Dans une contribution antérieure, nous évoquions l’incertitude qui plane sur les processus électoraux en Afrique de l’Ouest du fait de la pandémie de la Covid-19 venant se superposer à plusieurs autres déterminants structurels ayant habituellement cours en Afrique. En réalité, les effets de la Covid-19 sur les processus électoraux en Afrique pourraient s’avérer accessoires si l’on prend en compte d’autres déterminants hautement plus dévastateurs pour l’Afrique. Il est vrai que si les principes de participation et de liberté sont opérationnels lors d’élections en cette période de pandémie, une contamination à grande échelle pourrait se produire.
Face à cet écueil, même si des préalables sont à remplir, des alternatives (qui ne s’excluent pas et n’excluent pas le vote classique) sont proposées : vote digital, vote par correspondance, vote par zone et étalé dans le temps. Ces alternatives sont inspirées de modèles étrangers qui fonctionnent parfaitement. Ainsi donc, la Covid-19 en tant que menace pourrait ne constituer qu’un argument fallacieux convoqué par notamment certains acteurs du processus, voulant fausser le jeu politique.
La présente analyse portant sur les processus électoraux de cette année au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, en République de Guinée est faite sous réserve du respect du calendrier électoral dans ces pays, ce qui en soi est un défi énorme et reste un déterminant important quant à l’instauration de la paix et de la stabilité dans ces pays. En effet, élection, paix et sécurité en Afrique notamment interagissent et s’enrichissent mutuellement, il convient donc d’avoir une approche systémique de gestion de ces trois problématiques. Beaucoup de conflits en Afrique sont nés d’élections mal gérées.
La Covid-19 en tant que menace pourrait ne constituer qu’un argument fallacieux convoqué par notamment certains acteurs du processus, voulant fausser le jeu politique
Chacun de ces trois pays s’achemine vers une élection présidentielle. L’élection présidentielle, du fait de ses enjeux et de sa nature, comporte habituellement une charge émotionnelle très forte. Ces enjeux se décuplent en Afrique où l’accès au pouvoir donne accès aux ressources.
La Côte d’Ivoire est en train de dérouler un processus électoral complexe. Au-delà des problèmes hérités du processus électoral de 2010 avec ses soubresauts politico-judiciaires, la question du renouvellement de la classe politique, le jeu des alliances, les velléités de contrôle du processus électoral sont autant de facteurs pouvant causer un processus potentiellement très “conflictogène“.
Le décès brusque du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, dauphin désigné par le Président Ouattara, à quelques mois de la présidentielle vient rebattre toutes les cartes et assurément, de nouvelles ambitions se feront jour, renseignant sur l’incapacité de l’échiquier politique ivoirien à se renouveler et à respirer. En effet l’ancien président Henry Konan Bédié, qui avait fait figure “d’héritier“ face au “dauphin“ que fut Alassane Ouattara sous la présidence de feu Felix Houphouët Boigny, a déclaré sa candidature à l’âge de 86 ans.
Le décès brusque du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, dauphin désigné par le président Ouattara, à quelques mois de la présidentielle vient rebattre toutes les cartes et assurément, de nouvelles ambitions se feront jour, renseignant sur l’incapacité de l’échiquier politique ivoirien à se renouveler et à respirer
Pendant ce temps, la libération de l’ancien Président Laurent Gbagbo et certains de ses partisans (Charles Blé Goudé et Simone Gbagbo), qui jouissent toujours d’une certaine popularité, vient susciter certains appétits et élargir le spectre des tensions politiques incessantes depuis la disparition du président Houphouët et dont le point culminant fut la crise post-électorale de 2010. Hormis celle de 2015, aucune élection présidentielle depuis la disparition de Houphouët (1994) ne fut exempte de contestations et/ou de conflits ouverts. Rappelons que le pays compte 26 millions d’habitants environ dont 72 % de jeunes pour la plupart désœuvrés, mais “politiquement concernés“.
Une “bombe“ qu’il faut manier avec dextérité, qui a eu dans le passé à payer le plus lourd tribut des violences post électorales (avec les femmes). A cela, s’ajoute une Commission électorale, principal organe de gestion des élections, très décriée dans sa composition et un défaut de cohésion sociale. Par ailleurs, le potentiel économique que représente la Côte d’Ivoire tant pour la région que pour la communauté internationale reste une donne potentielle accélératrice d’instabilité ou mobilisatrice à intégrer dans l’analyse de la situation électorale du pays.
Hormis celle de 2015, aucune élection présidentielle depuis la disparition de Houphouët (1994) ne fut exempte de contestations et/ou de conflits ouverts. Rappelons que le pays compte 26 millions d’habitants environ dont 72 % de jeunes pour la plupart désœuvrés, mais “politiquement concernés“.
La République de Guinée quant à elle traine, dans le cadre du processus électoral, plusieurs facteurs potentiellement dangereux pouvant y causer une instabilité durable. En effet, en plus de la réforme constitutionnelle très controversée et dont on n’a pas fini de vivre tous les soubresauts, un débat ethnique nauséabond, planant depuis plusieurs décennies, risque d’être un déterminant essentiel dans la crise qui se précise au fil de la mise en œuvre du processus électoral.
La “falsification“ de la Constitution nouvellement votée par référendum traduit un malaise profond et entretient une rupture de confiance entre les parties prenantes au processus politique en général. En outre, la naissance du Front national de défense de la Constitution (FNDC), mouvement opposé au président Alpha Condé, réunissant différentes forces politiques, syndicales, citoyennes, etc., risque de renforcer la tension qui plane depuis quelques années en République de Guinée. Précisons que le débat autour du troisième mandat du président Condé, alimenté par les nouvelles dispositions constitutionnelles (floues et ouvrant à toute sorte d’analyse) renforce les craintes de tensions électorales.
La “falsification“ de la Constitution nouvellement votée par référendum traduit un malaise profond et entretient une rupture de confiance entre les parties prenantes au processus politique en général
A cela s’ajoutent toutes les convoitises de la part de multinationales et “forces“ extérieures autour des ressources naturelles dont regorge le pays (or, diamant, bauxite, fer, ressources forestières et halieutiques, etc.), qui sont un déterminant non négligeable dans l’analyse du potentiel conflit qui pointe à l’horizon si une stratégie efficace de gestion de conflit n’est pas définie dès à présent tant par les acteurs nationaux que par les partenaires communautaires (UA, Cédéao).
Le Burkina Faso subit pour sa part une menace sécuritaire qui vient hypothéquer une gestion correcte du processus électoral. Les zones sous la menace des forces terroristes ne sont pas concernées par la phase actuelle de l’enrôlement des électeurs. Quelle solution envisager (avec célérité) si l’on sait que le processus suit son cours et qu’aucune alternative n’est envisagée pour permettre aux citoyens de ces zones de pouvoir s’inscrire sur les listes électorales ?
Ainsi, au-delà de la Covid-19, les défis sécuritaires auxquels fait face le pays constituent essentiellement les menaces les plus sérieuses quant à la mise en œuvre du processus électoral sur l’ensemble du territoire. En effet, la gestion efficace du processus par la Commission électorale, le sursaut citoyen ayant permis la tenue des élections et le niveau élevé de responsabilité des compétiteurs politiques avaient permis au Burkina Faso de s’inscrire dans une dynamique consolidatrice de son processus politique en 2015.
Malheureusement, au lendemain de cette transition réussie, le Burkina Faso a subi plusieurs attaques terroristes mettant à rude épreuve la consolidation de la paix et l’approfondissement du processus politique. Aujourd’hui, il est toujours confronté à ces défis sécuritaires, déterminant essentiel à considérer dans l’analyse relative à la mise en œuvre du processus politique, qui va au-delà du processus électoral au Burkina Faso.
Enfin, les étapes spécifiques du processus électoral que sont la campagne électorale et la tenue du scrutin sont des instants de frénésie populaire, d’euphorie pouvant détourner l’attention des forces de défense et de sécurité et ainsi être propices à des actes malveillants. Il s’agit donc d’étapes à surveiller par un renforcement du dispositif sécuritaire. Un déterminant essentiel à considérer.
La tenue d’élections libres et crédibles en Afrique reste toujours un défi énorme trente années après la dernière vague de démocratisation. Est-il concevable à l’ère du numérique et des multiples opportunités qu’il offre, avec le foisonnement d’institutions publiques dédiées à la gestion de bases de données ainsi que l’expertise dans la matière électorale très pointue et diverse dont regorgent nos Nations, que le débat sur la fiabilité des fichiers électoraux soit toujours une pomme de discorde entre parties prenantes aux processus électoraux ?
Les étapes spécifiques du processus électoral que sont la campagne électorale et la tenue du scrutin sont des instants de frénésie populaire, d’euphorie pouvant détourner l’attention des forces de défense et de sécurité et ainsi être propices à des actes malveillants
Par quelle alchimie un acteur politique au profil très conventionnel peut-il porter un discours post électoral violent au point de se transformer en “chef de guerre“ édulcoré ? Les organes de gestion des élections en Afrique sont-elles toutes frappées d’incapacité, d’inefficacité organisationnelle et institutionnelle quasi générale au point de ne pouvoir remplir leurs missions ? Les modèles électoraux africains sont-ils inopérants au point de contenir presque systématiquement les germes de violences électorales ?
Pour être juste, une élection suppose que la liberté de l’électeur soit garantie contre toute forme de pression extérieure, que les candidatures soient libres, que des règles de contrôle et de transparence soient mises en place et enfin que les électeurs aient fait l’apprentissage du geste démocratique, condition d’une participation civique satisfaisante. Autant de “bastilles“ à conquérir par l’Afrique de l’Ouest, toutefois prenables à la condition de l’existence d’une volonté politique réelle, d’un leadership affirmé et désintéressé, d’une gestion professionnelle du processus électoral s’inscrivant dans une approche structurelle, durable et non pas évènementiel.
Mamadou Seck
Spécialiste des questions de gouvernance, expert électoral, Manager général du cabinet Synapsus Consulting