Pr Makan Moussa Sissoko à propos des réformes constitutionnelles : \”Il est faux d’affirmer que les pouvoirs du président sont renforcés\”

0

Dans un brillant exposé qu’il a présenté la semaine dernière aux 54 députés du Groupe parlementaire ADEMA-PASJ au siège du parti, le 2ème Secrétaire politique du parti de l’Abeille solitaire, un constitutionnaliste de classe exceptionnelle, l’ancien ministre Pr Makan Moussa Sissoko, c’est de lui qu’il s’agit, a magistralement décortiqué le projet de réformes constitutionnelles initiées par ATT. Le président de l’Association Malienne de Droit Constitutionnel a indiqué que les déclarations selon lesquelles les réformes institutionnelles proposées par le Comité Daba Diawara ont renforcé les pouvoirs du président de la République sont fausses. Lisez plutôt l’analyse de cet expert.

Tout d’abord, pour se comprendre, il faut recadrer la mission confiée au Comité d’Expert "Réfléchir aux voies et moyens pour consolider le régime politique national". Nous n’avions pas les pouvoirs d’une Constituante, donc nous n’avons pas vocation à changer la nature du régime politique fixée par la Conférence Nationale. La nature du régime politique national est à préciser, pour que l’on se comprenne. Nous sommes bel et bien dans un régime politique particulier, le régime semi-présidentiel ou semi-parlementaire, comme on veut. C’est un régime politique hybride créé par le Général de Gaulle qui a été adopté par le constituant originel lors de la Conférence Nationale.

Dans le monde démocratique moderne, il existait deux régimes politiques : le régime présidentiel créé par les Etats Unis, le régime parlementaire créé par la Grande Bretagne.

A cause du conflit entre le monde anglo-saxon et la France, le général De Gaulle, dans sa lutte contre l’hégémonie anglo-saxonne, a imaginé, dès 1946 (Discours de Bayeux), un autre système qu’il n’a réussi à créer qu’en 1962. Cette date est importante comme on le verra par la suite.

Mis en minorité, à la création de la IVème République, le Général s’est retiré à Colombey pour assister au naufrage de cette République, le régime des Assemblées, comme il l’avait prévu.

L’échec du régime parlementaire consommé, on a appelé le Général De Gaulle comme recours. En revenant aux affaires, il a imposé sa réforme par étapes. A cause du rapport des forces, la Constitution de 1958 qui marquait la naissance de la Vème République a institué un régime parlementaire classique.

Un exécutif à deux têtes, un président de la République élu au suffrage indirect et un Premier ministre, émanation de l’Assemblée Nationale, la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale, la possibilité de dissolution de l’Assemblée par le président de la République. Ainsi, de 1958 à 1962, le Général s’est appuyé sur un Premier ministre politique, Chef de la majorité, Michel Debré. C’est après avoir installé progressivement son pouvoir, qu’il est passé en force pour créer son système politique, le régime semi-présidentiel.

Après une bataille homérique avec l’Assemblée nationale (dissolution), il a réussi à mettre la dernière main à son projet, l’élection au suffrage universel direct du président de la République.

La Vème République, pensée et imaginée par le Général, venait de naître. Le peuple ayant massivement approuvé la réforme, le président de la République est devenu la clé de voûte du système, le véritable Chef de l’Exécutif. C’est ainsi qu’il a pu nommer Georges Pompidou, son Directeur de Cabinet, Premier ministre. Cette date marque le véritable début de la Vème République. Ce rappel historique était nécessaire pour comprendre le régime adopté par la Conférence Nationale avec la Constitution de février 1992. La mission du CARI était donc d’améliorer ce système, à l’aune du vécu.

Honorables députés, la Loi constitutionnelle adoptée par votre auguste Assemblée en 2000 a été complètement intégrée à notre réflexion. Toutes les avancées réalisées par cette loi ont été intégrées au texte soumis à votre réflexion. Certes, il y a eu d’autres propositions mais aucun retrait.

Je m’en vais maintenant vous présenter l’ossature de la nouvelle Constitution et me tenir prêt à répondre à toutes vos interrogations. Notre projet vise à renforcer les trois pouvoirs, piliers de toute démocratie : l’exécutif, le législatif et le judiciaire

I – Renforcement du Pouvoir Exécutif

1. Réaménagement des pouvoirs au sein de l’Exécutif

La constitution du 25 février 1992 stipule : "Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation…"

Dans le projet soumis à votre réflexion, il est clairement stipulé que le président de la République "définit la politique de la nation…le gouvernement conduit la politique de la Nation et dispose à cet effet de l’administration et de la force armée…" Le réaménagement proposé comporte trois aspects : l’attribution au président de la République du pouvoir de définir la politique de la nation, la conduite de la politique par le gouvernement, la suppression de la déclaration de politique générale.

Honorables députés, je voudrais vous dire que cette réforme ne vas pas accentuer la " présidentialisation du régime ", n’en déplaise aux cassandres.

Le président de la République, élu au suffrage universel direct, est le porteur, l’homme d’une politique. Il s’agissait pour nous de faire entrer dans le droit positif une pratique institutionnelle permanente de notre système politique.

Le président de la République, ayant proposé à la Nation, une politique, une vision, est obligé de s’impliquer dans la gestion de l’Etat pour veiller au respect de son programme, de son projet politique. Donc, il est important qu’il lui soit attribué la prérogative constitutionnelle de définir la politique de la nation qui se confond, pendant la durée de son mandat, avec son projet politique.

N.B : C’est la conséquence logique qui aurait du être tirée en France dès 1962 avec la réforme instituant l’élection du président de la République au suffrage universel direct. La Commission Balladur l’a d’ailleurs proposée. Ainsi, c’est la France qui va s’inspirer de la pratique institutionnelle africaine (Alpha Oumar Konaré). En effet, depuis 1962, le véritable chef de la majorité en France c’est le président de la République d’où la forte stabilité des institutions de la Vème République par rapport à la IVème République.

A notre avis, il est tout à fait normal que celui qui a reçu, par la voie du suffrage universel direct, l’investiture du peuple, conduise les destinées de la nation et indique la politique à suivre. Cela a toujours été ainsi sous la IIIème République.

Le président Alpha Oumar Konaré a ainsi toujours balisé l’action gouvernementale avec les communiqués et autres directives qui ont accompagné la formation des gouvernements et leur ont fixé des objectifs. Son successeur en a fait de même avec les lettres de cadrage, les lettres de missions, feuilles de routes, etc. Ainsi, le transfert formel au président de la République de la compétence de définir la politique de la Nation ne rend pas le régime plus présidentiel qu’il ne l’est déjà.

En outre, cette pratique est conforme à la perception malienne du pouvoir de 1960 à nos jours (Parti – CMLN – BE).

Le réaménagement proposé est essentiellement fonctionnel. Le projet soumis à votre réflexion, honorables députés, en a tiré aussi une conséquence logique, la suppression de la Déclaration de Politique Générale comme document pouvant engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée Nationale.

Dans le nouveau dispositif, le gouvernement ne peut engager sa responsabilité devant l’Assemblée Nationale, hormis sur le vote d’un texte normatif, que sur un programme.

Le président de la République fixe les objectifs généraux qu’il entend poursuivre et les grandes orientations stratégiques qui doivent les soutenir (messages au parlement). Il appartient alors au gouvernement d’élaborer un programme de gouvernement pour définir : les objectifs spécifiques, les stratégies sectorielles, les moyens d’exécution.

Ceci participe du renforcement du pouvoir législatif en ce sens qu’il facilite considérablement le contrôle de l’action gouvernementale. En fait, ce système nous rapproche plus du régime parlementaire rationnalisé que du régime présidentiel.

Dans le régime parlementaire rationnalisé (GB – RFA – ITALIE). Le Premier Ministre élu au suffrage universel direct, en réalité, bien que la fiction demeure, détient tous les pouvoirs. Dans le couple exécutif, l’élection au suffrage universel direct assure la prééminence. Le Président de la RFA, le Président du Conseil Italien sont élus au suffrage indirect c’est pourquoi ils ont moins de pouvoirs que le Président français élu au suffrage universel direct. Le président français correspond plus au Premier Ministre du régime parlementaire rationnalisé.

Le chancelier allemand, le Premier Ministre britannique ont les mêmes pouvoirs même plus que le Président de la République française parce que dans le régime parlementaire rationnalisé aucune cohabitation n’est possible.

Au Mali, vu la concordance des mandats, le risque de cohabitation est mince. Le Président, élu en même temps que l’Assemblée nationale, se constituera une "majorité présidentielle" pour gouverner le pays. La France, en ramenant le mandat présidentiel à 5 ans, comme le mandat des députés, a réduit considérablement les risques de cohabitation.

2          – Les pouvoirs propres du président de la République

Beaucoup affirment que le projet accorde au Président de nouveaux pouvoirs qui altèrent la nature même du régime. Il s’agit là d’affirmations gratuites. Le rapport présenté par la mission de réflexion sur la consolidation de la démocratie précise clairement que le régime semi-présidentiel est maintenu. Le projet de loi soumis à votre réflexion, honorables députés, contient toutes les caractéristiques dudit régime : élection au suffrage universel direct du président de la République, partage du pouvoir exécutif entre le président de la république et le Gouvernement, droit de dissolution de l’Assemblée Nationale, responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée Nationale, motion de censure.

A part l’élection au suffrage universel direct, nous n’avons aucun élément du régime présidentiel qui se caractérise par les traits suivants : exécutif monocéphale – absence de Gouvernement = Administration présidentielle, indépendance absolue entre Exécutif-Législatif. Aucune dissolution possible. Pas de possibilité de motion de censure

Il est faux d’affirmer que les pouvoirs du président sont renforcés, que la réforme propose une dictature du président de la République. Aucun élément du régime présidentiel n’est retenu par la réforme.

Le président de la République a toujours eu le pouvoir discrétionnaire de nomination du Premier ministre et des ministres : le Président Alpha Oumar Konaré a fait participer au Gouvernement de nombreux partis politiques et nommer au gouvernement des Hommes et des Femmes qui lui semblaient les mieux indiqués pour gérer les affaires publiques en appliquant son programme. Il n’y a donc rien de nouveau en ce qui concerne le gouvernement.

Les autres pouvoirs de nomination du président de la République ne sont pas plus importants que ceux qui existent dans d’autres régimes semi-présidentiels.

En France, c’est le Président de la République qui nomme le président du Conseil Constitutionnel, le président du Conseil Supérieur de l’Audio-visuel et toutes les autorités administratives indépendantes (Médiateur – président de la Cour des Comptes, etc).

Ceux qui considèrent que cela réduit l’indépendance de ces institutions font une insulte aux Hommes et Femmes appelées à ces fonctions. Leur indépendance est assise sur la durée et le caractère non renouvelable du mandat, le fait de ne recevoir d’instructions d’aucune autre autorité.

En ce qui concerne l’Agence Générale des Elections, nous sommes allés plus loin, en donnant au président de la République une compétence liée, subordonnée. Le Directeur Général est choisi par le Président de la République, sur une liste proposée par le conseil d’orientation et de contrôle de l’Agence dont aucun membre n’est désigné par le Président de la RépubliqueII – Renforcement du pouvoir législatif

Le projet proposé à votre auguste Assemblée vise à renforcer le pouvoir législatif avec : le renforcement du contrôle parlementaire, le réaménagement de la procédure législative, le réaménagement du régime électoral des parlementaires, la création d’une seconde chambre, le Sénat.

Le Renforcement du Contrôle parlementaire

Le projet de réforme retient toutes les modalités de mise en jeu de la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée Nationale prévues dans l’ancienne Constitution.

L’aménagement important proposé est que dorénavant "le Premier Ministre ne peut plus engager la responsabilité du Gouvernement sur une Déclaration de Politique Générale, mais exclusivement sur un programme".

En outre, le projet renforce les mécanismes de contrôle qui, jusque là, sont prévus par le Règlement de l’Assemblée Nationale par l’institution d’une séance mensuelle de questions au Gouvernement. Pour le contrôle de l’exécution de la Loi de Finances, l’évaluation des politiques publiques et les missions des commissions d’enquête parlementaire, le projet institue l’assistance du parlement par la nouvelle Cour des Comptes et le Vérificateur Général.

Ainsi, l’obligation pour le Gouvernement de rendre compte est érigé en principe constitutionnel.

N.B : La fixation de l’ordre du jour des Assemblées est réaménagée. Une séance par mois est réservée par priorité à l’ordre du jour fixé par chaque Assemblée.

L’inversion de la durée des sessions participe aussi de la volonté de réduire les sessions extraordinaires qui se sont imposées comme complément naturel des sessions ordinaires parce que les priorités du Gouvernement ne sont pas nécessairement prises en compte par l’article 50 de votre Règlement Intérieur "Les Projets et Propositions sont examinés dans leur ordre d’arrivée".

Le réaménagement proposé participe de la recherche du compromis nécessaire entre l’Exécutif et le Législatif.

B – La création du Sénat

La création du Sénat est l’un des points les plus discutés du projet de réforme. Nous avons estimé qu’il existe au moins cinq bonnes raisons de créer le Sénat : la suppression du HCCT qui créé un vide institutionnel, le Sénat est plus à même de donner une forte impulsion aux politiques de décentralisation et de promotion des Maliens établis à l’extérieur, l’amélioration de la qualité du travail législatif, l’équilibre du pouvoir législatif (bicaméralisme), le renforcement du caractère démocratique de la révision constitutionnelle par le parlement.

NB : Les risques ont été évalués et analysés

C – Le Régime électoral

Le régime électoral des parlementaires est réaménagé. Trois innovations majeures sont proposées : la possibilité ouverte de l’élection des députés suivant un système mixte combinant le scrutin uninominal majoritaire à un tour et la représentation proportionnelle ; la définition du mode d’élection des sénateurs ; un nouveau régime de vacances de sièges.

III – Réorganisation du pouvoir judiciaire :

Le pouvoir judiciaire est aussi organisé.

La nouvelle Cour Suprême demeure une Institution de la République : section judicaire et section administrative. Mais elle ne reçoit plus le serment du président de la République élu. Il est ouvert au Médiateur de la République la possibilité de consulter la Cour Suprême sur toutes les questions de droit.

La Cour des Comptes est créée. Elle assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l’exécution de la Loi des Finances et l’évaluation des politiques publiques.

La Haute Cour de Justice est réorganisée et perd la qualité d’Institution de la République. La Cour Constitutionnelle est réorganisée. Son rôle est modifié en matière électorale.

Le projet de réforme prend en compte le bicaméralisme en matière de régulation du fonctionnement des Institutions et lui confère l’exercice du contrôle de constitutionnalité par voie d’exception et ouvre, pour consultation, son accès au Médiateur de la République.

Le Président de la Cour Constitutionnelle est nommé par le Président de la République. Enfin, le Conseil Economique Social et Culturel est profondément réorganisé avec la réduction de son champ d’intervention.           

Makan Moussa Sissoko

Président de  l’Association Malienne de Droit Constitutionnel, Directeur général de l’ANPE, Ancien ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle

 

 

Commentaires via Facebook :