La crise qui traverse actuellement le Mali, la dégradation du tissu social, la corruption, le clientélisme, le favoritisme, le népotisme, l’incivisme, l’indifférence et l’insouciance sont des mots – et des maux -qui retentissent dans les oreilles lorsqu’on se promène dans les rues et que l’on fréquente les institutions publiques ou privées. Les satisfactions personnelles, les intérêts individuels sont en voie de miner l’architecture du Mali…
L’Etat – espace physique, de vie commune, de cohésion sociale, intégration, articulation – est un lieu d’application et de respect des lois et règles. Il structure, oriente, gère, harmonise la vie en collectivité. Entité structurante, il organise la vie en société et le progrès social, économique.
Gardien de l’ensemble des règles et normes, il assure le fonctionnement des institutions et facilite les interactions entre les citoyens. L’état désigne aussi la manière d’être. La polysémie du mot Etat me plonge dans une analyse diptère portant sur l’aspect structuro fonctionnel sur l’aspect cognitif et sur la faculté rationnelle à identifier les souffrances et les besoins des citoyens.
La crise qui traverse actuellement le Mali, la dégradation du tissu social, la corruption, le clientélisme, le favoritisme, le népotisme, l’incivisme, l’indifférence et l’insouciance sont des mots – et des maux -qui retentissent dans les oreilles lorsqu’on se promène dans les rues et que l’on fréquente les institutions publiques ou privées. Les satisfactions personnelles, les intérêts individuels sont en voie de miner l’architecture du Mali. Il n’est plus nécessaire de s’arrêter aux constats. Ils sont sus de tous les Maliens. Ces maux constatés par les citoyens sont-ils le fait des seuls pouvoirs publics ? L’Etat n’est-il pas en position d’être affaibli par des comportements communs ? Les injustices et les inégalités sociales sont des cocottes minutes sous pression. Il est temps qu’on se réveille dans ce pays, temps de prendre conscience que nous participons à notre autodestruction. Le salut de l’Etat passe obligatoirement par la maîtrise de ces maux sans quoi son existence sera constamment menacée.
Le recours à l’Etat est d’abord important pour la perpétuité sociale car l’individu est précurseur de processus de développement. L’Etat garantit les conditions de vie humaines. Les pouvoirs publics, les responsables des institutions, qu’elles soient politiques ou religieuses, ne sont pas propriétaires de l’Etat. Ils sont mandataires et dépositaires d’un pouvoir moral aidant à la structuration des citoyens. Les rôles qui leur sont conférés entre autres sont de comprendre, développer, entreprendre, agir pour la transformation et la consolidation de l’Etat. Leurs responsabilités sont de préparer l’avenir de leur progéniture. Cet objectif est essentiel dans cette civilisation, cette culture malienne où l’on professe l’ascension en ce terme “Que Dieu fasse en sorte que ta progéniture te dépasse”, autrement dit “Allah ka fe bi la min ka fissa ni yé”. Un Etat, une nation meurt par manque de vision, de projection et aussi par l’envie d’engloutir les nouvelles générations dans les décombres de la quête du pain quotidien, des prestiges et des privilèges individuels et corporatistes.
Dans cette période de crise nul doute que les Maliens ont besoin d’Etat. Nous avons tous intérêt à son existence, sa perpétuation et sa pérennisation. A ce sujet, certaines réflexions peuvent être faites pour comprendre la situation chaotique actuelle et prendre le pouls des citoyens. N’est-il pas temps de s’interroger sur la forme de l’Etat aujourd’hui, sur son fonctionnement, actuels ? Répond-t-il aux besoins et interrogations des citoyens ? Les acteurs anciens et nouveaux arrivent-ils à lui donner une orientation et une gestion répondant aux aspirations des citoyens ? Pourquoi l’Etat est-il rejeté au Mali ?
L’Etat actuellement vit un naufrage qui est dû à une crise de système. Nous sommes dans un Etat phagocyté par l’improductivité sur le plan économique, les charges inutiles dans de multiples secteurs. La domination, la monopolisation généralisée de l’économie par une seule frange de la population, la concentration des pouvoirs décisionnels sont des facteurs dévastateurs. Ils asphyxient, freinent les initiatives collectives et individuelles.
De l’analyse globale de mes constations sur le terrain, je pense que l’Etat a besoin de stratégie de développement et d’intelligence de développement.
Une stratégie de développement demande la coordination des actions souhaitées ou voulues par des agents en charge des responsabilités politiques, économiques, sociales. Les objectifs d’une telle stratégie seront atteints grâce à l’habilité de ceux qui décident, connaissent, veulent le bien-être des citoyens. Ceux-ci feront de la cohérence un outil essentiel pour conduire les actions entreprises. La cécité, la méconnaissance des réalités sur le terrain, la transposition des normes et valeurs venant d’ailleurs sont la base des échecs de multiples tentatives de développement au Mali.
Nous avons tendance à oublier que nous sommes dans un Etat qui a vécu assez de secousses culturelles et qui continue d’en vivre profondément. La rencontre de cet Etat avec d’autres cultures désarticule la pensée. Nous participons tous à ces nouvelles orientations dans nos actes quotidiens et faisons croire le contraire. Un des problèmes majeurs au Mali est le fait que nous avons participé à fonder un Etat asymétrique intellectuellement. Raison pour laquelle il est difficile de donner une orientation commune à son développement. Les citoyens ont du mal à partager les mêmes ambitions pour relever le défi des injustices et des inégalités.
Des maux à l’asymétrie, la configuration actuelle pose question car l’humain n’est dans aucun compartiment. Lorsque les injustices, les inégalités, les exploitations abusives de toutes sortes atteignent l’existence physique des citoyens dans un Etat, celui-ci creuse sa propre tombe. Difficile de sortir de cet étau sans que l’être humain soit au centre de nos préoccupations.
Il relève de l’Etat d’acquérir des compétences nécessaires, de les appliquer pour favoriser, catalyser un processus de développement. La finalité de l’action publique est d’influer une dynamique sur l’ensemble des secteurs d’un Etat. La force d’une stratégie de développement réside dans la planification, la maîtrise et la gestion du court et long terme, le contrôle des activités économiques, sociales, politiques, par des échanges d’informations utiles à l’ensemble des citoyens. C’est ainsi que l’action publique impactera le quotidien des gens. Un Etat qui manque sa stratégie de développement ne peut pas prétendre égaler aux autres. Une reconfiguration, une réorganisation sont nécessaires pour donner plus de souffle aux populations qui aujourd’hui souffrent énormément.
Mettre en place une stratégie de développement suppose de repérer les potentialités individuelles et collectives des citoyens, de sélectionner des acteurs potentiels anciens et nouveaux sur la base des critères objectifs, d’intégrité, de responsabilité, de connaissance des réalités sociologiques pour insuffler des dynamiques politiques, économiques et sociales. L’objectif d’une stratégie de développement vise à inclure, intégrer donner de synergie, de vitalité que d’exclure et ignorer dans un Etat. L’identification des ressources, des aptitudes, des compétences pour en faire un usage au service de projets économiques sont les vecteurs du progrès en la matière.
Par leurs remarques, inquiétudes et interrogations, les citoyens pointent la non maîtrise et l’absence de contrôle des ressources économiques et humaines.
L’intelligence de développement est la faculté qui permet de comprendre les réalités, les préoccupations et les problématiques posées dans un Etat. Elle doit permettre d’apprendre et de s’adapter à des situations nouvelles. Faculté d’anticipation, de gouvernance, de gestion, l’intelligence de développement est la capacité à traiter les problèmes des administrés. Elle trace, balise les voies en ayant l’avenir comme socle de tout processus de développement.
L’intelligence de développement se comprend et se mesure par les capacités d’action mises en œuvre par l’Etat. Quelles sont les ressources de l’Etat pour la mise en place de ce dispositif ? Le maillage, l’association et la combinaison des ressources pour arriver aux objectifs relève de l’Etat. L’intelligence de développement chemine avec une capacité d’organisation. Elle est la faculté mobilisatrice des ressources adaptées à des situations particulières, spécifiques. Les défis d’un Etat seront surmontés par une exploitation des opportunités citoyennes offertes. Les populations sont les mieux placées pour comprendre, les menaces qui désorganisent leur existence et leur quiétude. Elles sont également susceptibles d’être aidées par les pouvoirs publics agissant dans le cadre de ses prérogatives.
La configuration actuelle de la gestion de l’Etat est-elle tenable face aux inquiétudes des populations?
Les multiples défis, les mutations sociales, économiques, sécuritaires, de santé, le dialogue social, la corruption, les conflits intercommunautaires entravant la bonne marche du pays ne seront surmontés que par des audits transparents, justes et honnêtes. Qui sont les auteurs et facteurs producteurs de ces défis ? Comment ces défis se sont produits au Mali ? Quelles solutions endogènes avons-nous pour les mettre en œuvre ? Les outils utilisés sont-ils en phase avec la société malienne de nos jours ? Réellement, les administrateurs comprennent-ils leurs administrés ? Les maliens ne sont-ils pas eux même responsables de cette situation de chaos dans le pays ?
L’Etat malien est pris dans l’étau de la mutation sociale et économique. De ce fait le mode de gestion actuel est en déphasage. Les pouvoirs et les élites sont dans les capitales régionales et à Bamako alors que la majorité des populations sont dans les périphéries sans ressources. Les élites et les détenteurs du pouvoir passent leur temps à se reproduire. Les préconisations faites seront loin des aspirations des populations périphériques.
On peut lire dans le rapport en date de 2018, du vérificateur Général du Centre hospitalier Universitaire Gabriel Touré, qu’au niveau du Laboratoire d’analyse de cet hôpital, sur 81 types d’examens réalisables, il n’en effectue que 20 pour cause de manque de réactifs, de pannes d’appareils, d’absence de personnel qualifié.
Au niveau de la pharmacie populaire, les délais de délivrance des certificats d’analyse des médicaments avant leur distribution peuvent atteindre parfois 472 jours, soit une année pour un délai réglementaire d’au moins huit jours. Des médicaments non certifiés sont mis à la disposition des centres de santé avec des risques pour les populations.
En 2017, le Mali a enregistré plus de 5 millions de produits périmés soit une valeur de 1,14 milliard de francs CFA sans qu’aucune disposition de destruction ne soit prise.
Le Mali est un Etat enclavé. Les différents fleuves qui traversent son territoire prennent source ailleurs. De nos jours le Mali compte dans les 19 529 893 habitants. Nous assistons à une croissance démographique qui s’accompagne de l’augmentation de la consommation d’eau. Dans un futur proche l’Etat sera face à des populations vulnérables qui n’arriveront pas à organiser leur vie sociale autours de certains cours d’eaux. Alors on sait que dans le passé, l’empire Macina, l’empire songhaï, tous les villages riverains maliens ont été fondés au bord des fleuves par des éleveurs et des chasseurs en quête d’une vie meilleure. Le fleuve est un élément constitutif de l’identité de ces populations et un élément structurant de la vie économique par sa production d’électricité et l’irrigation.
L’absence et l’insuffisance d’intelligence de développement entrainent l’immobilisme dans un Etat. Dans le cas présent, les responsabilités du chaos généralisé sont partagées : pouvoirs publics, populations vivant dans l’indifférence totale, responsables religieux, entrepreneurs. Il en ressort que les pratiques, les façons de faire, de gérer, le laxisme, entrainent l’Etat dans un processus de procrastination. Ces comportements font que l’édifice Mali s’écroule. Les populations sont en perte de confiance vis-à-vis des institutions quelles qu’elles soient. Nous sommes dans la défiance.
Ce processus de procrastination développe un comportement apathique vis-à-vis de l’Etat. Une indifférence totale envers l’institution publique. Les individus ne n’accordent aucune importance à autrui. L’abus, le manque respect de l’institution publique sont devenus des valeurs inculquées, dans le mode de vie et les mentalités. Les tissus sociaux, économiques sont lézardés de partout.
Cette situation tend vers un oblomovisme voulu pour pouvoir mieux user les populations pauvres. Cet oblomovisme, semé pour mieux profiter, bloquerait les énergies de gens. Aucun autre bénéfice n’est profitable de cette situation que de mettre les populations dans une léthargie, dans une inertie sociale. Il est de nos jours capital d’être conscient de l’existence de cette tendance sur le terrain. Mais pour combien de temps ?
Moïse Diawara
Sociologue
Centre Max Weber de Lyon