Au risque de paraître un rabat-joie, je vais oser m’exprimer de nouveau espérant inciter à la réflexion et inviter à savoir garder la raison. Le Comité National de Salut du Peuple (CNSP) variante du Comité de Réconciliation Nationale (CNR) n’a pas suspendu encore moins abrogé la Constitution du 25 février 1992 adoptée par la Conférence Nationale Souveraine du Mali tenue du 29 juillet au 12 août 1991 et promulguée par le Lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré, Chef de l’Etat de la transition de 1991.
Le CNSP a cru devoir ajouter à cette loi fondamentale une Charte de la Transition censée être au-dessus de la Constitution du 25 février 1992 dans toutes les dispositions en contradiction avec celles de la Charte.
Cette situation a fait dire à un grand avocat et homme de culture Me Cheick Oumar Konaré, que le Mali vit dans un régime d’exception basé sur un bricolage juridique.
Les Autorités de la transition sont libres d’être des Adeptes du bricolage juridique, mais elles ne doivent pas oublier que ce que la Communauté internationale leur demande est simple : Se conformer aux textes régissant le Mali ; notamment l’article 121 de la Constitution qui en son alinéa 2 dispose : « Tout coup d’Etat ou putsch est un crime imprescriptible contre le Peuple malien ».
Aucune loi fût-elle organique ne peut conférer une amnistie à un citoyen, si elle est contraire aux dispositions constitutionnelles. Les turpitudes d’autrui ne sauraient justifier les nôtres. Les modifications infondées des constitutions pour s’accorder un Troisième mandat à Alassane Dramane Ouattara, à Alpha Condé, ou plus anciennement à Paul Kagamé, Dénis Sassou Nguesso, à Paul Biya, ne sauraient autoriser que l’on torde le coup à une loi fondamentale du Mali.
Le non-respect de la Loi fondamentale du 25 février 1992, et du Protocole A/Sp1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix de de la sécurité du 21 décembre 2001 adopté par la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres de la Cedeao et le flou artistique entourant le mode de gestion du CNSP ne pouvaient qu’entrainer des sanctions de nature politique et non juridique. Ces sanctions ne sont pas totalement illégales et/ou illégitimes. Elles ont bel et bien une base juridique, nationale et régionale.
Il est vrai que ces sanctions ont une forte connotation politique avec le gel des avoirs du Mali déposés à la Bceao en vue de tenter de bloquer le fonctionnement de l’Etat dirigé par « un pouvoir établi par un pronunciamiento militaire ».
Les Maliennes et les Maliens ne doivent pas oublier que certains protocoles appliqués à d’autres Etats membres de la Cedeao avant le Mali ont été élaborés alors que deux fils du Mali étaient à la tête de l’organisation régionale ouest africaine.
La fermeture illégale des frontières malgré des mises en garde faites à qui de droit, a rendu effectivement ces sanctions inhumaines. Toutefois, cette fermeture viole le Protocole portant libre circulation des Personnes, des Biens et Services.
En fait ce qui est demandé aux Autorités de la transition, c’est la transparence :
Il est difficile dans les conditions actuelles d’organiser des élections sur toute l’étendue du territoire national de façon transparente, sincère et crédible, vu l’insécurité généralisée, dites-le clairement à la communauté internationale !
Vous pensez que les élections telles que organisées en occident ne sont pas conformes à la culture malienne, à son histoire, à sa sociologie, dites-le sans ambages !
S’il existe pour vous d’autres mécanismes de dévolution du pouvoir, dites-le sans tergiversations, ni détours !
Cinq colonels sont connus comme têtes pensantes du putsch du 18 août 2020, contre le régime du Président Ibrahim Boubacar Keita.
D’aucuns retiennent seize colonels comme les vrais maîtres du Mali.
Enfin d’autres affirment avec certitude qu’une Nouvelle classe politique, militaire en gestation pendant trente ans est au pouvoir et n’entend pas l’abandonner de sitôt. En tous les cas, pas avant d’instaurer le Malikura, rêve lancinant de toutes les Maliennes et de tous les Maliens.
A quoi aurait servi l’expérience des 22 ans, 4 mois et sept jours de pouvoir du Général Moussa Traoré si l’Armée « abandonne le Pouvoir en plein vol » comme dirait le Premier ministre le Dr. Choguel Kokala Maïga ?
Le CNSP et les intellectuels satellites sont convaincus que les conditions de prise de pouvoir du Lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré et celles du Colonel Assimi Goïta sont superposables.
Interrogeons les faits
Le 26 mars 1991, au matin, le Lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré et ses hommes campent à la Maison du Peuple après l’arrestation la veille du Général d’armée Moussa Traoré mettant fin à 22 ans, 4 mois et 7 jours de règne.
Le même jour, toujours au matin la Coordination des Associations et Organisations démocratiques se base à la Bourse du Travail, son siège depuis le vendredi noir du 22 mars 1991. Cette Coordination des Associations et Organisations démocratiques a mené de longues années de lutte multiforme contre la dictature d’un parti unique constitutionnel né en 1974, et mis sur les fonts baptismaux seulement en mars 1979.
La Coordination des Associations et Organisations démocratiques basée à la Bourse du Travail se composait essentiellement de l’UNTM, unique centrale syndicale des travailleurs du Mali : de deux associations politiques comprenant des femmes et des hommes d’horizons divers, de tout âge, sauf les mineurs, et de toutes confessions religieuses, de toutes les professions : le Cnid (Comité national d’Initiative démocratique), né le 18 octobre 1990 ; l’A.De.Ma née le 24 octobre 1990.
Les associations des jeunes membres de la Coordination née le vendredi noir, ont ouvert le Bal avec à leur tête l’Association des Jeunes pour la Démocratie et le Progrès (AJDP), née en marchant le 15 octobre 1990, des jeunes qualifiés de fous de la démocratie à l’époque ; l’Association de la Jeunesse Libre et Démocratique (JLD) ; l’Association des Demandeurs et Initiateurs d’Emplois (Adide).
Les Maliennes et les Maliens s’en souviennent encore et s’en souviendront pour longtemps espérons-le : le 22 janvier 1991, toute la famille judiciaire s’ébranle pour protester contre l’irrégularité, le mauvais fonctionnement de la Justice, contre l’abus de pouvoir d’un Procureur général. Les secrétaires des greffes et parquets, les greffières et les greffiers, les magistrats, entreprennent la première marche dans l’Histoire de cette catégorie sociale.
Elle se déroule du Tribunal de première Instance proche de la Place de la Liberté et du ministère de l’Education nationale, au Ministère de la Justice naturellement fermé aux marcheurs !
Après lecture de la déclaration de la Section syndicale nationale de la Justice, affiliée au Syntade (Syndicat National des Travailleurs de l’Administration de l’Etat), Me Fanta Sylla la dépose à la place où elle a été lue. Elle pose une grosse pierre sur cette déclaration pour éviter qu’elle ne s’envole.
Les initiateurs de la marche du 22 janvier 1991 entrent dans l’Histoire : Me Hamidou Diabaté, magistrat à l’Epoque des faits ; Me Bintou Maïga et Séméga Assitan Karembé toutes deux greffières ; les greffiers Me Madjé Traoré, Souleymane Keïta greffier en chef de la Cour Suprême et Secrétaire général de la section syndicale nationale de la Justice affiliée au Syntade, dirigée par un certain Boïssé Traoré, grand chef de l’UNTM avec le grand frère Bakary Karambé Secrétaire général ; les magistrats Mohamed Sidda Dicko, Hamèye Founé Mahalmadane Touré, déclencheur de « l’affaire dite Kallé » ; Amagouin Daniel Téssougué bien que servant à Ségou ; Boureima Kansaye non membre du bureau de la section syndicale de la Justice ; Louis Bastide président de la section administrative de la Cour Suprême et bien d’autres, ont tenu à participer à la marche.
Le Bâtonnier Me Drissa Traoré au nom du Barreau a affirmé la solidarité de l’ordre qu’il dirige en participant à la marche.
Me Demba Moussa Diallo Allias ça Globa, Président de l’AMDH (Association Malienne des Droits de l’Homme) et tous les membres de ladite association ont battu le pavé avec tous les marcheurs du 15 octobre 1990 au 26 mars 1991.
C’est peu dire que d’affirmer les femmes du Mali d’Est en Ouest, du Nord au Sud, de toutes les régions se sont mobilisés contre la dictature du CMLN/UDPM.
La figure de la Grande Taga Nouna, Kel Tamasheq de l’Adrar des Ifoghas se dresse dans ma mémoire, symbole significatif à mes yeux de l’Unité du Mali dans les épreuves !
Qu’elles soient membres ou non de la Coordination des associations et organisations démocratiques du 22 mars 1991, qu’elles disposent ou non de récépissé, l’APDF (Association pour le Progrès et la Défense des Femmes) de l’intrépide Fatoumata Siré Diakité (Paix à son âme) ; le Cadef (Comité d’Action pour les Droits de l’Enfant et de la Famille) né le 8 mars 1990 à l’initiative de la grande résistante à l’occupation coloniale et combattante inlassable contre la domination, l’oppression et l’exploitation des Peuples, Mme Soumaré Assa Diallo ; le Cofem (Collectif des Femmes du Mali) animé par les dames de fer Mesdames Adam Ba Konaré et Manassa Danioko, Mme Touré Rokiatou Bah, Mme Ben Barka Lalla Ataher Maïga, Mme Diallo Fanta Camara, Mme Sy Kadiatou Sow dite Salama, Mme Traoré Salimata Tamboura, Prof Bintou Sanankoua, ces organisations ont défendu l’Honneur des femmes du Mali constituant chaque jour le peloton de tête des marches. Du reste, n’ont-elles pas voulu monter à Koulouba pour déloger le dictateur le samedi 23 mars 1991, jour où le Secrétaire général de l’UNTM et désormais chef de l’Insurrection populaire entamée les mains nues, Bakary Karambé a décrété la grève générale illimitée.
L’UNTM rejoint officiellement les marcheurs après la visite de l’immeuble du Sahel Vert en flammes où se consumait la chevelure d’une dame, une soldate inconnue du 26 mars 1991. La scène bouleversante a fait couler beaucoup de larmes lors de cette visite par Karambé, Seydou Traoré Secrétaire général du Syndicat national de la santé et des affaires sociales et du Comité syndical de l’Hôpital du Point G ; Blo Samaké de la Commune V, Daba Diakité de l’INRSP (Paix à leurs âmes).
A quelques mètres de cet immeuble qui brûlait, le Pr. Aly Guindo, gastro-entéro-hépatologie, débout, le regard lointain semblait méditer probablement sur la Bêtise humaine après avoir vu l’Horreur !
La jeunesse, en tête l’A.E.E.M (Association des Elèves et Etudiants du Mali) benjamine des organisations des Elèves et Etudiants du Mali, de l’Uneem en particulier, a honoré son pays durant les longues années de braises singulièrement pendant les journées folles s’étalant d’octobre 1990 à mars 1991.
Les chasseurs du Mali n’étaient pas absents du champ de bataille pour la conquête de la démocratie. Les acteurs du 26 mars se souviennent probablement s’être réunis dans les domiciles des Chasseurs.
La nuit a été longue
Aussi devant l’ampleur de la mobilisation populaire, le chef du CNR (Comité National de Réconciliation), le Lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré appelé affectueusement ATT, ne pouvait que renoncer à l’entreprise de débaucher Un à Un les leaders des différentes associations et organisations démocratiques et se rendre à la Bourse du Travail, base des Insurgés depuis le vendredi Noir pour répondre aux questions posées par le doyen Prof Abderahmane Baba Touré à un Lieutenant venu le chercher sur instruction du chef du CNR :
Qui a pris le pouvoir ce mardi 26 mars 1991 ?
C’est le Mouvement Démocratique ; l’armée n’a fait que parachever son œuvre en n’apportant que sa toute petite pierre à l’édifice !
Où se trouve le pouvoir en ce jour du mardi 26 mars 1991 ?
Le pouvoir est à la Bourse du Travail, siège du Mouvement Démocratique, et c’est pourquoi, les éléments patriotes, démocrates et républicains de l’armée regroupés au sein du Comité de Réconciliation Nationale (CNR) ont fait le déplacement.
Il a fallu l’intervention du camarade Bakary Karambé et surtout celle de l’organisateur en chef des marches Soumeylou Boubèye Maïga (Paix à leur âme) pour arrêter les Etudiants et les élèves qui scandaient :
Mariko ! Mariko ! ‘‘An tè korololén fè, fo kura ! Kokajè ! Kokajè ! Kokajè !!! et qui tentaient d’empêcher nos hôtes du CNR d’entrer à la Bourse du Travail.
Ainsi naîtra dans l’après-midi du 26 mars 1991 le CTSP (Comité Transitoire du Salut du Peuple) et non CSP (Proposition du CNR) d’une durée de douze (12) mois et non de neuf (9) mois (proposition du CNR) et non plus de dix-huit (18) mois (proposition de l’Alliance pour la Démocratie au Mali, l’A.De.MA).
La transition va durer en réalité quatorze (14) mois avec la concession de deux mois faite par le Mouvement Démocratique à la demande du CNR qui avait tenté en vain de proroger la durée de la Transition pendant la Conférence Nationale Souveraine tenue du 29 juillet au 12 août 1991.
Les moins jeunes du Mouvement Démocratique se souviennent des débats houleux suscités par les manœuvres de la Sécurité d’Etat de l’époque en vue de proroger la Transition. Même cinq ans ont été proposés comme durée de la Transition par d’aucuns. Reste dans les mémoires l’altercation entre le grand combattant et grand frère Sy Victor Borion (SVB, tiens !) et le Lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré, le soldat de la démocratie, traité de démagogue par notre illustre aîné !
Ce débat est clos, dira l’après-midi à la reprise des travaux, le Lieutenant-colonel ATT, pour sortir de ‘‘ l’enjeu’’ dans lequel on voulait l’enfermer, selon lui !
Les membres du CTSP n’ont jamais porté d’écharpes tricolores. Ils n’ont jamais légiféré. Conscients qu’ils n’étaient pas des élus du peuple malien ; qu’ils n’étaient pas des représentants de la Nation malienne. Leurs indemnités de session étaient de 75.000 F. Ils ne se sont jamais fait appeler honorables.
Du reste, qui n’est pas honorable au Mali ?
Les membres du CTSP siégeaient pour faire des résolutions, des recommandations, pour donner des orientations sur la base desquelles le gouvernement gérait le pays par ordonnances.
Ils avaient le sens des lois votées au nom du peuple souverain. L’esprit des Institutions les habitait. L’Histoire ne se répète pas. Ou si c’est le cas, c’est sous forme de comédie selon le vieil adage.
Il est vrai que l’histoire évolue en zigzag. Elle bégaie parfois a-t-on coutume de dire !
L’insuffisance de l’Esprit des Lois et des Règlements, de l’Esprit des Institutions, a conduit à des scènes cocasses ces derniers temps où l’on voit dans le Sahel des officiers supérieurs en treillis, ayant pris le pouvoir par les Armes et non par les Urnes, l’écharpe tricolore de leur pays sur l’épaule prêter serment devant l’Institution habilitée à les investir et répéter après le Président de ladite Institution : Je le jure ! Entendez, je jure de respecter et de faire respecter une Constitution déjà violée !!!
J’écris ces lignes avec beaucoup de peine en pensant aux hommes et aux femmes avec lesquels nous avons réalisé de grandes choses à l’Assemblée nationale au nom du peuple souverain du Mali. Je pense particulièrement aux honorables Assarid Ag Imbarkawane, mon bras droit pendant dix ans ; l’amenokal Bajan Ag Hamatou Ag Firhoun, le fils aussi du Commissaire politique de l’Union Soudanaise du Rassemblement Démocratique Africain (US-RDA) Alhousseini Tiégoum Touré ; l’amenokal Mohamed Ag Intalla, mon Général, Mamadou Diarrassouba, l’Enfant terrible. Sans eux et d’autres députés également engagés, l’intégrité du territoire, l’unité de la Nation, la cohésion sociale n’auraient pas été sauvegardées ; la cérémonie de la Flamme de la Paix n’aurait pas eu lieu le 27 mars 1996 à Tombouctou permettant au Mali de connaître la paix pendant dix ans.
Les Conseillers nationaux désignés par le Chef de l’Etat actuel méritent le respect. Ils et elles sont à féliciter pour avoir décidé de ne pas siéger à la chambre des représentants, pour la conscience dont ils ont fait preuve en adoptant la Loi n°2022-019 du 24 juin 2022 Portant loi électorale avec 92 amendements en lesquels le gouvernement dit ne pas se reconnaître ! C’est ça aussi la démocratie.
Félicitation au Chef de l’Etat Assimi Goïta pour avoir promulgué cette loi sans l’avoir renvoyée pour relecture.
Pardon si involontairement j’ai blessé, offensé. Encore une fois, c’est involontaire. Mais il ne sied pas à l’âge de raison et surtout à un âge avancé de danser au rythme de concerts de contre-vérités !
Bamako le 15 juillet 2022.
Dr. Ali Nouhoum Diallo,
Maître de Conférences agrégé de Médecine Interne, professeur honoraire à la Faculté de Médecine et d’odontostomatologie,
Ancien Président de l’Assemblée Nationale du Mali,
Ancien Président du parlement de la Cedeao.