Selon le quotidien « l’Indépendant » du jeudi 28 juillet 2011, l’ancien ministre Makan Moussa Sissoko a fait « la semaine dernière » une présentation devant le groupe parlementaire ADEMA sur le projet de réforme de la Constitution.
Le journal publie, je crois, in extenso, le texte de cette présentation qui est une belle défense du projet de réforme.
C’est un plaidoyer pro-domo dans la mesure où le Ministre Sissoko est un des pères dudit projet en tant que membre du Comité d’experts puis du CARI qui ont enfanté la réforme en discussion devant le Parlement. Makan Moussa Sissoko est un juriste doublé d’un constitutionaliste. Il enseigne le Droit à l’Université du Mali. Il connaît donc le sens des mots qu’il emploie.
Il connaît l’Administration : il a été successivement ministre, chef de cabinet ministériel, Directeur Général de l’ANPE, poste qu’il occupe depuis quelques années. On ne peut donc pas lui faire l’injure de ne pas connaître le sens des mots qu’il emploie. Il est secrétaire politique d’un grand parti. On est en droit d’en déduire que chaque mot qu’il emploie est pesé et «sous-pesé».
Il qualifie de « cassandre », c’est-à-dire d’oiseaux de mauvais augure (mais de quel augure parle-t-il ?) tous ceux qui critiquent le projet de réforme constitutionnelle.
Il dit aux députés de son parti : « cette réforme ne va pas accentuer la présidentialisation du régime », « il est faux d’affirmer que les pouvoirs du président sont renforcés .. .» et ceux qui « affirment que le projet accorde au Président de nouveaux pouvoirs » font des « déclarations gratuites » !
Il faut sans doute beaucoup de courage pour faire de telles affirmations devant des députés qui avaient, de surcroît, sous leurs yeux le texte du projet de réforme ! Et le courage, il semble que le ministre Sissoko n’en manque pas !
Il n’y a pas longtemps il affirmait dans un journal que réformer la Constitution était «un devoir imprescriptible » ! A un journaliste qui lui demandait en mai 2010 pourquoi le CARI ne répondait pas à l’ancien Premier ministre Soumana Sako, le ministre Sissoko dit : «Non. On ne répond pas à toutes les déclarations intempestives comme à tous ceux qui écrivent des ‘’conneries’’ » sur le projet de réforme des institutions ! (Le Matin du 19 mai 2010)
Tout ce que le Ministre Sissoko a écrit ou dit sur le projet de réforme illustre à merveille ce que beaucoup d’acteurs publics pensent : il n’est pas sain, il n’a pas été sage d’avoir esquivé et fui le débat. Une conférence constitutionnelle, des assises des forces vives (peu importe le nom) aurai(en)t créé les conditions d’un débat contradictoire fécond sur les propositions de réforme.
Et si la volonté politique d’instaurer un tel débat existait, il aurait pu avoir lieu entre le 19 avril 2010 (date de la remise officielle du rapport des Experts) et le 1er juillet 2011, date de la transmission au parlement du projet de révision.
En l’absence d’un tel mécanisme démocratique et participatif, les auteurs du projet doivent faire preuve d’un peu de modération et d’humilité vis-à vis de ceux qui ne pensent pas comme eux. Après tout, nous sommes en démocratie et il s’agit de notre pays à tous, de l’avenir de ce pays.
Comment peut-on nier avec autant d’aplomb et de façon répétitive que le projet préparé par les ministres Daba, Sissoko et d’autres est un projet qui concentre tous les pouvoirs dans les mains du président de la République !
D’ailleurs les déclarations successives du Ministre Sissoko en la matière sont en contradiction avec :
– Le rapport du Comité d’Experts dont il était membre et qui reconnait (page 3) que « dans le cadre du régime semi-présidentiel actuel, les institutions peuvent être mieux adaptées avec un réaménagement de l’Exécutif (qui) consisterait en la consolidation de la prééminence du président de la République… ».
– la lettre N°0303 PRM du 1er juillet par laquelle le président de la République envoie le projet de loi constitutionnelle au président de l’Assemblée Nationale et qui dit, alinéa 4, que le projet cherche « à adapter l’outil à l’objet, la lettre à la pratique pour mieux avancer dans la construction d’un système démocratique performant ». Pourquoi vouloir nier l’évidence ? Pourquoi ne reconnaissez-vous que vous avez « adapté la lettre à la pratique» en codifiant l’existant !
Comment peut-on nier la présidentialisation du régime quand le président de la République nomme le Premier ministre sans tenir compte de l’Assemblée Nationale, des partis politiques qui sont au début et à la fin du projet démocratique ?
Comment peut-on nier le renforcement des pouvoirs du président de la République quand il nommera désormais le président de la Cour Constitutionnelle jusqu’ici élu par ses pairs? L’expérience récente d’un certain Paul Yao Ndré ne vous alerte t-elle pas ?
Comment peut-on nier la présidentialisation à outrance du régime quand le président de la République nommera en outre les présidents du Haut Conseil de l’Audiovisuel et de la future Agence Générale des Elections ? En vérité, le Ministre Daba, le CARI et les experts n’ont fait que codifier les dérives et anomalies observées tout au long de notre pratique institutionnelle au lieu de les corriger.
D’ailleurs le Ministre Sissoko le reconnaît quand il dit que « cette pratique (c’est à dire la dérive présidentialiste) est conforme à la perception malienne du pouvoir de 1960 à nos jours » !!
Que signifie « la perception malienne du pouvoir » ?
Le pouvoir personnel? L’effacement des autres institutions ? L’affaissement des contre-pouvoirs ? La personnalisation du pouvoir est un des grands obstacles à la démocratisation de l’Afrique. Elle est source d’instabilité politique.
Le projet que le Parlement examine comporte du positif à bien des égards. Mais sa caractéristique principale (qui en fait un mauvais projet devant être retoqué) c’est la concentration excessive et sans précédent de tous les pouvoirs dans les mains du Président, c’est la mise entre parenthèses des partis politiques, des députés, de la plupart des institutions de la République, de l’Assemblée Nationale en particulier!
L’essence de la démocratie, c’est l’équilibre des pouvoirs entre les différentes institutions. Le projet des ministres Daba et Sissoko consacre le déséquilibre des pouvoirs et du coup cultive les germes de l’instabilité.
Pour des raisons liées à notre histoire récente, à son rôle décisif dans le parachèvement de l’insurrection de mars 1991, les Maliens ont beaucoup accepté du Président Amadou Toumani Touré. Il a ainsi bénéficié de presque 10 années d’état de grâce ! Il est illusoire de croire que son successeur quel qu’il soit, aura les mêmes faveurs du pays, les mêmes facilités pour gouverner. Avec la constitution proposée à l’Assemblée Nationale, l’on sème les graines de l’instabilité politique au Mali. Car on institutionnalise la personnalisation du pouvoir ! 20 ans après, c’est un terrible coup porté à Mars, à son idéal! Car mars 1991, c’était entre autres contre le pouvoir personnel !
En lieu et place de références continues à la Constitution française de 1958, aux experts français et à l’histoire politique récente de France , une introspection autonome et approfondie sur notre « pratique institutionnelle » afin d’en corriger les dérives inhérentes à une démocratie naissante aurait été plus salutaire. Elle aurait permis d’évaluer le coût faramineux de nos institutions et de nos élections pour un pays dont l’écrasante majorité de la population vit avec moins de deux (2) dollars par jour. Avons-nous besoin de toutes ces institutions ?
Le budget provisoire des élections de l’année prochaine est évalué par le MATCL à 48 milliards de CFA ? Avons-nous besoin d’élections aussi coûteuses ? Les experts et le CARI sont bien passés à côté d’une occasion historique pour consolider véritablement notre démocratie avec moins d’institutions coûteuses. Avec un dispositif institutionnel et électoral mieux adapté à nos réalités positives. Avant de terminer et pour terminer un rappel :
En septembre 2007, à l’issue d’élections législatives organisées à quelques semaines d’intervalle, un nouveau gouvernement a été formé au Mali et au Maroc. Dans les deux pays, aucun parti n’avait obtenu la majorité absolue à l’issue desdites élections.
Le roi du Maroc a nommé comme Premier ministre le chef du parti disposant de la majorité relative des sièges à l’Assemblée Nationale.
Le Président du Mali a nommé comme Premier ministre son plus proche collaborateur d’alors dont une des principales qualités était de n’appartenir à aucun parti. La majorité du parlement a approuvé ce choix.
Après quatre années passées au Premier ministère, cet ancien collaborateur du Président envisagerait d’être candidat à l’élection présidentielle. Pour des raisons fort compréhensibles. Qui passerait quatre années à la primature sans songer à la fonction suprême ? Cette possible candidature serait une candidature très sérieuse, l’homme ayant tissé sa toile et ayant procédé au maillage méthodique de l’administration et des services financiers de l’Etat pendant les années passées à la primature et au Secrétariat Général de la présidence de la République.
La possible candidature de cet ancien collaborateur du Président fait peser une lourde hypothèque sur l’avenir démocratique du Mali. Car si un président indépendant (quelque soit l’habillage) succède à un autre indépendant (ATT), ce serait la fin du projet démocratique au Mali.
Cette hypothèque-là, les députés maliens auraient pu la lever en 2007 en exigeant (même gentiment) la réhabilitation de l’Assemblée Nationale, la réhabilitation du fait partisan et de l’action politique. En insistant, même un peu, afin que le président tienne compte du vote des Maliens comme le roi du Maroc a tenu compte du vote des Marocains.
En s’abstenant de le faire, en faisant plaisir au Président, les députés et les partis majoritaires ont créé (sans doute sans le vouloir) les conditions de la candidature (très sérieuse) de Modibo Sidibé à la présidence de la République.
Il y a des combats qu’on ne diffère pas.
En les différant, on complique la situation et compromet, même un peu, l’avenir.
Il en est de même du projet de réforme constitutionnelle dont la représentation nationale est saisie!
Si les députés suivent les recommandations des ministres Daba et Makan Moussa, ils affaibliront davantage la démocratie au Mali.
Bamako, le 28 juillet 2011. Tiébilé Dramé.
Président du PARENA (parti pour la renaissance nationale)