Boubacar Kéïta, parce que républicain et homme d’État respecté, ne pouvait que souscrire à un projet qui conforte l’État, mais aussi parce, comme le dirait l’ancien président français, Valery Giscard d’Estaing, «l’inégalité du talent et du courage est dans la nature humaine, la justice n’est pas de le nier». En effet, Ibk ne peut, sans ébranler les analystes politiques et des millions de démocrates qui ont du respect et de l’admiration pour lui, prêcher la restauration de l’autorité de l’État et ne pas voter pour un projet qui participe à cette de veine là. On en peut vouloir un État fort, sans une définition et une clarification des rapports entre les différents pouvoirs et des mécanismes institutionnels.
J’ai le bonheur de partager, avec beaucoup de mes compatriotes, la conviction que le camarade Ibrahim Boubacar Kéïta n’est homme à dire une chose en privée et son contre en public. Sinon, il ne serait pas le Kankelentigi que les Maliens estiment et respectent tant et sur lequel portent aujourd’hui les aspirations les plus profondes pour voir notre pays renouer avec la vertu, l’honneur et la dignité qui l’ont toujours caractérisé. Et je ne suis pas le seul à croire que cet homme n’a rien de démagogue et ne trompera pas pour le crédit du Mali dans une démagogie politicienne et alimentaire. Parce que Ibk connaît plus que tout autre la formule de Georges Elgozy: «La démagogie est à la démocratie ce que la prostitution est à l’amour».
Le Rassemblement Pour le Mali (RPM) a-t-il jamais manifesté son désaccord sur le projet? Des quiétudes, oui, ont été soulevées logiquement et légitimement. Mais Ibk n’a jamais dit, à notre connaissance, qu’il était contre les réformes proposées. Nous avons cherché en vain une déclaration dans ce sens depuis notre retour. Au contraire, ses deux dernières déclarations publiques sont sans équivoques.
Lors de la déclaration de politique générale, dans ses explications de vote, voilà ce que dit IBK:
« (…) C’est pourquoi, vous nous voyez perplexes. Alors que nous vous voyions avec la tâche délicate et lourde, très lourde même, de nous aider à exorciser les démons qui, tout au long de notre parcours démocratique, nous aurons causé le plus de torts, à savoir, enfin, l’organisation d’élections propres, crédibles, transparentes et apaisées, vous voici commise à la refondation de l’ensemble de notre système constitutionnel.
Après avoir dit mon mot d’entrée, je ne doute certes pas de vos qualités. Mais s’agit-t-il de cela? Que non!
Il s’agit ici et maintenant de priorisation et d’opportunité. Tous les Dieux de l’Olympe ont semble –t-il été consultés.
Pourtant, il semble que le plus important ait été superbement ignoré. Oui, Madame, CHRONOS se montre particulièrement cruel avec ceux qui oublieraient sa toute puissance. Et là, hélas, son courroux réserve de très mauvaises surprises.
Gardons-nous en donc. Dieu nous en préserve!
(…)Madame, sachez ne pas désespérer ceux qui ont décidé de vous accompagner, d’accompagner celui qui vous a investie de sa confiance pour qu’au terme de l’exercice, vous et nous puissions dire avec fierté «mission accomplie»! C’est pourquoi, vos propos concernant la nécessité d’un fichier électoral fiable pour la crédibilité, la transparence et la sincérité des élections, et l’engagement solennel de tenir les échéances dans le strict respect du délai constitutionnel, afin de conforter la bonne image de la démocratie malienne citée en exemple dans le monde (fin de citation),nous ont donné l’espoir d’un bon et utile commerce avec vous.
Madame, comme l’a dit mon cadet, la balle est dans votre camp.
Notre appui ne vous fera pas défaut; mais sachez que notre oui n’aura de sens qu’autant qu’il nous sera aisé de dire non si, par un biais ou un autre, les engagements n’étaient pas tenus.»
Dans son discours d’ouverture du 3ème congrès du parti tenu les 23-24 juillet dernier, il martelait:
« (…) Les réformes institutionnelles proposées par le gouvernement, sous l’impulsion du Président de la République, ne manquent pas de sens. Après 20 ans de pratique démocratique, il est évident que des corrections sont nécessaires. Mais encore une fois, est-ce opportun au moment où, d’avis partagés, la priorité devrait être ailleurs?
Chers camarades, le monde a changé, le Mali a changé; alors, la politique doit aussi changer. Nous devons pouvoir traduire ces changements à l’aune de nos valeurs de civilisation et conduite les changements avec tous, au profit de tous…»
Mais, comme chacun sait, c’est dure la démocratie. En effet, pour reprendre Luc Ferry, «comment gouverner les démocraties s’il faut être populaire pour être élu et impopulaire pour réformer ?»
Le Président ATT, parce que sortant, a peut-être choisi d’être impopulaire; mais IBK a opté pour la formule Chevènementiste : «La fidélité à ses convictions est nécessaire à la démocratie» et dans notre tradition, elle est sacrée.
C’est pourquoi, du haut de la tribune du 3ème congrès, le président du Rpm martèlera: « (…) Le RPM a été un partenaire loyal, dans l’intérêt du Mali, tout en gardant un droit critique sur les actions que nous ne jugions pas conformes à nos idéaux».
Bamako, le 7 août 2011.
Nancouma D. CAMAR, Consultant indépendant, Cadre RPM, Section IV Bamako