Le 16 septembre 2023, le Burkina Faso, le Mali et le Niger signaient la Charte du Liptako-Gourma instituant l’Alliance des Etats du Sahel (AES). Partageant des milliers de kilomètres de frontières et confrontés aux problèmes sécuritaires et à l’instabilité politique, ces trois pays ont logiquement conjugué leurs efforts pour faire face aux multiples défis qui sont les leurs. Un an après, il convient de dresser un bilan et se projeter dans les perspectives.
Bilan
En y regardant de près, nous pouvons affirmer que l’acte fondateur de l’AES remonte au 31 juillet 2023. Nous sommes en pleine crise politique au Niger suite au renversement du régime de Mohamed Bazoum par le général Tchiani. La Cédéao menace d’intervenir militairement pour déloger les putschistes et rétablir l’ordre constitutionnel. Il faut dire que la tension est palpable. On est loin des traditionnels communiqués de condamnation.
C’est dans cette atmosphère tumultueuse que le Mali et le Burkina Faso vont produire un communiqué au ton particulièrement belliqueux. En effet, les deux pays, déjà dirigés par des militaires, répondent à la Cédéao en menaçant à leur tour de défendre militairement le Niger en cas d’attaque des forces de la Cédéao. Le contenu de ce communiqué inspirera plus tard l’article 6 de la Charte du Liptako-Gourma qui indique que toute attaque contre un des pays membre de l’alliance est une attaque contre l’ensemble des pays.
Dès lors, la Cédéao fera marche arrière. La menace d’intervention militaire ne sera jamais mise à exécution. Ceci pourrait être considéré comme la première “victoire” de l’AES. Plus globalement, la création de l’AES a permis de rééquilibrer les rapports de forces entre la Cédéao et cette alliance. En effet, l’organisation sous-régionale privilégie désormais le dialogue et la voie diplomatique.
Pour preuve, la Cédéao réagit dorénavant aux attaques terroristes qui se produisent dans les pays de l’AES en les condamnant. Pour autant, les relations ne sont pas au beau fixe. En effet, le 28 janvier 2024, le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont annoncé conjointement leur retrait de la Cédéao. Nous évoquerons les conséquences de ce retrait dans les perspectives.
Sur le plan institutionnel, un cap supplémentaire a été franchi le 6 juillet 2024 à la faveur du premier sommet de l’AES tenu à Niamey, au Niger. En effet, on est passé d’une alliance à une confédération. Dans une confédération, les pays membres s’engagent à coopérer sur un certain nombre de domaines préalablement définis tout en étant indépendant chacun. Ainsi, en plus de la sécurité et de la défense, l’AES a élargi ses domaines de compétences à la diplomatie et au développement. Certains y voient une lecture lucide de la situation sécuritaire quand on sait que le tout militaire ne permet pas de résoudre les problèmes d’insécurité dans le Sahel central. Cela augure-t-il des lendemains meilleurs ?
Les perspectives
L’AES est une jeune alliance qui entend exister au concert des nations et peser sur le plan diplomatique. Pour ce faire, il faut surmonter un certain nombre d’obstacles. Cela passe d’abord par l’adhésion des populations des trois pays à la confédération. En effet, les dirigeants de l’AES ne cessent de clamer une “alliance des peuples” sous-entendu à la différence d’un syndicat de chefs d’Etat qui serait la Cédéao.
On peut déjà voir les prémices à travers une mutualisation des programmes lors des journaux télévisés de 20 h sur les chaines publiques des trois pays et où une page spéciale AES est dédiée à l’actualité de la Confédération. A terme, il pourrait y avoir une convergence de vue des populations des trois pays sur l’AES.
Au plan diplomatique, et subséquemment au retrait de l’AES de la Cédéao, les habitants de l’AES devraient disposer d’un passeport commun. Se pose alors la question de la libre circulation des personnes et des biens lorsque le retrait de la Cédéao sera effectif en janvier prochain. Avec des frontières parfois poreuses et une mixité des populations de part et d’autre, les destins de la Cédéao et de l’AES sont liés. Les deux entités n’ont d’autre choix que de négocier.
Sur le plan économique, une banque d’investissement devrait être créée pour favoriser l’intégration économique. On notera qu’il y a de bonnes intentions en perspectives. Néanmoins, les avantages de l’AES semblent être paradoxalement ses inconvénients. En effet, le principe d’une coopération fruitive est la complémentarité. Or, les pays de l’AES partagent quasiment les mêmes problèmes sécuritaires : menace terroriste et les mêmes problèmes économiques : en tant que pays continentaux n’ayant pas de débouché sur la mer.
Conscients de leur force mais aussi de leur faiblesse, les dirigeants de l’AES n’ont de choix que de nouer des coopérations avec d’autres nations. Par-dessus tout, la menace existentielle de l’AES est le maintien ou non des trois chefs d’Etat pendant au moins les trois prochaines années.
Bréhima Sidibé
Doctorant à CY Cergy Paris Université