Dans la première partie de notre dossier sur la problématique de l’emploi des jeunes au Mali, nous évoquions les statistiques données par le dernier rapport daté de 2014 de l’Observatoire national de l’emploi et de la formation (ONEF) qui a qualifié de 8,2% le taux de chômage pour une population estimée à 17,2 millions d’habitants. En 2015, ce taux est passé à 11,3% selon le rapport fourni par le FMI. Ces statistiques sur l’emploi démontrent à bien des égards que malgré les acquis enregistrés et qui sont bien en deçà des résultats escomptés, il y’a encore des efforts à faire dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques plus soutenues en faveur de l’emploi des jeunes.
Au demeurant, la création et le développement des Très Petites et Moyennes Entreprises (TPME) surtout innovantes et compétitives constituent l’une des solutions aux problèmes d’emploi des jeunes diplômés. C’est pourquoi, nous estimons que le gouvernement avec les partenaires (nationaux et internationaux) doit instaurer et mettre en place un environnement favorable et propice à l’esprit d’entreprise, renforcer les compétences entrepreneuriales et faciliter la compétitivité des TPME. Ce qui aura pour conséquences (positives) de créer un environnement et climat des affaires propices au secteur privé et aux investisseurs étrangers pour investir, créer et développer des entreprises et contribuer de manière significative dans la valorisation des ressources, la création de l’emploi et de la croissance.
La deuxième partie de cette contribution à la recherche des solutions au chômage des jeunes s’attaquera à deux volets très importants : l’apport des entreprises et de l’agriculture.
La réduction du chômage par les entreprises
L’un des grands spécialistes des problèmes d’emploi et de réduction du chômage, John Morley, dans une de ses publications, écrivait : « Un travailleur qui ne peut pas trouver d’emploi est un personnage infiniment plus tragique que n’importe quel Hamlet ou Œdipe. ». Ceci dit, au Mali comme partout ailleurs, la situation économique et professionnelle de nombreux jeunes est particulièrement difficile. Ces statistiques montrent à suffisance que si la crise de l’emploi a provoqué une détérioration du marché du travail, elle n’explique pas à elle seule la situation actuelle. Le chômage des jeunes est, en effet, autant structurel que conjoncturel. Le problème le plus préoccupant reste celui des peu ou pas qualifiés.
La qualité des emplois est un des déterminants essentiels de la croissance. Une main-d’œuvre qualifiée est en effet plus productive et mieux préparée à la diffusion des innovations. Le niveau de formation initiale et la formation continue professionnelle constituent ainsi des parties intégrantes de la compétitivité des entreprises. Les performances maliennes en la matière restent insuffisantes, comme en témoignent le nombre peu élevé des entreprises et la proportion importante de salariés peu qualifiés dans ces mêmes entreprises. La solution consiste à créer plus d’entreprises performantes et à mettre en place un système efficace de formation professionnelle adapté aux réalités du marché. Aujourd’hui, les personnes les moins qualifiées sur le marché du travail sont aussi celles qui bénéficient le moins de la formation professionnelle.
Le Gouvernement, conscient de cette faillite, a déjà annoncé ou pris une série de mesures pouvant ramener le taux du chômage à des proportions limitées en plaidant pour des politiques plus actives en faveur des jeunes chômeurs. Ces dernières devraient être accompagnées de réformes structurelles mises en œuvre afin de stimuler l’emploi de cette catégorie de la population active. Ces mesures devront aussi permettre d’enrayer, puis d’inverser temporairement la courbe du taux de chômage des jeunes.
Dans sa Déclaration de Politique Générale, le Premier Ministre, Abdoulaye Idrissa MAIGA, a annoncé : « (…) il ne fait l’objet d’aucun doute que l’augmentation du taux de croissance est le garant de la création d’emplois et donc de la stabilité ». Et, loin d’être un messie, il est indéniable que vu la situation actuelle de notre pays, la lutte contre le chômage des jeunes passe impérativement par la création d’entreprises. Pour ce faire, nous dégageons ces quelques pistes de réflexion. Il s’agit de :
Faire de la formation professionnelle un levier essentiel de compétitivité et de réduction des inégalités ;
Accorder des avantages fiscaux aux entreprises employant des salariés, soumises à un régime réel d’imposition. Ces entreprises qui ne peuvent pas embaucher plusieurs jeunes à la fois seront appelées à parrainer les micro-entreprises et les auto-entrepreneurs dans le cadre du recrutement massif des jeunes. L’objectif de ce dispositif est d’améliorer la compétitivité en favorisant l’investissement et l’innovation. Et l’avantage fiscal qui en découlera sera proportionnel à une baisse de cotisations sociales, sous la forme d’une réduction de l’impôt à acquitter en année n au titre de l’année n-1 pour les entreprises qui doivent parrainer. L’objectif étant d’investir dans l’appareil de production ;
Privilégier le métier plutôt que le diplôme. En effet, contrairement aux Français, les Allemands et beaucoup de pays latino-américains privilégient le métier plutôt que le diplôme, exprimant une préférence très forte en faveur d’une identité sociale plutôt qu’un statut formel. Dans ces conditions, il n’est guère surprenant que l’apprentissage et la formation professionnelle constituent la pierre angulaire du système éducatif dans ces pays. Ces dispositifs sont pratiquement la voie dominante d’acquisition des savoirs et des qualifications professionnelles. Ce système d’apprentissage a l’avantage de bénéficier d’une très forte implication des entreprises et permet une excellente adéquation entre l’offre et la demande de qualification. Il en découle un faible taux de chômage chez les moins de vingt-cinq ans. Au sein des entreprises, outre sa contribution à la cohésion sociale, ce système est également un puissant levier en faveur de l’innovation ;
Mettre en place des mesures d’incitations propices à la création d’entreprises de toutes tailles par le secteur privé et notamment par les jeunes, dans tous les secteurs de l’économie, de l’agriculture aux arts, en passant par l’industrie et les services ;
Créer des conditions favorables à une meilleure transformation du secteur informel en un secteur formel bien structuré et plus conforme aux contraintes de la jeunesse.
La réduction du chômage par l’économie agricole
Pour l’Union africaine, l’agriculture sera dans un proche avenir la principale force de transformation économique et sociale du continent. Les économies à forte croissance qui parviennent à réduire la pauvreté et à créer de vrais emplois, notamment pour les jeunes, dépendent de politiques volontaristes et de l’injection massive d’investissements dans l’agriculture.
Dans un rapport publié en 2013 et intitulé Agriculture as a Sector of Opportunity for Young People in Africa, la Banque mondiale souscrit à l’approche défendue par diverses autres organisations, dont les données confirment que le secteur agricole est le plus gros employeur d’Afrique avec un potentiel d’absorption de millions de demandeurs d’emploi. Selon le rapport, des efforts supplémentaires permettraient d’améliorer la productivité agricole entraînant ainsi une réduction des prix des denrées alimentaires. Les revenus augmenteraient et de nombreux emplois pourraient être créés. L’implication des jeunes dans ce processus est cependant essentielle. «Même si les fermes sont souvent exploitées par des personnes âgées, note la Banque, les besoins en énergie, en innovation et en force physique en font un secteur idéal pour la tranche 15 à 34 ans – ceux qu’on appelle «les jeunes gens mûrs».
Quelles solutions pour le Mali ?
Le chemin parcouru par l’agriculture au Mali, au fil des ans, n’a pas été facile. La crise économique mondiale, la flambée des prix alimentaires, le changement climatique, les mauvaises récoltes et les capacités de stockage réduites pendant les périodes fastes ont été autant d’obstacles à une croissance du secteur. Faute de n’avoir pas encore montré toutes ses potentialités en matière de création d’emplois pour les jeunes, à travers des politiques publiques mises en oeuvre pour favoriser l’emploi et l’entrepreneuriat des jeunes, l’agriculture s’est ainsi avérée incapable de créer de nombreux emplois ou d’avoir un effet notable sur la pauvreté.
« La terre ne ment pas », « Le Mali grenier de l’Afrique », ce temps est-il bien révolu ? Non ! Pourtant, aussi incroyable que cela puisse paraître, ce grenier de l’Afrique peine à nourrir sa population. Qu’est-ce qui n’a pas marché avec toutes ces terres fertiles dont dispose notre pays ? Les politiques d’accompagnement par de mesures incitatives ont-elles également manqué pour permettre une meilleure croissance dans le domaine ?
L’agriculture et, d’une manière plus générale, tout ce qui touche au monde rural est un aspect essentiel et vital du développement de notre pays. L’agriculture constitue une mine de richesses énorme pour notre pays, mais son potentiel reste encore largement sous exploité. La conséquence la plus paradoxale est que notre pays, pour nourrir ses populations, est obligé d’importer des denrées que non seulement il pourrait produire, mais aussi qu’il pourrait exporter… et ceci évidemment aggrave le déficit de notre balance commerciale au lieu de le résorber. Pour réduire le chômage des jeunes par l’agriculture, il faudra avoir une vision large et pouvoir déterminer les priorités qui sont, entre autres :
La formation professionnelle agricole (offre des opportunités de formation et de stages) pour les jeunes pour une meilleure employabilité ;
L’octroi de crédits pour développer l’entrepreneuriat des jeunes ;
La création des conditions optimales (superficies irrigables, équipements, semences améliorées, etc.) pour permettre à la jeunesse de s’investir davantage en milieu rural, riche de gisements d’emplois ;
La mise en œuvre des opportunités en matière d’auto-emploi, avec différents fonds qui financent les initiatives et projets des jeunes à des taux préférentiels.
Le positionnement du secteur primaire à l’avant-garde de nos exportations à travers une orientation politique agricole efficace;
La mise en œuvre des mesures d’accompagnement financier et non financier de ces jeunes (ayant suivi des formations dans ce domaine) qui seront parrainés par les grands industriels agricoles moyennant des avantages fiscaux.
La création d’une agriculture dynamique et rentable plus productive et plus attractive pour attirer les jeunes ;
Les programmes de promotion de l’agro-industrie devront être axés sur l’agriculture mécanisée et les technologies modernes de production agricole, comme l’agriculture de précision, des systèmes de gestion agricole basés sur les TIC. Ils doivent par ailleurs insister sur la transformation, la conservation, la valorisation des produits et d’autres aspects de la chaîne de valeur agricole.
Selon le plan africain de développement de l’agriculture, connu sous le nom de Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA), adopté en 2003, les dirigeants africains s’engagent à allouer au moins 10% de leurs budgets nationaux à l’agriculture et au développement rural. Grâce à un soutien financier et à des programmes de formation, les jeunes agriculteurs qui se consacrent à la riziculture pourraient augmenter la production tout en la valorisant. «Avec autant de chômeurs, le secteur du riz en Afrique représente une véritable opportunité de création d’emplois», confie Marco Wopereis, Directeur général adjoint du Centre du riz pour l’Afrique basé à Cotonou au Bénin.
En définitive, il est à noter que l’emploi des jeunes dépend avant tout de la capacité des gouvernants à créer des richesses. Mais, la quête de cette prospérité ne saurait être l’affaire de l’Etat tout seul. Toutes les composantes de la Nation sont concernées et en particulier le secteur privé, premier créateur de richesses du pays, et qui est un partenaire incontournable dans la lutte contre le chômage. Tous, nous devons imaginer des axes de solutions innovantes dont l’objectif à terme demeure celui de former des jeunes prêts à relever le défi de l’emploi. Pour lutter contre le chômage des jeunes, notre économie doit se moderniser et tourner le dos à l’attentisme, à l’inertie, à l’immobilisme, pour devenir plus efficiente et se donner une éthique à la mesure des enjeux et résolument tournée vers la satisfaction de l’intérêt général.
Par Mohamed SACKO
Journaliste