Pr Yoro Diakité, à propos de la côte d’Ivoire :«L\''enjeu de cette crise va nettement au-delà de la banale question de savoir \qui a gagné ?\"»"

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Le Mali vient d’acquérir, ce mardi  18 janvier 2011, la triste renommée historique de pays où les chefs d’Etats-majors des pays de la CEDEAO ont peaufiné pendant trois jours la décision d’aller casser le seul pays économiquement viable de l’Afrique de l’Ouest, en vue d’y installer par la force un président qui sera responsable devant la CEDEAO et la communauté internationale, et non pas responsable devant son peuple qui ne l’a pas investi.

Les appels de lever de fonds pour plusieurs centaines de millions d’euros sont déjà lancés pour aider les pays qui reçoivent des réfugiés, pour financer la guerre à la Côte d’Ivoire et pour réparer les destructions physiques et humaines du pays. La CEDEAO, pour se prémunir des accusations de génocide qu’elle s’apprête à perpétuer en Côte d’Ivoire, est allée demander la couverture des Nations Unies.

Je m’insurge, absolument contre cette guerre. Ce faisant je sais que je nage à contre courant de nombreuses voix qui demandent une intervention militaire urgente de la CEDEAO pour déloger Gbagbo. Certains demandent sa mise à mort et celle de Blé Goudé, afin de laisser le champ libre à Alassane Ouattara qui pourra réaliser, enfin, son ambition longtemps affirmée de gouverner la Côte d’Ivoire. Il semble que ce soit là l’objectif caché de la communauté internationale de faire de la Côte d’Ivoire l’exemple d’un Irak africain .Ce sera là une grande méprise .C’est pourquoi j’ai décidé de dire mon mot sur la crise post- électorale en Côte d’Ivoire pour être en paix avec ma conscience démocratique.

L’enjeu de cette crise va nettement au-delà de la banale question de savoir "qui a gagné ?" ou encore "pour ou contre qui, es-tu ?". De surcroît, il me semble absurde de ne voir dans ce conflit qu’une question de personnes et de le réduire à une simple question de crise post -électorale.

Il est difficile, dit-on, de choisir entre la  peste et le choléra. Certes. Mais quand le vin de palme est déjà tiré en Côte d’Ivoire, il faut bien le boire. Autrement dit, tout en dépassant le dualisme Gbagbo- Alassane Ouattara, il est indispensable d’apporter des éclaircissements autant que possible, sur les enjeux de la crise, et de tenter des éléments de solution la moins douloureuse pour le peuple ivoirien déjà meurtri dans une guerre qui n’est pas la sienne.

 1-  La crise post -électorale

Rappelons brièvement les faits tels que reconnus par tous.

Tout le monde convient que " les élections présidentielles en Côte d’Ivoire se sont déroulées dans des conditions peu optimales pouvant assurer une réussite certaine, à cause de la " partition "  de fait du territoire national, de la souveraineté du pays malmenée par divers compromis boiteux, et du processus inachevé de désarmement de la rébellion La Commission Electorale Indépendante chargée , d’après la Constitution et la Loi électorale d’organiser les élections et d’en proclamer les résultats provisoires selon le mode de " consensus " n’a pu le faire dans le délai officiel des 72 heures après la fermeture des bureaux de vote . Ses 31 membres n’ayant pas pu trouver le consensus requis par les accords signés par les parties, son président s’est fait conduire en pleine nuit par deux ambassadeurs occidentaux au siége de campagne du candidat  Alassane Ouattara pour proclamer unilatéralement ce dernier vainqueur, du deuxième tour.

            Pour les patriotes et démocrates révolutionnaires, cette circonstance seule suffisait à disqualifier à jamais Alassane Ouattara. Je sais que les peuples africains ont avalé et avaleront des couleuvres encore plus grosses que cette ingérence inadmissible des ambassadeurs dans les affaires d’un Etat souverain. Mai là, trop c’est trop ! Pour les occidentaux racistes et paternalistes nous ne sommes que des nègres ! Mais nous devons refuser d’être pris pour des canards sauvages sur qui l’on peut toujours impunément tirer. Sous quels cieux une commission électorale peut proclamer des résultats définitifs d’une élection présidentielle ? Seulement au pays des nègres entretenu et patronné par le capital financier international ! Alassane Ouattara se rend bien compte du ridicule du bonnet international dont on l ‘a coiffé, puisse qu’il a demandé par écrit au Conseil Constitutionnel de procéder à son investiture !

            S’ appuyant sur des allégation d’irrégularité et de fraudes dans certaines régions du pays , le Conseil Constitutionnel, qui en tant qu’organe juridique suprême en matière électorale, avait seul la prérogative de proclamer les résultats définitifs , a annulé les résultats à ses yeux truqués du scrutin dans les trois départements de la vallée du Bandama. Sans demander que les élections y  soient reprises, que les chiffres sur les procès verbaux soient revalidés  ou que les votes y soient recomptés, il a proclamé Laurent GBagbo vainqueur. En conséquence, les deux candidats s’arc- boutent chacun sur sa position malgré la frivolité des faits sur lesquels ils s’appuient, et malgré les menaces de guerre que leur entêtement fait peser sur le pays, et les risques mortels auxquels ils s’exposent et exposent leurs compatriotes. Depuis lors, deux logiques incomplètes s’affrontent à mort, avec une menace infondée d’intervention militaire extérieure.

2-La Décision de la CEDEAO

La CEDEAO commettra une grave erreur historique si elle intervenait militairement en Côte d’Ivoire pour asseoir par la force Alassane Ouattara au pouvoir. Elle prendra ainsi la lourde responsabilité d’ouvrir en Côte d’Ivoire une longue période d’instabilité sociale aux conséquences humaines et économiques incalculables, non seulement pour toutes les populations vivant en Côte d’Ivoire, mais aussi pour les pays frontaliers tels que le Mali et le Burkina Faso. Elle renforcera aussi le camp de ceux qui caressent depuis longtemps l’idée de la partition de la Côte d’Ivoire.

La CEDEAO, en envoyant des émissaires en Côte d’Ivoire non pas pour rechercher une solution de paix, mais juste pour signifier à Laurent Gbagbo de partir, commet aux moins deux fautes.

Premièrement, en écartant d’emblée toute solution politique ou diplomatique, la CEDEAO se prive, du même coup, de la possibilité d’arriver à une solution objective dans la crise en Côte d’Ivoire. La CEDEAO devait partir du fait qu’il y’a eu  dans ce pays déjà très fragilisé politiquement, l’élection la plus chère d’Afrique. L’organisation des opérations préélectorales et du scrutin présidentiel auraient coûté  261 milliards de francs CFA dont 242 milliards, soient 93%, payés par l’Etat Ivoirien, c’est-à-dire les pauvres contribuables, selon Achelle Mbembe dans son article intitulé, "Côte d’Ivoire : La démocratie au Bazooka". Le traitement de l’échec d’une telle élection devait mériter de la part de la CEDEAO, beaucoup plus de calme, de sérieux et de responsabilité, qu’il n’en a été. La CEDEAO était la seule force, la seule organisation dotée d’un minimum de légitimité lui permettant de se saisir de l’ensemble des documents auprès du Conseil Constitutionnel aux fins d’arbitrage et dans le but de mener le processus électoral à son terme, avec la collaboration des deux camps. En  déclarant sans enquête aucune, Alassane Ouattara vainqueur du deuxième tour, elle conteste du même coup l’autorité de l’organe juridique suprême de Côte d’Ivoire en matière d’élection. Disposant des procès verbaux des bureaux de vote, des rapports des délégués du Conseil Constitutionnel et de ceux du gouvernement, de même que les rapports des superviseurs de L’ONU, la CEDEAO était à même de conduire le travail technique de vérification, de couplages d’informations et de décompte minutieux dans les bureaux de vote où les résultats sont contestés. En refusant de saisir cette opportunité et en continuant d’exiger unilatéralement  le départ  de Gbagbo.Au besoin par la force,la CEDEAO a définitivement fermé la porte à une paix durable en Côte d’Ivoire , tout en alimentant les velléités de nombreux va -t’en guerre dont certains en appellent même à l’intervention de la  communauté internationale, avec la France en tête comme ancienne puissance coloniale.

La CEDEAO doit savoir que si  la guerre qu’elle prépare   a lieu, elle sera une  guerre contre les civils dont les pertes en vie humaines seront incalculables. La CEDEAO doit mesurer et assumer sa  responsabilité devant  l’histoire, car la bénédiction de l’ONU, ne saurait autoriser un pays ou groupe de pays à  commettre un génocide  dans un pays indépendant et souverain ; d’autant qu’elle agirait en toute illégalité, car il n’existe à ce jour, ni dans le droit international, ni dans les conventions Africaines aucune clause prévoyant le recours à une force extérieure pour fonder la démocratie ou la restaurer à la suite d’un contentieux électoral. Deuxièmement, en répondant oui à l’appel de la communauté internationale et en acceptant d’être son bras armé en Côte d’ivoire, la CEDEAO montre, non  seulement son manque d’autonomie, mais aussi son incapacité à prendre des initiatives créatrices devant les grandes questions de la Sous- région. Elle confirme aussi le vieux préjugé paternaliste de nos colonisateurs, que l’Afrique est composée de Républiques bananières dirigées par des rois nègres bon-enfants. Cette situation est cruellement  similaire à celle où nos souverains d’antan réduisaient en esclavage leurs peuples pour les vendre aux négriers contre des pacotilles.

      La Communauté internationale et la CEDEAO ont perdu toute crédibilité dans le règlement du conflit Ivoirien. Qu’ils mettent à mort ou pas Gbagbo et son 

 Clan , la seule issue qu’ils auront réussi à ouvrir pour la  Côte d’ivoire, c’est la guerre civile déjà commencée en 2002 par les "Forces Nouvelles " au compte de Alassane Ouattara, contre un président démocratiquement élue. Cette guerre civile vient d’être remise à l’ordre du jour, et  réactualisée par la situation du moment où l’on a décidé d’aller aux  élections à pas de charge, alors que les " Forces Nouvelles " n’ont pas été complètement désarmées.

    3- Y’a-il dualité de pouvoir en Côte d’Ivoire ?

Non ! Il n’y a aucune  dualité de pouvoir en Côte d’Ivoire au sens où coexisteraient deux régimes sociaux de nature de classe opposée. Il y a formellement deux " Présidents" et deux "Gouvernements", mais se mouvant tous deux dans des rapports sociaux de caractère bourgeois. Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara se livrent une lutte à mort dont l’enjeu n’est ni la démocratie, ni le développement réel de la Côte d’Ivoire, mais bien l’accaparement des rentes sur fonds d’exploitation, de pillage et de corruption.

            Du point de vue des intérêts objectifs des exploités, de tous ceux qui créent la richesse en Côte d’Ivoire mais n’en profitent pas, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, c’est  "bonnet blanc et blanc bonnet". Ils représentent deux fractions bourgeoises de la Côte d’Ivoire : la fraction libérale- populiste portée par Gbagbo, et la fraction ultra- libérale portée par Alassane Ouattara, tous deux, mondialisation oblige, inféodés à des degrés divers au capital financier international. Ni l’un, ni l’autre, ni les intérêts bourgeois qu’ils portent, ne représentent l’avenir de la Côte d’Ivoire.

4- Mais qui sont les juges ?

L’on n’a vraiment pas besoin de longs commentaires pour montrer qu’aucun chef d’Etat de la sous- région Ouest africaine ne peut donner de leçon de démocratie à qui que ce soit. Il en va de même de l’écrasante majorité des Présidents des Etats de l’Union africaine. A tout seigneur, tout honneur. Commençons par le Premier Kenyan Raila Odinga choisi par l’Union Africaine comme médiateur de la crise Ivoirienne. Il a accepté  plus de 1500 morts dans son pays après l’élection présidentielle de 2007 avant d’entrer dans le gouvernement d’un Président qu’il qualifiait la veille de " tyran sanguinaire". Tout près de nous en 2000, Laurent Gbagbo a été à la suite d’un scrutin qu’il n’a pas organisé, reconnu par la classe politique Ivoirienne et la Communauté internationale.  Mais en 2002, son régime a été l’objet d’une tentative de coup d’Etat dont les putschites finiront par occuper militairement la moitié nord du pays qu’ils gouverneront à leur guise. Ni Alassane Ouattara, ni Konan Bedié, ni la CEDEAO, ni la communauté internationale n’ont, à l’époque, proposé une intervention militaire pour protéger un gouvernement dont tous reconnaissaient la légalité. Au contraire, la communauté internationale et la CEDEAO mettront tout en œuvre pour faire bénéficier les putschistes des honneurs de la République Ivoirienne.  Les dérapages électoraux et les contentieux post- électoraux souvent meurtriers sont monnaie courante en Afrique. Mais jamais on a eu recours à une intervention militaire pour les résoudre.

Comment justifier en droit, l’utilisation de la force militaire par des Etats voisins ou étrangers pour résoudre des conflits post- électoraux dans un pays indépendant et souverain ? Avec quelle qualité de la démocratie et quels critères démocratiques  doivent remplirent les pays de la CEDEAO qui doivent envoyer des soldats en Côte d’Ivoire ? Poser ces questions, c’est mettre fin à l’intervention militaire, sauf que la CEDEAO répond à un impératif, servir de bras armé à la communauté internationale pour imposer Alassane Ouattara, Président de la Côte d’Ivoire.

La France, qui proclame Alassane Ouattara président reconnu de Côte d’Ivoire, fera mieux de s’occuper de la Belgique, pays membre de l’Union Européenne, mais qui depuis juin 2010 n’a pas de gouvernement .Quant aux Etats occidentaux en général, nous l’avons déjà dit, ils ont perdu toute crédibilité dans le règlement des conflits électoraux en Afrique. La liberté, les droits de l’homme et la démocratie qu’ils ne cessent d’invoquer, sont systématiquement foulés aux pieds chaque fois qu’il s’agit des vies nègres. Depuis plus de 50 ans maintenant, ils ont toujours donné leur appui actif et multiforme aux régimes des partis uniques, aux dictatures militaires et à toutes formes de répressions sanglantes contre les peuples africains en quête de liberté et de démocratie. Ils ont suscité, encouragé et soutenu partout où besoin est, des guerres de sécession comme au Biafra et au Katanga.

 La communauté internationale n’est pas en reste. Patrice Lumumba, Premier ministre démocratiquement élu de la République du Congo a été assassiné avec la complicité de l’ONU. Plus près de nous, cette même communauté Internationale a fermé les jeux sur les génocides du Rwanda, au Darfour, ou en République Démocratique du Congo. J’en passe car la liste est longue. Les Africains ne doivent accorder aucune valeur aux prescriptions morales de la Communauté Internationale tant qu’elle appliquera ses principes et ses sanctions avec la politique de" deux poids, deux mesures". Israël n’a jamais accepté aucune des résolutions de l’ONU. Mais jamais il n’y a eu ni sanction, ni proposition d’intervention militaire pour mettre fin à l’occupation et à la construction des colonies de peuplement en Palestine.

C’est dire que la CEDEAO et la Communauté Internationale se posent en donneur illégitime de leçon de morale démocratique à la Côte d’Ivoire.                            

                                                       (A suivre)

Pr Yoro DIAKITE

 

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