Polémique autour de l’ordre des priorités du gouvernement de transition : «Il n’y a aucune incompatibilité entre aller aux urnes et reconquérir le Nord»

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L’histoire est-elle en train de nous donner raison, lorsqu’au mois de juin 2012, nous affirmions dans l’une de nos contributions au débat pour la reconstruction nationale: ” A notre avis, eu égard à la durée de la transition (un an), il semble urgent d’élaborer une feuille de route assortie d’un chronogramme d’exécution des missions afin de nous éviter le pilotage à vue, la perte de temps avec leur corollaire d’incertitudes ” ?

Dans l’intérêt supérieur du Mali, le peuple ne mérite pas une seconde déception… Les autorités parlent de moins en moins d’organisation des élections. Elles semblent renvoyer purement et simplement cette mission essentielle aux calendes grecques ; or il est impératif de comprendre qu’une gouvernance transitoire ne se conçoit et ne se justifie que par l’obligation d’organiser des élections, seuls moyens de mettre en place un pouvoir légitime et pérenne. Est donc cousu de fil blanc, tout stratagème consistant à tirer prétexte de l’occupation des 2/3 du territoire malien, pour renvoyer sine die l’organisation des élections présidentielles dans notre pays. Cet argumentaire, malgré son apparente pertinence, ne saurait résister à une analyse sérieuse, pour cinq bonnes raisons :

1)         Les autorités issues d’élections partielles sont tout de même plus légitimes que les autorités transitoires.

Selon le dictionnaire Larousse, est légitime, ce qui est consacré, reconnu, admis par la loi ; quant au lexique des termes juridiques (18ème édition 2011), il précise qu’en droit constitutionnel (pour utiliser l’expression dans son contexte), la légitimité est la qualité d’un pouvoir d’être conforme aux aspirations des gouvernés (notamment sur son origine et sa forme), ce qui lui vaut l’assentiment général et l’obéissance spontanée. La légitimité n’est pas immuable ; elle peut être démocratique (légitimité fondée sur l’investiture populaire des gouvernants c’est-à-dire les élections), à la différence de la légitimité monarchique ou de droit divin, fondée sur l’investiture divine du roi. A moins de nous prouver le contraire, les autorités transitoires ne répondent aux critères d’aucune des légitimités ci-dessus. En fait de légitimité démocratique, force est de constater que les autorités actuelles ne doivent leur pouvoir à une quelconque élection, fût-elle partielle ou parcellaire ; a contrario tout autre pouvoir issu des prochaines élections (même partielles sur le tiers du territoire) aura certainement plus de fondement légitime. En clair, quel que soit l’argumentaire avancé pour reporter les élections, on aura du mal à convaincre le peuple que les autorités transitoires peuvent être plus légitimes que les autorités issues d’élections partielles.

Mieux, avec la présence massive de nos compatriotes du nord sur les parties du territoire où les élections pourraient être organisées, cela ne ferait que conforter la légitimité des nouvelles autorités à installer ; il est loin de nous l’idée de marginaliser ou d’ostraciser nos compatriotes qui continuent de braver l’adversité au nord, au contraire, ils méritent toute notre considération, tout notre respect.

Nous sommes sûrs que ces braves citoyens n’accepteraient pas, pour longtemps, que l’on se serve de leur souffrance comme prétexte pour prolonger le pilotage à vue dans une transition dont les contours sont loin d’être définis sur fond de marches et de contremarches (attente prolongée d’une feuille de route à l’issue de la convention nationale souveraine).

2)         La période transitoire, manquant de base légale, devrait être la plus brève possible.

La situation exceptionnelle a été triturée dans toutes les sauces au Mali, sans que l’on ne puisse jamais prouver que la constitution du  25 février 1992 prévoit et réglemente une gouvernance transitoire.

Cependant, au prix de moult arrangements, il est convenu d’accepter un Président de la République – qui, jusque là, trône sans régner- par intérim ou transitoire ? Qui selon l’article 36 de l’acte fondamental de 1992 (semblant être en vigueur) n’assure l’intérim que pendant un délai impératif de 40 jours.

C’est pourquoi certains attributs essentiels d’un président de la République élu sont formellement interdits, par la Constitution de février 1992, au Président intérimaire, notamment nommer ou démettre un Premier ministre (art. 36 Constitution).

Nous n’entendons point remettre au goût du jour ce débat sur lequel nous avons suffisamment donné notre point de vue (situation de flou juridique ayant conduit au cafouillage institutionnel actuel, contrairement à l’apparence sauve).

Pourtant, nous avons fait remarquer que crever l’abcès peut être source de douleur intense, mais assure une guérison certaine, lorsque nous invitions les autorités à regarder les problèmes en face et d’y trouver des solutions durables, au lieu de la fuite perpétuelle en avant.

Pas plus que le président intérimaire, le mandat constitutionnel des députés est de 5 ans ferme ; aucune loi d’auto-élection ne pourrait suppléer la volonté du peuple souverain ; par la force des choses, nos anciens députés se prévalent certainement d’un mandat autre que celui du peuple malien. Le deal – sans se justifier – est compréhensible entre les acteurs actuels de la gouvernance; la prolongation ad vitam aeternam de la transition ne dérange ni le Président de la République (de la transition ou par intérim ?) ni le gouvernement transitoire, encore moins les anciens députés ; le seul objectif que ces institutions ont en partage est de se maintenir, le plus longtemps possible, au pouvoir, et boire le petit lait.

La situation est d’autant plus chaotique que le Premier ministre de pleins pouvoirs est convaincu que le président précaire n’a aucun pouvoir de recevoir sa démission, encore moins de le démettre!

Pourtant, la politique de l’autruche aidant, l’illusion d’un fonctionnement sans couac est brandie, or nous avions prévenu que désherber ne signifie pas couvrir l’herbe de la terre ! Les plus futés croient pouvoir élaborer  leur petit agenda, en tirant des plans sur la comète, et en tentant de cacher le soleil avec leur main !

3)         Pour prétendre à l’aide internationale indispensable pour notre pays, la realpolitik commande de se soumettre à la résolution N° 2071 du Conseil de sécurité de l’ONU et de prioriser l’organisation des élections.

Le 9 avril 2012, nous déclarions, à la faveur d’une conférence de presse sur les antennes de l’ORTM que notre pays n’a pas le droit de cracher sur une quelconque aide susceptible de juguler la crise qu’il traverse ; cette constance ne saurait varier, malgré les dérapages et l’amateurisme dont la CEDEAO a fait montre dans la gestion de ladite crise.

Nous adhérons donc à la résolution 2071 du Conseil de sécurité de l’ONU autorisant le principe d’une intervention internationale pour chasser les terroristes et autres narcotrafiquants de notre territoire ; entre l’attentisme (justifié tant bien que mal par la rétention des armements maliens dans différents ports de la sous-région) et une possibilité d’intervention efficace (avec tous les moyens mobilisables par la communauté internationale pour ce faire), le peuple ne peut opter que pour la solution la plus réaliste, la plus imminente et la plus crédible.

Il est vrai que ceux qui sont à l’abri du besoin peuvent continuer à surfer sur les vagues d’un chauvinisme stérile sinon ” ventre affamé n’a point d’oreille ” ; instrumentaliser l’analphabétisme de la majorité de nos concitoyens à des fins politiciennes ne saurait payer. Une chose est de s’opposer à toute intervention étrangère, une autre en est de proposer des solutions immédiates – non tributaires de conditions suspensives dont on n’a pas la solution (embargo sur nos armes)- permettant de soulager la souffrance du peuple.

S’agissant de l’organisation des élections, il est indéniable que pour avoir les coudées franches, et gérer en toute responsabilité dans la sérénité, tout gouvernant devrait détenir son pouvoir du peuple (dans le cadre d’élections même partielles) plutôt que de rester devoir à un homme ou à un groupuscule d’hommes.

4)         Seule la bonne gouvernance permet de mériter du peuple, à l’exclusion du renvoi sine die de la date des élections.

Nous pensons, très humblement, que les hommes politiques qui ambitionnent de briguer le suffrage du peuple auront beau jeu de mettre l’accent sur la bonne gouvernance, en s’abstenant de toute tentative de confiscation du pouvoir ; l’histoire nous enseigne que bien des leaders se sont essayés, sans succès, à ce jeu dangereux. En effet, l’exemple tout frais du Président déchu est éloquent ; lui qui était convaincu d’avoir réussi un casting infaillible – non sans recourir à des experts et autres conseillers occidentaux en sciences politiques et en communication – en positionnant ceux de ses hommes qu’il croyait être les affidés (d’une loyauté absolue) à tous les postes stratégiques du pays, au détriment de la bonne gouvernance, et en demeurant sourd à la souffrance du peuple, malheureusement, il l’a appris à ses dépens ! C’est dire qu’il n’existe pas de panacée pour conquérir ou garder le pouvoir, le populisme et la démagogie montrent vite leur limite ; la seule solution durable qui vaille est, tout simplement, l’organisation des élections propres (une des missions essentielles de la transition) tout en privilégiant la bonne gouvernance au détriment des coteries et du clanisme, le peuple s’en souviendra !

5)         Le Mali n’est pas à sa première période électorale pendant qu’une rébellion sévit sur une partie de son territoire. Au-delà de notre pays qui a bien connu l’organisation d’élections sous la transition de 1991 à 1992, pendant qu’une rébellion sévissait dans sa partie septentrionale, il convient de noter, à titre d’exemple, le cas de la Côte d’Ivoire (élections organisées en 2010 pendant qu’il y avait une rébellion au nord du pays), du Soudan (référendum organisé en 2011 ayant consacré la partition définitive de ce pays) en pleine guerre etc. En tout état de cause, nous estimons que la gestion de la guerre au nord du Mali serait autant aisée qu’elle serait conduite par des autorités légitimes ; il est important de tirer les enseignements utiles de l’amère expérience de six longs mois d’immobilisme et de tergiversation – du fait du cafouillage institutionnel – avant d’adresser une simple demande officielle d’intervention à la communauté internationale.

Enfin, cette assertion de Charles de Gaulle pour conclure : ” Le meilleur arbitre, la meilleure cour suprême, c’est le peuple, aucun sur-pouvoir, aucune légitimité, en dehors de la sienne ne peut être acceptée ! ” Que Dieu nous donne la sagesse d’accepter et d’intégrer la souveraineté du peuple !

Aguibou BOUARE

Conseiller Juridique

Tél. 66 91 80 70

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