“Présumé coupable” : Ma part de lecture

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On se sort pas indemne de la lecture du livre “Présumé coupable. Ma part de vérité” de Yamoussa Camara. Tout au long de ses 300 pages, on est comme entraîné au bord du ring à observer les coups d’un boxeur enragé face à des adversaires présents mais inactifs. On finit le livre éreinté par la longueur mais tout aussi soulagé du plat qui y est servi et auquel nul ne peut être indifférent dans un sens comme dans un autre.

Les personnalités attaquées, qui daigneront lire l’ouvrage, l’achèveront avec le sentiment de colère et de dégoût sans doute. Leurs partisans le mettront au chapitre du règlement de comptes d’un homme aigri. Nombreux autres se trouveront confortés dans leurs convictions de ce qu’ils pensent du régime d’IBK.

Les lecteurs ordinaires, entre admiration du langage soutenu et la fécondité des charges, n’auront pas perdu leur temps. Même Voltaire ne trouvera pas à redire sur la qualité de la rédaction ; l’auteur faisant preuve d’une érudition certaine confinant à un pédantisme qui transparaît dans le recours massif aux citations d’éminentes figures qui ont marqué le cours de l’Histoire.

Ce genre d’ouvrage à sensation, fait forcément courir les lecteurs. Il rappelle  “ATTcratie, la promotion d’un homme et de son clan” dont l’auteur, derrière la lâcheté de l’anonymat, n’a rien épargné au président ATT. On se souvient de “Un président ne devrait pas dire ça” ou “Merci pour ce moment” de Valérie Trierweiller qui ont réduit à néant le peu de chance de réélection de François Hollande. Ou encore “Le Feu et la fureur” de Michael Wolf que Trump a tout fait pour interdire sans succès et qui a fragilisé considérablement sa base électorale. On se souvient de “Revenge Porn” de Nathalie Koah mettant à nu Eto’o Fils qui n’a pas lésiné sur les moyens pour interdire le livre et finalement mettre en difficulté même la maison d’édition, depuis lors en faillite.

On se souvient de “Un si long silence” de Sarah Abitbol qui fut comme un tsunami dans le milieu du patinage artistique français et mondial ou tout récemment “Familia Grande” qui fait tomber l’un des intellectuels les plus influents de la France, Olivier Duhamel par la plume de sa belle-fille, la fille du célèbre French Doctor Kouchner.

Grand lecteur devant l’Eternel, j’ai pris le temps de me faire livrer par les soins d’un ami libraire, l’ouvrage. Je me suis gardé de tout commentaire avant de le lire, car un livre se lit et le modeste écrivain que je suis sait la valeur de la lecture. Comme tout le monde, l’ouvrage m’a laissé des séquelles. Mais, contrairement à beaucoup qui garderont le silence ou se limiteront à publier des extraits commentés sur leurs pages, moi j’ai choisi de partager avec vous ma part de lecture de la “Ma part de vérité” de Y. Camara.

Le livre à charge se veut la plaidoirie manquée du procès de Sikasso (la nuit des juges, p 113) ; l’auteur attendait ledit procès pour tout déballer et comme dit-il “renvoyer la justice à ses contradictions”. Comme un fauve blessé s’extirpant de ses agresseurs, Yamoussa Camara dans sa furia de réaction, tire sur tout ce qui bouge… d’IBK à SBM… même son lointain aïeul Kankou Moussa, renié aujourd’hui “(…) ce roi amoral et sans conviction… Cet hurluberlu accusé d’avoir fait un usage baroque du patrimoine de l’empire et précipitant la chute de ce dernier” (p 214), a eu pour son grade.

“J’ai souffert, il est vrai mais ils n’auront pas ma haine”. (p 43). A se demander s’il y a “meilleure” forme d’expression de haine tellement le livre en est l’illustration la plus aboutie sans que cela n’entame en rien sa qualité littéraire. Il l’écrit lui-même “Des hommes de bien et aussi des esprits chagrins trouveraient mes propos quelque peu excessifs. Je me devais, à mon corps défendant, de descendre dans les caniveaux pour traquer des ratons qui s’y refugient et qui tentent d’y enfouir ma réputation”. (p 56)

Comme s’il avait la poitrine pleine de pierre (p 137), Yamoussa Camara a dégainé sa grenade contre tous ceux qui selon lui ont trainé dans la boue son honneur et piétiné ses 36 ans de bons et loyaux services militaires. Tout d’abord, SBM pour lequel il a édifié une faune de qualificatifs les uns plus inventifs que les autres et qu’il ne sied point de rapporter ici. Son amertume se mesure à l’aune de sa déception d’avoir cru en l’homme IBK.

“S’agissant d’IBK, j’ai d’abord cru en l’homme. J’ai cru en la capacité de leadership du candidat – erreur originelle – avant d’avoir l’estime pour le président et d’accepter d’être son chef d’Etat-major particulier sur insistance du fiston national – erreur éternelle”. (p 41) Du président IBK il écrit “IBK, le même candidat avenant et plein d’humilité, qui me recevait avec enthousiasme et empressement, toutes les fois que je lui rendais visite (à sa demande) avait fait sa mue. (…) A l’épreuve du pouvoir, l’ex-candidat s’est transformé en un monstre féroce et s’est entouré de hautes murailles”. (p 59) Allant jusqu’à le traiter de “genre de personne qu’on ne rencontre qu’à Dabanani” (p 195).

Yamoussa affirme que sa présence auprès du “Roi fainéant” dérangeait plusieurs personnes du cercle présidentiel qui trouvaient ainsi dans le motif de son éloignement un dénominateur commun à leur coalition. C’est ainsi qu’a été montée l’affaire dite des bérets rouges par le Machiavel national “qui manipule le pauvre cancre d’IBK dont il aura réussi à coloniser l’esprit et la conscience” (p 56).

Le plan a été méthodiquement préparé consistant d’abord à envenimer les rapports entre lui et le président puis à dérouler le rouleau du matraquage médiatique en associant “une presse moutonnière et avilie (…) qui a le don de se rendre haïssable”, et notamment un “certain correspondant de presse au ventre bedonnant de légèreté (…) au ventre administratif tout aussi corrompu que les autres, Serge Daniel”. (p 123) Connaissant le faible du président pour la France, sa seconde patrie selon l’auteur (IBK, Malien plus français que les français, p 139, IBK aurait la nationalité française, p 148, note 162), Soumeylou B. Maïga “qui concentre tout ce qu’il y a de haïssable dans l’être humain (p 67)” lui aurait passé la mèche de sa francophobie manifestée devant même les autorités françaises, lors d’une audience le 14 juillet 2013 à Paris où il a lâché le bout de phrase conflictuel. Yamoussa affirme avoir dit au français (…) de les “aider à mieux nous aider car entre l’amour et la haine il n’y a pas de frontière”. (p 139)

Bien avant cette rencontre à priori anodine, Yamoussa écrit avoir dit au général De Saint-Quentin, commandant de l’opération Serval, sa préférence pour les “Mi-24” russes au lieu des Super Puma français lorsqu’il s’est agi d’équiper l’armée de moyens aériens. “J’avais fait comprendre au général que parmi nos multiples besoins pour renforcer nos capacités (…), l’achat des Puma, fussent-ils des Super Puma (hélicoptère de transport non armé), n’était pas le plus urgent. (…) Dans la situation sécuritaire difficile qu’est la nôtre, le plus urgent serait de disposer d’hélicoptères capables d’apporte aux troupes au contact, un appui feu rapproché -type Mi24 russe – …”  (p 72)

Le bout de phrase conflictuel, ajouté à cet autre point de vue ont été exhumés pour servir la vengeance des rancœurs tenaces. Celui qui “ne trouve du plaisir que dans le raffinement de la perversité, SBM” (p 67) s’est donc associé au général Moussa Diawara, “sulfureux directeur, particulièrement limité et qui n’excelle que dans les commérages” (p 73) que lui Yamoussa a réussi à nommer à Gao comme Com-théâtre malgré la vive opposition dans l’armée puis comme chef d’Etat-major de la garde nationale. Parmi les complices, il cite Dioncounda Traoré qui lui en veut pour lui avoir refusé le logement qu’il a voulu conserver et qui fait partie du patrimoine de l’Armée.

De l’ancien président de la Transition, il dit qu’“il n’aurait jamais dû assumer cette haute fonction. Il n’en a pas l’étoffe”. (p 75) “Vers la fin de la Transition il ne m’adressait plus la parole”. Il cite Oumar Dao dit Baron, qui n’a jamais rien commandé et qui avait la peur du terrain, lui en voulait pour ne pas l’avoir nommé à l’EMP (p 74). Ce dernier le remplacera à son poste.

Me Kassoum Tapo “opportuniste, bavard de la loi” (p 85) autrement “un énergumène qu’il dit n’avoir jamais rencontré”, tous ceux-ci associés à bien d’autres ont apporté au complot qui l’a mis derrière les barreaux. Pour couvrir la cabale, l’auteur écrit que SBM n’eut aucune difficulté à trouver en la personne de Yaya Karembé “un comparse et non moins cynique juge pour y mettre le vernis juridique” (p 115). Yaya Karembé, un individu froid, calculateur et diabolique (p 109), représente pour l’auteur l’espèce de magistrat qui n’honore pas la corporation. Il associe à l’image scabreuse du juge d’instruction deux autres magistrats Elie Kéita et Boureima Coulibaly avec lesquels il n’est pas non plus tendre.

De rebondissement à rebondissement, l’affaire a été requalifiée plusieurs fois avec en toile de fond la grossière accusation de sa complicité en ayant signé le document de déploiement à Gao des bérets rouges déjà morts. Tout ce que le ministre rétorque ! Il explique schéma à l’appui le processus de déploiement des effectifs, la direction opérationnelle et la Situation de prise d’armes.

Il insinue que Didier Dacko, commandant du théâtre des opérations, qui a reçu les effectifs et constaté les absences n’en a jamais signalé, pis il n’a jamais non plus reversé leurs primes mais se contentant de pavaner devant les caméras pour faire le héros (p 101).

L’obscur directeur de la sécurité militaire, le colonel-major Boubacar Kéita, “faquin habitué des salons qui espérait sa part de prime-prix de la délation et de l’indignité” (p 118-119) est un autre des conjurés.

IBK, “L’autocrate sanguinaire” (p 242) serait un “passager clandestin du mouvement démocratique aux glandes lacrymales particulièrement fertiles – signe d’hypocrisie et de penchant théâtral – pris par le tournis du pouvoir, venait, il n’y a pas si longtemps, déversé des torrents de larmes à Kati, en criant sa misère”. (p 106) Il écrit que le président lui aurait instruit de ne pas accorder de marché au fils de Nancoma Kéita, l’un des plus fidèles au RPM et qu’en ayant passé outre l’instruction, il a sûrement creusé la distance de bonne foi (p 195).

Yamoussa accuse SBM d’avoir pillé les ressources du MDAC (ça ne devrait pas être compliqué, puisque l’infraction (de détournement) est avérée) (p 182), grave accusation qu’il convient de déférer par la victime à la justice, qui n’est pas celle des “magistrats ensorcelés et corrompus” (p 182). Il tresse des couronnes de lauriers au procureur général Daniel Tessougué, “un magistrat honnête et discret” (répétition p 202), et au député Karim Kéita qui a assisté sa famille durant les derniers moments de sa vieille mère.

Yamoussa croit que tous les contempteurs iront en enfer “Dieu la leur rendra dans les feux de la géhenne” (p 172) avant de révéler son regret d’avoir été le collaborateur du “Roi fainéant” “Je ne regrette rien sauf d’avoir été CEMP”. (p 305).

“Jamais dans l’histoire du Mali, un gouvernement n’aura autant instrumentalisé la justice pour manipuler l’opinion” (p 124), certes mais que dira-t-on des célèbres jugements expéditifs de 1964 contre Fily Dabo, Hamadoun Dicko et Maraba Kassoum (1962) ou des Neuf salopards (1978).

A la 7e partie du livre, l’auteur, puisant dans sa riche et très longue expérience, fait le diagnostic des difficultés conjoncturelles et structurelles assorti de propositions pour redorer le blason d’une armée en difficulté.

Le livre suscite de nombreuses questions même après lecture. Toutefois, le clivage extrême de la société ayant induit un climat politique et social survolté a tendance à ne laisser place à aucune objectivité. Tout est sujet à polémique, tout est suspicieux… Je m’en garde pour ce faire afin d’éviter des procès d’intention. Moi, auteur d’une biographie d’un des acteurs concernés pourrait rapidement être vu comme sbire à la solde de son personnage à cause de ce climat d’intolérance alors que simple passionné de lecture, je me suis procuré le livre pour le lire comme à mes habitudes chaque jour et chaque fois.

Le ton utilisé, l’angle de traitement et le statut politique des personnalités en cause dans le contexte actuel du pays rendent davantage délicat toute critique littéraire objective mais tout de même, des questions demeurent et qu’il faudrait un jour avoir le courage de poser à l’auteur quand le calme reviendra dans notre pays et que la passion du débat retombera à des proportions de raison.

Pourquoi le Malinké bon teint est resté en poste dès lors que le patron, autre Malinké qui a requis ses services ne lui adressait plus la parole ?

Pourquoi le SMS envoyé au colonel-major Boubacar Kéita (p 119) pour demander des nouvelles d’un béret rouge, n’a-t-il pas donné suite à une lettre en bonne et due forme pour instruire des enquêtes et servir de traces pour l’Histoire ? Ce sont des questions… qui démangent le lecteur assidu du livre.

Yamoussa a enfin le mérite d’avoir fait ce que nombre de responsables n’ont pu faire : c’est-à-dire écrire pour la postérité.

Enfin, l’éditrice que je connais très bien a réussi un sacré coup pour une aventure si nouvelle. Elle a su imprimer au livre la qualité qui a fait son succès elle-même en tant qu’écrivaine, tout en laissant à l’auteur la liberté du ton et la densité de la charge.

 Moussa CISSE

Paris, en France

 

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