Nous le savons bien, le transport aérien est un élément essentiel du développement de léconomie dont il est impératif daméliorer la qualité des services fournis aux usagers. Pour faire de laéroport une plaque tournante pour les compagnies aériennes dans la région ouest-africaine et assurer la participation du secteur privé au financement des besoins en investissements et en gestion aéroportuaire, le Mali a, dans le cadre de la mise en uvre de son programme de réforme du secteur de laviation civile et notamment grâce au programme dinvestissement du Millenium Challenge Account – Mali (MCA-Mali), engagé le processus de mise en concession de lexploitation de laéroport international de Bamako-Sénou.
A titre dinformation, « La concession des services publics est définie comme un contrat qui charge un particulier, ou une société, dexécuter un ouvrage public ou dassurer un service public, à ses frais, avec ou sans subvention, avec ou sans garantie dintérêt, et que lon rémunère en lui confiant lexploitation de louvrage public ou lexécution du service public, avec le droit de percevoir des redevances sur les usagers de louvrage ou sur ceux qui bénéficient du service public ».
Depuis quelques jours, cette affaire dite de lé concession des Aéroports du Mali défraie la chronique. Quen est-il exactement ? De nos recherches et investigations voici ce qui en ressort.
Les faits :
En 2011, le Ministre chargé des Transports a lancé un appel doffres international visant à mettre en place un partenariat public-privé (PPP) pour lAéroport sous la forme dune concession de gestion de lAéroport. A lissue de lappel doffres international avec pré-qualification organisé conformément au Décret n°08-485/P-RM portant Code des Marchés Publics, sur cinq (05) plis conformes reçus, trois candidats avaient été retenus à lissus de lanalyse des offres sur la liste restreinte du dossier dappel doffres pour la mise en concession de laéroport de Bamako-Sénou. II sagit de :
- SNC LAVALIN (société canadienne,) ;
- le Groupement Aéroport de LYON/CCIM/CMC/CNPM/REAO-Mali et
- le Groupement SEGAP/EGIS Projets (groupe français) ;
Ces entreprises ayant soumissionnées, lanalyse de ces trois (3) offres techniques a donné les résultats suivants :
- Pli n°1 : SNC LAVALIN : 95 points/100 ;
- Pli n°2 : Groupement SEGAPEGIS Projets : 71 points/100 ;
- Pli n°3 : Groupement ADLMS/CCIM/CMC/CNPM/REAO : 39 points/100.
En application des clauses du DAO, les deux candidats ayant obtenu 70/100 ont été retenus pour la phase de lévaluation des offres financières. Aussi, il a été procédé, après lavis de non objection de la DGMP, à louverture et à lanalyse des offres financières des candidats retenus. Aux termes de cette analyse, loffre du Groupement SEGAP/EGIS Projets, jugée non conforme pour lessentiel au DAO, a été écartée pour la suite de lévaluation. Ainsi, loffre de la Société SNC-LAVALIN, jugée conforme, a été retenue. Ces résultats ont été notifiés aux deux candidats.
- De la Contestation des résultats de la Commission : laffaire devant les Juridictions maliennes.
Le Groupement SEGAP/EGIS Projets, non satisfait de cette délibération a saisi lAutorité de Régulation des Marchés Publics et des Délégations de Service Public (AMRDS) qui par Décision N°12-003/ARMDS-CRD du 06 janvier 2012, a fait droit à sa requête en ordonnant la poursuite de lanalyse de son offre. A la requête du Ministère chargé des Transports, la Section Administrative de la Cour Suprême a, par Ordonnance n°001 du 18 janvier 2012, ordonné le sursis à lexécution de cette décision de lARMDS.
Suivant Arrêt N°050 du 23 février 2012, la Section Administrative de la Cour Suprême a annulé :
- La Décision N°12-003/ARMDS-CRD du 06 janvier 2012 du Comité de Règlement des Différends de lAutorité de Régulation des Marchés Publics et des Délégations de Service Publics ;
- La lettre n°2038/MET-DFM du 11 novembre 2011 notifiant au Groupement SEGAP/EGIS Projets que sa proposition na pas été retenue à lissue du processus dévaluation et de jugement des offres financières relatives à la mise en concession de laéroport de Bamako-Sénou ;
- La lettre n°2111/MET-DFM du 23 novembre 2011 informant le Groupement SEGAP/EGIS Projets que la société SNC LAVALIN a été déclarée attributaire provisoire de la concession de laéroport de Bamako-Sénou.
Le Ministère chargé des Transports a, par lentremise de son Conseil, exercé un recours en révision contre ledit arrêt, le 07 mars 2012. Ce recours fut rejeté suivant Arrêt n°800 du 02 février 2012.
Cest ainsi que le Groupement SEGAP/EGIS Projets, se fondant sur les arrêts de la Cour Suprême, a, par lettre du 18 juillet 2013, demandé la suite réservée au processus de mise en concession de laéroport de Bamako-Sénou. En réponse, le ministre a réaffirmé sa disponibilité pour la reprise du processus.
Ainsi, sur instruction du ministre chargé des Transports, sest tenue le 05 août 2013, la première réunion sur la reprise du processus de mise en concession. A lissue de cette rencontre, la commission est parvenue aux constats ci-après :
- La procédure a connu beaucoup de péripéties administratives et judiciaires qui ont été sanctionnées par deux (02) arrêts de la Cour Suprême du Mali ;
- Le contexte socio-économique a notablement changé conduisant à limpossibilité dapprécier les offres datant de trois (03) ans dans des conditions optimales ;
- Larrêt des travaux de laérogare passagers et connexes de laéroport de Bamako-Sénou a substantiellement modifié les conditions de lappel doffres notamment les parties relatives aux ouvrages concédés et au plan de financement du concessionnaire ;
- Les délais de validité des offres des candidats ont expiré.
Aussi, la commission a conclu à la nécessité de la reprise de lappel doffres pour la mise en concession de laéroport de Bamako-Sénou sur la base dun dossier dappel doffres modifié. Cest dans cet ordre didées que la lettre n°1326/MET-DFM du 26 août 2013 a été adressée à la Direction Générale des Marchés Publics aux fins de lannulation de cette procédure et de la relance du processus par un nouvel appel à concurrence.
- La relance du dossier après les épisodes Judiciaires :
Par lettre n°2658/MF-DGMP-DSP du 30 août 2013, la Direction Générale des Marchés Publics a donné son avis de non objection pour lannulation de la procédure et la relance du dossier dappel doffres relatif à la mise en concession de lAéroport de Bamako-Sénou. Toutefois, cette décision na été notifiée à aucune des parties.
II ressort de léconomie des données factuelles relatives au processus de mise en concession que suite à un appel à la concurrence, la société SNC LAVALIN et le Groupement SEGAP/EGIS Projets ont été retenus suite à un appel doffres restreint précédé dune phase de pré-qualification.
A voir de près, il est constant que la Commission de dépouillement, dans la phase de lanalyse des offres financières des candidats retenus, a estimé que loffre du Groupement SEGAP/EGIS Projets est non conforme au DAO et la, par conséquent, écartée pour la suite de lévaluation. Elle a déclaré la société SNC-LAVALIN, dont loffre est jugée conforme, adjudicataire de la concession. Il est également constant que, après moult procédures judiciaires, deux Arrêts de la Section administrative de la Cour Suprême ont consacré la conformité de loffre du Groupement SEGAP/EGIS Projets au DAO et ordonné son intégration dans lévaluation.
Ces arrêts, qui ont autorité de la chose jugée et de vérité légale, nont pas produit la plénitude des effets qui leur sont attachés, en ce que loffre du Groupement SEGAP/EGIS Projets na pas été réexaminée et réintégrée dans le processus dévaluation et de jugement des offres financières.
II est important de rappeler que les arrêts ont annulé la Décision N°12-003/ARMDS-CRD du 06 janvier 2012 et les deux lettres décisoires par lesquelles le ministre chargé des Transports notifiant au Groupement SEGAP/EGIS Projets la non-conformité de son offre au DAO et lattribution provisoire de la concession à la société SNC LAVALIN.
Aussi, actuellement, lattribution provisoire ayant été annulée, il est aisé de constater quon revient au statu quo ante, avec les deux candidats dont les offres techniques avaient été retenues conformément au DAO.
Sur la validité de la procédure, il importe de noter que lannulation na jamais été notifiée aux parties auxquelles elle nest pas opposable. En outre, relativement à la validité intrinsèque de la procédure, il convient de signaler que les procédures judiciaires, notamment la décision de sursis, et les arrêts intervenus ont un effet suspensif.
II est donc loisible à lEtat de continuer la procédure en cours, en invitant les deux candidats retenus à actualiser leurs offres financières respectives en tenant compte des changements notables observés depuis 2012. Cette démarche a lavantage dêtre en conformité avec le dispositif et la teneur des arrêts de Section administrative de la Cour Suprême.
Les travaux au niveau de laéroport international Président Modibo KEITA sont à ce jour terminés et les installations sont fonctionnelles. Aussi, il serait souhaitable de demander lactualisation des offres et de poursuivre le processus de la mise en concession.
II convient de préciser que dans lhypothèse de la reprise des offres financières par les deux candidats finalistes, à dire dexpert, il peut être envisagé pour la mise en uvre effective de la concession, un délai raisonnable de six (6) mois déclinés ainsi quil suit :
- TO : envoi dun courrier du Gouvernement malien aux deux finalistes du précédent appel doffres pour mettre à jour leurs offres dans un délai dun mois ;
- TO+45 jours : remise des offres actualisées ;
- TO+75 jours : désignation du candidat adjudicataire ;
- TO+105 jours : finalisation du contrat de concession avec notamment la liste définitive du personnel à reprendre par le nouveau concessionnaire ;
- TO+150 jours : création de la société concessionnaire et signature du contrat de concession ;
- Et 30 jours ensuite pour préparer le démarrage de la concession et le transfert des activités vers le nouveau concessionnaire.
Le Ministre de lEconomie et des Finances Dr Boubou CISSE a sollicité dans une communication écrite le Conseil des Ministres en vue de la relance du processus de la concession.
Le 14 Mars 2019, le Premier Ministre dalors, Soumeylou Boubeye Maiga dans sa correspondance n° 220/PM-CAB ordonnait la relance du processus en ces termes : «Faisant suite aux recommandations du conseil des Ministres du 06 mars 2019 et à larrêt de la Section Administrative de la Cour Suprême ayant acquis lautorité de la chose jugée relatifs à lobjet ci-dessus mentionné, je vous demande de relancer la procédure dappel doffres, en invitant la Société SNC LAVALIN et le Groupement SEGAP/EGIS à actualiser leurs offres financières respectives. »
Au regard de ce qui précède, il apparait alors évident que contrairement à ce quon peut lire de gauche à droite, sur la toile, ce dossier ne date daujourdhui et nest nullement géré dans une quelconque urgence. En tout état de cause, dans un second article à paraître dans les prochains jours, nous analyserons ensemble le bien-fondé de cette opération de concession, son impact sur la gouvernance des Aéroports du Mali et éventuellement sur léconomie du pays de façon générale.
Dr Etienne Fakaba SISSOKO, Professeur à la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion, Chercheur au Centre de Recherche et dAnalyses Politiques, Economiques et Sociales du Mali CRAPES.
Email : etienne@crapes.net